Sous couvert de sécurité et de lutte contre le terrorisme, Israël poursuit une campagne militaire d’une brutalité sans précédent contre Gaza, au mépris du droit international. Pendant que les chancelleries occidentales détournent le regard, la presse rebaptise les violations de trêve en simples “tests”. Derrière cette novlangue se cache une impunité devenue systémique — et une tragédie humaine que le silence du monde rend possible
Quelques
jours à peine après l’annonce d’un cessez-le-feu présenté comme un “pas vers la
paix”, Gaza a de nouveau été frappée. Selon plusieurs témoins locaux et ONG
humanitaires, l’armée israélienne aurait ouvert le feu après qu’un véhicule
militaire a roulé sur un obus non explosé — issu de ses propres bombardements
massifs. L’explosion, immédiatement imputée au Hamas, a servi de justification
à une nouvelle vague de frappes sur l’enclave, faisant des dizaines de morts
parmi les civils.
L’aide
humanitaire, déjà limitée, a été à nouveau suspendue. L’électricité et l’eau
sont rationnées. Les hôpitaux, débordés, fonctionnent à flux tendu dans des
conditions sanitaires désastreuses. À Gaza, chaque cessez-le-feu ressemble à
une parenthèse précaire avant la reprise des bombardements — une pause, jamais
une paix.
Et pourtant,
dans la plupart des médias occidentaux, cet épisode n’a pas été décrit comme
une violation du cessez-le-feu, mais comme un “test” de sa solidité. Une
sémantique révélatrice : dans le lexique diplomatique occidental, la vie
palestinienne n’est plus un enjeu moral, mais un paramètre d’évaluation
stratégique.
La normalisation de la violence
Depuis
plusieurs années, la couverture médiatique du conflit israélo-palestinien s’est
figée dans un récit déséquilibré. Les bombardements israéliens sur Gaza sont
décrits comme des “opérations ciblées” ou des “ripostes”, même lorsqu’ils
frappent des écoles, des hôpitaux ou des camps de réfugiés.
En revanche, chaque roquette artisanale tirée depuis Gaza est présentée comme une
menace existentielle pour l’État hébreu.
Ce
déséquilibre narratif contribue à la normalisation de la violence
israélienne : tuer des Palestiniens devient une routine militaire, un bruit
de fond de l’actualité. Les violations répétées du droit international ne sont
plus scandaleuses ; elles deviennent attendues, presque acceptées.
Ainsi, lorsqu’Israël rase un quartier de Gaza, la question n’est plus “Pourquoi
?”, mais “Combien de temps avant la prochaine fois ?”.
Cette
banalisation a un coût humain et moral considérable. Elle renforce le
sentiment, chez les Palestiniens, que leur souffrance n’a pas la même valeur
que celle d’autres peuples. Elle encourage l’impunité israélienne en confortant
l’idée qu’aucune sanction ne viendra. Et elle affaiblit le droit international
lui-même, transformé en simple rhétorique.
Depuis deux
ans, Israël enseigne au monde ce que signifie le mot « capacité », au
point de qualifier d'ores et déjà ce qui s'est passé dans la bande de Gaza de
« génocide ». La condition sine qua non de la dépendance continue
d'Israël à la force militaire : les milliards de dollars d'aide militaire
annuelle des États-Unis. Si les États-Unis ont été un ami d'Israël, ils ont été
un mauvais ami. Ils ont encouragé le pire chez les Israéliens, au détriment de
son développement en tant que nation prospère et respectée. Le recours d'Israël
à la force est bien connu. L'une des
conséquences de ce recours quasi exclusif à la puissance militaire est un
déclin marqué de la qualité de sa diplomatie. Israël insulte, ment, diabolise
ou terrorise souvent ceux qui expriment des inquiétudes légitimes
La rhétorique de la “sécurité” comme arme
politique
Le
gouvernement israélien justifie ses actions par la nécessité de “neutraliser le
Hamas” et de “sécuriser les citoyens israéliens”. Dans un communiqué récent, le
Premier ministre a réaffirmé que “la guerre ne prendra pas fin tant que le
Hamas ne sera pas totalement désarmé et que Gaza ne sera pas démilitarisée”.
Mais cette
condition, impossible à atteindre sans destruction totale de l’enclave,
condamne d’avance toute perspective de paix. Elle transforme un objectif
politique — la survie d’Israël en guerre sans fin.
Le désarmement total d’un territoire assiégé et meurtri depuis plus de dix-sept
ans est un mirage. Gaza n’est pas un État doté d’une armée classique, mais une
société civile enfermée dans une prison à ciel ouvert, où la résistance —
quelle qu’en soit la forme — devient une question de survie.
Sous cette
rhétorique sécuritaire, l’opération militaire se mue en instrument de
domination politique. Elle permet au pouvoir israélien de renforcer son
contrôle sur les territoires palestiniens, de détourner l’attention de ses
crises internes, et de maintenir une cohésion nationale autour de la peur.
Mais cette stratégie, répétée depuis des décennies, n’a apporté ni sécurité
durable aux Israéliens, ni paix aux Palestiniens. Elle n’a produit qu’un
enchaînement de guerres, de sièges, et de deuils.
L’aveuglement de la communauté internationale
Face à cette
spirale, la communauté internationale persiste dans une prudence coupable. Les
grandes puissances appellent à la “désescalade” tout en livrant des armes à
Israël. Les institutions internationales condamnent du bout des lèvres les
violations du droit humanitaire, sans jamais imposer de sanctions.
Quant à l’Union européenne, elle se réfugie dans une posture ambiguë, oscillant
entre “préoccupation” et “solidarité avec Israël”, sans jamais reconnaître
l’ampleur du désastre humanitaire.
Cette
impuissance — ou ce refus d’agir — renforce le sentiment d’un deux poids,
deux mesures dans la gestion des conflits mondiaux. Lorsque la Russie
bombarde des civils en Ukraine, l’indignation est immédiate et unanime. Lorsque
Israël fait de même à Gaza, les mots se font prudents, les condamnations se
dissolvent dans le relativisme.
Cette
incohérence n’est pas seulement politique : elle est morale. Elle
décrédibilise le droit international, nourrit le ressentiment des peuples, et
creuse un fossé entre les valeurs proclamées et les pratiques réelles des
démocraties occidentales.
Briser le cycle de l’impunité
Reconnaître
cette impunité n’est pas une posture partisane. C’est un devoir d’humanité.
Dénoncer les crimes de guerre commis à Gaza n’implique pas de nier la
souffrance des Israéliens ni les atrocités du Hamas. Mais il faut cesser de
placer les crimes des uns au service de la justification des autres.
Le droit humanitaire international est clair : aucune cause, si légitime
soit-elle, ne justifie la punition collective d’une population civile.
Briser le
cycle exige un changement radical :
- Mettre fin au blocus de Gaza, qui constitue une
forme de siège permanent contraire à toutes les conventions
internationales.
- Conditionner toute aide
militaire à
Israël au respect du droit international.
- Soutenir les mécanismes de
justice internationale, y compris les enquêtes de la Cour pénale
internationale sur les crimes de guerre commis des deux côtés.
- Et surtout, redonner une
voix aux civils palestiniens, réduits au silence par la guerre et par
le récit dominant qui les efface.
Redonner
sens à la paix
La paix ne
se construira pas sur les ruines. Elle ne se décrète pas par des communiqués
diplomatiques ni par des trêves temporaires.
Elle exige une reconnaissance réciproque, une égalité de droits et la fin du
système d’apartheid qui maintient les Palestiniens sous domination militaire.
Tant que la communauté internationale se refusera à nommer les choses —
occupation, colonisation, blocus, punition collective — elle restera complice
de l’injustice.
Le silence
n’est pas neutre. L’inaction n’est pas prudence. Ce sont des choix politiques.
Et chaque jour de silence face à Gaza, chaque mot mesuré pour “ne pas froisser”
Israël, contribue à prolonger une tragédie humaine qui pourrait être arrêtée.
Refuser
cette impunité, c’est défendre un principe universel : la dignité humaine
n’a pas de nationalité.
C’est rappeler que la sécurité d’un peuple ne peut pas reposer sur l’effacement
d’un autre.
Et c’est affirmer, contre la fatalité, qu’une paix juste reste possible — à
condition d’oser la vérité.
A/Kader Tahri
Chroniqueur engagé, observateur inquiet
« Il faut dire les choses comme elles sont, mais refuser qu’elles soient
comme ça. » https://kadertahri.blogspot.com/
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