Il y a dans
certaines plumes de la presse d’extrême droite un talent trouble : celui de
travestir la peur en lucidité, le ressentiment en courage, et la nostalgie en
vérité.
Sous couvert de défendre la liberté de penser, ces textes fabriquent un autre
enfermement : celui d’une France repliée sur ses blessures imaginaires,
persuadée d’être trahie par ses élites et menacée par ses enfants.
Leur
rhétorique se veut dissidente, mais elle obéit à un catéchisme ancien : celui
du déclin.
Le ton se veut prophétique, les mots claquent comme des sentences — caste,
clergé, pays réel, banlieues islamisées.
Tout y est, comme dans un missel de la peur : le peuple sanctifié, les élites
maudites, l’islam fantasmé, Israël transformé en miroir de la civilisation
assiégée.
Ce n’est pas un raisonnement : c’est un récit, une liturgie du désespoir.
La vieille fable du “pays réel”
Le texte
s’ouvre sur un décor familier : d’un côté, le « pays réel », ce peuple
laborieux et silencieux, dépositaire de la vertu nationale ; de l’autre, le «
pays légal », caste arrogante et cosmopolite, qui aurait confisqué la parole.
Rien de neuf : c’est la vieille musique de Maurras, remise au goût du jour.
On y parle de la France comme d’une forteresse trahie, dont les clefs auraient
été livrées à des “sociologues subventionnés” et à des “imams de banlieue”.
La République, dit-on, se serait inclinée. Non : on cherche seulement à la
faire plier.
Car derrière
le mythe du peuple spolié, c’est une idée précise de la France qui se cache,une
France ethnique, hiérarchique, immobile.
Une France mythifiée, épurée de sa diversité, purgée de son histoire coloniale,
aseptisée de tout mélange.
Ce « peuple réel » dont on nous parle n’existe pas : il n’est qu’un fantôme
brandi pour effacer la complexité du présent.
Le lexique du sacré et le goût de l’excommunication
L’auteur se
moque des “prêtres de la morale médiatique”, mais écrit comme un prédicateur.
Tout son texte est une homélie : on y parle de catéchisme, de repentance,
de serment, d’apostasie.
Ironie du siècle : pour dénoncer un prétendu “clergé progressiste”, il en
recrée un autre, celui de la nation sanctifiée, du peuple martyrisé et de la
foi perdue.
Ce ne sont pas les dogmes qu’il combat, mais ceux qu’il envie.
Cette
inflation religieuse n’est pas innocente : elle transforme la politique en
croisade morale.
Elle remplace le débat par le péché, la contradiction par la faute.
Le monde n’est plus à comprendre, mais à purifier.
Et tout se passe comme si, à défaut d’avoir Dieu, l’extrême droite s’était inventée
une transcendance : celle d’une France éternelle, victime expiatoire de la
modernité.
L’islam comme miroir de toutes les peurs
Vient
ensuite la figure de l’ennemi : les banlieues islamisées, les Frères
musulmans, les drapeaux palestiniens dans les cités.
L’islam y est présenté comme une armée silencieuse, une contre-société
fanatisée, un “corps étranger” à la nation.
On ne parle plus de religion, ni de foi, ni même de géopolitique : on parle
d’une menace métaphysique.
Le musulman n’est plus un citoyen, mais un symbole.
Et dans ce glissement s’opère la grande falsification : la peur devient
analyse, le soupçon devient patriotisme.
Car ce texte
ne parle pas d’Israël, il parle de nous.
Il se sert de la tragédie israélo-palestinienne pour en faire une scène
intérieure : celle d’une France en lutte contre son propre pluralisme.
Sous le masque de la solidarité avec Israël, c’est une croisade contre la
diversité française qui s’écrit.
Le Palestinien y sert de paravent au musulman de France, l’islamisme de
prétexte au rejet de l’altérité.
La mémoire confisquée
Pour donner
du poids moral à sa diatribe, l’auteur convoque les ombres héroïques de la
Résistance : les paysans qui cachaient les Juifs, la France “vraie” des humbles
et du courage.
Mais c’est là un détournement, presque une profanation.
On se réclame des justes pour justifier la peur, on invoque les héros pour
condamner les vivants.
La mémoire, ici, n’éclaire plus : elle sert à condamner le présent, à opposer
les morts aux vivants, la pureté d’hier à la souillure d’aujourd’hui.
Ceux qui,
hier, risquaient leur vie pour des persécutés auraient sans doute honte de voir
leur souvenir mobilisé pour désigner de nouveaux suspects.
La morale de la Résistance n’était pas celle du repli, mais celle de l’accueil.
Elle ne disait pas : “défends-toi contre l’autre”, mais “ne te renie pas devant
lui”.
La France qu’on aime ou qu’on enferme
Il y a, au
fond, deux manières d’aimer la France.
L’une consiste à la regarder en face — multiple, inquiète, métissée, traversée
de contradictions.
L’autre consiste à la figer dans le formol, à la momifier sous le drapeau, à la
déclarer morte dès qu’elle change.
Le texte que nous avons lu appartient à cette seconde école : celle qui confond
la fidélité avec la peur, et la lucidité avec le ressentiment.
Ce n’est pas
la France qui baisse les yeux, c’est ce discours qui les ferme.
Il prétend défendre la liberté de nommer les choses, mais il ne sait les nommer
qu’en opposant, en excluant, en accusant.
Il parle de courage, mais ce n’est pas du courage qu’il prêche — c’est le
confort du soupçon.
Il se veut défenseur du réel, mais ne produit que des fictions : un peuple sans
pluralité, un islam sans visage, une République sans citoyens.
Retrouver le vrai courage
Le courage,
aujourd’hui, n’est pas de ressasser les peurs anciennes ; il est de résister à
leur instrumentalisation.
Le vrai courage est de parler du conflit israélo-palestinien sans en faire le
miroir de nos névroses nationales.
Le vrai courage est de refuser la facilité du bouc émissaire, et de penser
l’altérité sans l’ériger en menace.
Le vrai courage, enfin, est de défendre une France qui ne se réduit ni à ses
blessures ni à ses frontières.
Car la
France n’a pas perdu son âme : elle la cherche encore, au milieu de ses débats,
de ses fractures, de ses voix contradictoires.
Et c’est cela, au fond, la démocratie : ce tumulte du réel que les marchands de
peur confondent avec le chaos.
Conclusion
Sous les
airs d’un sermon sur le courage et la vérité, le texte que nous dénonçons n’est
qu’un miroir déformant.
Il n’éclaire pas la France : il la rétrécit.
Il ne dévoile pas une trahison : il invente un ennemi.
Et s’il parle de morale, c’est pour mieux justifier le renoncement à la
complexité, à la nuance, à l’humain.
Alors oui,
il faut nommer les choses : ce n’est pas la France qui s’efface, c’est le
discours qui la nie.
Et face à ceux qui font commerce du désespoir, la seule résistance possible
reste celle de la raison, de la nuance, et du refus obstiné de la haine.
Les
élites progressistes possèdent les mots, les extrémistes sionistes la force.
A/Kader
Tahri
Chroniqueur engagé, observateur inquiet « Il faut dire les choses comme elles sont, mais refuser qu’elles soient
comme ça. » https://kadertahri.blogspot.com/
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