« Les peuples ne meurent
que lorsqu’ils cessent de dire non. »
— Aimé Césaire
L’algérien que je suis a pleinement conscience du changement qui va se
produire dans la géopolitique. Il appelle de ses vœux à une politique en
matière étrangère qui s’efforcera d’entretenir des relations avec tous les pays
étrangers (sauf ceux qui n’épousent pas une cause noble et juste sur le plan
international et plus particulièrement en Afrique et au Moyen orient) mais plus
que jamais ne succombera pas – comme il serait si facile à le faire – à la
tentation de rejoindre l’un ou l’autre des deux blocs qui, désormais divisent
le monde.
L’époque
moderne a ses barons — non plus ceux des champs, mais ceux des tours et des
tableaux Excel. Jadis, la diplomatie était l’art du mot, de l’équilibre, du
dialogue feutré entre États souverains. Aujourd’hui, elle s’est muée en courtage
mondial. Le diplomate se fait agent immobilier, le traité devient
transaction, la paix un produit dérivé qu’on échange contre la reconnaissance
d’un territoire ou la signature d’un contrat.
Steven
Witkoff et Jared Kushner incarnent à merveille cette mutation. Ce ne sont pas
des diplomates, mais des promoteurs — littéralement. Ils viennent non du monde
des chancelleries, mais de celui des gratte-ciels et des deals de luxe. Leur
approche est simple : vendre la paix comme on vend un immeuble, séduire
par l’apparence, intimider par le prix, conclure vite, encaisser plus vite
encore. Ce ne sont pas des architectes du dialogue, mais des marchands du
consentement. Ils ont hérité de la brutalité de Wall Street, pas de la
subtilité de Talleyrand.
Sous la
bénédiction du clan Trump, ces nouveaux croisés du capital ont fait des Accords
d’Abraham leur franchise diplomatique. Le modèle est clair : un pays arabe
normalise avec Israël, Washington y trouve un levier géopolitique, Tel-Aviv un
débouché économique, et un petit groupe de « conseillers » engrange gloire et
contrats. Le Maroc a été la pièce suivante sur l’échiquier. En échange
d’une reconnaissance américaine de sa souveraineté sur le Sahara occidental,
Rabat a offert ses salutations diplomatiques à Tel-Aviv et à la Maison-Blanche.
Ce n’était pas un accord de paix : c’était un échange de titres fonciers.
L’Algérie, obstacle à la marchandisation du Maghreb
Mais sur le
flanc est du Maghreb se dresse un pays rétif, insoumis, imprévisible : l’Algérie.
Elle n’a pas oublié. Cent trente-deux années d’occupation, sept années de
guerre totale, des millions de vies sacrifiées pour arracher la dignité — ce
passé forge une conscience nationale qui ne se laisse pas acheter. Et c’est
bien cela qui gêne Washington et ses relais : un peuple qui se souvient.
Car la
logique américaine, depuis la fin de la guerre froide, n’a pas changé :
transformer les régions instables en marchés contrôlables, sous-traiter la
sécurité à des alliés « fiables » et marginaliser ceux qui refusent de se
ranger. L’Afrique du Nord devait être, dans ce plan, une extension de l’OTAN
économique. Le Maroc, en s’arrimant à la diplomatie américaine et en s’offrant
comme relais d’Israël en Afrique, joue son rôle : celui de pivot atlantique. L’Algérie,
elle, reste ce grain de sable dans la mécanique. Trop fière pour obéir, trop
indépendante pour plaire.
Il faut
alors isoler Alger, la priver d’alliés, l’accuser d’« immobilisme », la
peindre en « ennemie de la paix ». Cette rhétorique est vieille comme
l’impérialisme : le colonisateur accuse toujours le colonisé de refuser la «
civilisation », le dominant reproche toujours au dominé de ne pas coopérer à sa
propre servitude.
Le nouvel ordre atlantique : l’illusion de la
stabilité
Les
diplomates de Washington, de Kissinger à Blinken, récitent la même partition :
défendre Israël, contenir la Russie, neutraliser la Chine et pacifier « le Sud
». En d’autres termes : assurer la stabilité des profits occidentaux.
Sous ce vernis de sécurité, on retrouve la logique du pillage, maquillée en
coopération. Le vocabulaire a changé, pas les intentions.
L’Afrique,
le Moyen-Orient, le Maghreb ne sont plus regardés comme des partenaires, mais
comme des zones à sécuriser pour la circulation du capital. Le pétrole, le gaz,
les minerais stratégiques, les routes commerciales : tout doit être intégré à
la grande infrastructure de l’économie atlantique.
Et chaque fois qu’un pays tente de s’émanciper, on déploie les instruments
familiers : sanctions, campagnes médiatiques, insinuations sur les « droits
humains », et, au besoin, déstabilisation par procuration.
C’est ce
qu’a connu l’Algérie dans les années 1990, quand la CIA regardait ailleurs
pendant que le pays sombrait dans la décennie noire. C’est ce qu’elle connaît
encore aujourd’hui, lorsqu’on la somme de « s’ouvrir » à des accords qu’elle
n’a pas sollicités. Car l’Algérie refuse de céder sur le Sahara occidental : question
de principe, non de commerce. Et c’est ce refus-là que Washington, Londres
et Rabat veulent briser.
Une diplomatie de l’Excel et du mépris
La
diplomatie américaine contemporaine ne parle plus le langage des idées, mais
celui des chiffres. On ne négocie plus ; on optimise. On ne convainc pas
; on valorise. Dans les couloirs des institutions internationales, la
paix devient une « offre », la souveraineté un « coût », la
résistance un « risque réputationnel ». Le cynisme a remplacé le
dialogue, la comptabilité a étouffé la morale.
Dans cette
logique, les « médiations » américaines au Maghreb ne visent jamais la
justice, mais la rentabilité géopolitique. Kushner, Witkoff et consorts
agissent comme des banquiers d’influence : ils proposent, séduisent, menacent.
Et lorsqu’un État refuse — l’Algérie, en l’occurrence — ils passent au registre
du dénigrement. Les médias alliés reprennent la mélodie : « l’Algérie refuse
la paix », « Alger s’isole », « le Maghreb avance sans elle
». Tout cela n’est qu’une mise en scène destinée à justifier une
marginalisation programmée.
L’entité sioniste : bras armé et laboratoire de
l’impérialisme
Il serait
naïf de croire que la diplomatie américaine est guidée par Israël. C’est le
contraire : l’entité sioniste agit comme l’avant-poste de l’impérialisme
américain au Moyen-Orient. Depuis 1948, elle sert de gendarme régional
pour le compte du complexe militaro-industriel yankee. Elle teste, elle
expérimente, elle applique ; puis Washington généralise. Les technologies de
surveillance, les doctrines sécuritaires, les discours de « lutte contre le
terrorisme » : tout cela vient du même creuset, celui d’un colonialisme
travesti en croisade morale.
Le sionisme
n’est pas qu’une idéologie de domination sur la Palestine : c’est une
méthode impériale. Il naturalise l’occupation, il justifie l’apartheid, il
transforme la dépossession en nécessité historique. Et cette méthode, les
puissances occidentales la reprennent avec zèle. Car elle permet d’appeler « stabilité
» ce qui n’est que soumission, et « progrès » ce qui n’est que
pillage.
L’Algérie face à l’ultimatum : refuser sans rompre
Alors que
Washington brandit la menace d’un isolement diplomatique, Alger adopte une
posture subtile : ouverture de principe, refus de fond. C’est là tout
l’art de la résistance diplomatique algérienne : ne jamais se fermer, mais ne
jamais céder. Dire oui à la discussion, non à la reddition. Le pays doit, dans
les mois et années à venir, tenir cette ligne : accueillir les médiateurs, mais
poser ses conditions ; écouter, mais décider seul.
Trois axes
s’imposent :
Maintenir la
souveraineté décisionnelle : aucune pression, fût-elle américaine, ne doit infléchir la position
algérienne sur le Sahara occidental, la Palestine ou la non-alignement
stratégique.
Multiplier
les partenariats équilibrés : Pékin, Moscou, Ankara, Afrique du Sud, mais aussi les pays du Sud global
partagent avec Alger la même méfiance envers l’hégémonie occidentale. L’Algérie
doit devenir l’un des pôles d’un monde multipolaire, non le client d’un empire.
Renforcer la
diplomatie populaire : la
conscience nationale et la solidarité panafricaine sont les meilleurs remparts
contre la propagande atlantiste. L’Algérie doit s’adresser aux peuples, pas
seulement aux gouvernements.
Le Maroc, instrument et mirage
Il faut
aussi dire les choses crûment : le Maroc est devenu l’outil privilégié de cette
stratégie. En se présentant comme le « partenaire stable » de
l’Occident, Rabat s’est enchaîné à un rôle subalterne : gendarme de
l’Atlantique, vitrine africaine d’Israël, relais économique pour le capital
américain. Mais ce pacte a un prix : la perte de marge politique.
Car un pays qui fonde sa légitimité sur la reconnaissance d’autrui finit
toujours par mendier cette reconnaissance.
La rivalité
entre Alger et Rabat n’est pas seulement une querelle de frontières, mais un choix
de modèle : souveraineté ou dépendance, mémoire ou oubli, fidélité aux
peuples ou soumission aux puissances. L’histoire jugera.
Pour une diplomatie de dignité
La véritable
diplomatie algérienne ne consiste pas à multiplier les alliances opportunistes,
mais à restaurer le sens du juste. Elle repose sur trois piliers :
La
solidarité avec les peuples en lutte (Palestine, Sahara occidental, Afrique
subsaharienne) ;
Le refus de
toute domination, quelle qu’en soit l’origine ;
Et la
conviction que la paix ne se signe pas entre puissants, mais entre égaux.
Dans cette
optique, Alger doit continuer à défendre un modèle alternatif : celui d’un Sud
qui ne demande pas la charité, mais le respect. Celui d’un monde où la
coopération ne signifie pas l’obéissance. Celui d’une souveraineté qui ne se
négocie pas au prix du silence.
Le discours du refus
Les
États-Unis, le Maroc et leurs relais médiatiques nous accusent d’immobilisme.
Soit. Nous préférons l’immobilisme de la dignité à la mobilité de la servitude.
Refuser, c’est résister. Résister, c’est vivre. Et vivre libre, c’est refuser
de signer des traités qui insultent notre histoire.
L’Algérie
n’a jamais cédé aux colonnes françaises, aux chars de l’OTAN, ni aux marchés du
FMI. Ce n’est pas pour plier devant deux promoteurs new-yorkais.
Qu’on ne s’y trompe pas : le chantage économique n’aura pas raison d’un peuple
qui a déjà survécu à la colonisation, au terrorisme et à la pauvreté. Le refus
n’est pas un caprice, mais un devoir.
Et ce refus doit s’accompagner d’un contre-projet : un Maghreb
décolonisé, uni, fondé sur la justice, non sur la tutelle.
Conclusion :
Ce siècle
n’est plus celui des blocs Est-Ouest, mais celui de la recomposition mondiale.
Entre la Chine, la Russie, les BRICS, l’Afrique en pleine affirmation et les
puissances occidentales en perte d’autorité morale, une nouvelle géographie
politique s’écrit. L’Algérie doit y jouer sa partition — libre, lucide,
indépendante.
Le monde a
besoin d’un nouveau non-alignement, non pas comme posture neutre, mais comme acte
militant. Refuser d’appartenir à un bloc, c’est affirmer qu’aucune
puissance n’a le droit d’écrire notre destin.
Et dans cette bataille pour l’indépendance du XXIᵉ siècle, l’Algérie n’est pas
seule : elle porte avec elle la mémoire des peuples du Sud, l’héritage des
luttes anticoloniales et la promesse d’un avenir affranchi.
Les barons
de la diplomatie américaine peuvent bien multiplier les deals et les ultimatums.
Ils ne comprendront jamais une chose : un peuple qui a conquis sa liberté ne
la renégocie pas.
« L’histoire
des peuples libres n’est pas écrite dans les bureaux de Washington, mais dans
le cœur de ceux qui refusent de se soumettre. »
A/Kader Tahri / Chroniqueur engagé,
observateur inquiet
« Il faut dire les choses comme elles sont, mais refuser qu’elles soient
comme ça. » https://kadertahri.blogspot.com/
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