Parfois, il m'est utile de le dire ?

Crise diplomatique Algérie–France : fin de l’exemption de visas pour diplomates et dénonciation de l’accord de 2013

 

Un durcissement annoncé, mais un contexte occulté

Dans une lettre adressée à François Bayrou et relayée par Le Figaro et Reuters, Emmanuel Macron a demandé la suspension de l’accord de 2013 sur les exemptions de visa pour les passeports diplomatiques et de service algériens. Le président français appelle à une « grande fermeté » face à Alger, invoquant des difficultés « migratoires et sécuritaires ». Mais cette lecture unilatérale occulte des éléments essentiels du contexte diplomatique.

Deux notes verbales ont été remises au régime français par les voies diplomatiques,   L'une a eu pour objet de «notifier formellement la dénonciation par la partie algérienne de l'Accord algéro-français de 2013 relatif à l'exemption réciproque des visas pour les titulaires de passeports diplomatiques et de service».

Une dénonciation qui «va plus loin que la simple suspension notifiée par la partie française et met définitivement un terme à l'existence même de cet accord», tient-on à préciser. Dans ce contexte, le communiqué a souligné qu'»en conséquence, et sans préjudice des délais prévus dans l'accord, le gouvernement algérien a décidé de soumettre, avec effet immédiat, les titulaires de passeports diplomatiques et de service français à l'obligation de visas.

Il se réserve, par ailleurs, le droit de soumettre l'octroi de ces visas aux mêmes conditions que celles que le gouvernement français arrêtera pour les ressortissants algériens. Il s'agit là d'une stricte application du principe de réciprocité qui exprime, avant tout, le rejet par l'Algérie des velléités françaises de provocation, d'intimidation et de marchandage». Quant à la seconde note verbale, elle concerne «la décision des autorités algériennes de mettre fin à la mise à disposition, à titre gracieux, de biens immobiliers appartenant à l'Etat algérien au profit de l'ambassade de France en Algérie. Cette note annonce, également, le réexamen des baux, considérablement avantageux, contractés par l'ambassade avec les OPGI d'Algérie et invite la partie française à dépêcher une délégation à Alger pour entamer les discussions à ce sujet», souligne le communiqué

Le déclencheur : le dossier du Sahara occidental

En juillet 2024, la France a reconnu le plan marocain d’autonomie pour le Sahara occidental, en rupture avec la position traditionnelle de neutralité. Cette décision a été perçue par Alger comme une atteinte directe à ses intérêts stratégiques et une ingérence dans un dossier soutenu par des résolutions onusiennes. Ce choix politique français a provoqué un refroidissement brutal des relations bilatérales.

L’accord de 2013 : un symbole plus qu’un instrument

Signé pour faciliter la mobilité des diplomates, l’accord de 2013 avait une portée pratique limitée. Sa suspension est surtout un signal politique adressé à l’opinion publique française, dans un contexte où la question migratoire est instrumentalisée à des fins électorales.

C'est la France, également, qui a manqué au respect de ses engagements au triple titre de l'accord algéro-français de 1968 relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles, de la convention consulaire algéro-française de 1974 et de l'accord algéro-français de 2013 relatif à l'exemption des visas pour les détenteurs de passeports diplomatiques et de service. C'est la France, en outre, qui s'est donné pour seule et unique objet de fixation l'accord algéro-français de 1994 relatif à la réadmission des ressortissants algériens vivants en situation irrégulière en France, accord dont elle a dénaturé la raison d'être et détourné les objectifs véritables. C'est la France, enfin, qui s'est affranchie de ses devoirs contractés au titre de la convention européenne des droits de l'homme de 1950".

A maintes reprises, c'est la France, et elle seule, qui a été à l'origine d'une telle demande. En décidant la suspension de cet accord, la France offre à l'Algérie l'opportunité idoine d'annoncer, quant à elle, la dénonciation pure et simple de ce même accord.

Des cas individuels utilisés comme levier politique

Les affaires Boualem Sansal et Christophe Gleizes, évoquées comme motifs de durcissement, relèvent de décisions judiciaires algériennes. Les instrumentaliser dans le champ diplomatique revient à nier la souveraineté judiciaire d’un État indépendant et  de faire de la France l’arbitre moral des libertés dans le monde arabe, au mépris des souverainetés nationales et des réalités politiques locales. C’est là l’ombre portée d’un réflexe néocolonial qu’on croyait pourtant dépassé dans les milieux progressistes pour s’interroger aussi si la France va extrader les délinquants politiques algériens réfugiés chez elle, allusion à l’ancien ministre Abdeslam Bouchouareb qui a été condamné plusieurs fois pour corruption en Algérie, mais la justice française a rejeté la demande d’extradition d’Alger. Une rhétorique post-coloniale persistante

Les termes choisis par Emmanuel Macron – « respect », « fermeté », « détermination » – s’inscrivent dans une grammaire diplomatique verticale, héritée d’une histoire coloniale non soldée. Une approche moderne exigerait une relation équilibrée, basée sur des partenariats mutuellement bénéfiques dans les domaines de l’énergie, de la sécurité et de la coopération culturelle.

Des accusations de manquements aux accords bilatéraux

Dans un communiqué, le ministère algérien des Affaires étrangères reproche à Paris d’avoir violé plusieurs accords internationaux et bilatéraux :

  • Accord algéro-français de 1968 sur la circulation et le séjour des ressortissants,
  • Convention consulaire de 1974,
  • Accord de 2013 sur l’exemption de visas diplomatiques,
  • Convention européenne des droits de l’homme de 1950.

L’Algérie dénonce aussi des entraves à l’acheminement de ses valises diplomatiques, le blocage d’accréditations pour ses consuls (trois consuls généraux et cinq consuls), ainsi que la politique de réadmission des ressortissants algériens jugée contraire aux engagements franco-algériens.

Une crise diplomatique assumée

Alger considère que la crise diplomatique avec la France est née des « provocations et pressions » françaises, et affirme que ses réponses s’inscrivent dans le strict principe de réciprocité diplomatique. L’Algérie précise qu’elle n’a jamais été à l’initiative de l’accord de 2013, soulignant que la demande venait de Paris, et se réserve le droit d’ouvrir d’autres dossiers contentieux à la négociation.

Kader Tahri
Chroniqueur engagé, observateur inquiet
«
Il faut dire les choses comme elles sont, mais refuser qu’elles soient comme ça. »

https://kadertahri.blogspot.com/

 

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