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Maroc/ La victoire avant le sifflet final : quand le Makhzen médiatique se prend pour un verdict

À la veille du vote de la résolution onusienne sur le Sahara occidental, une partie de la presse marocaine s’est empressée de célébrer une victoire diplomatique annoncée. Le ton est triomphal, les superlatifs débordent, et la prudence diplomatique semble reléguée au second plan. Mais derrière cette euphorie, une autre lecture s’impose : celle d’un récit fabriqué, où la ferveur nationale prend la place de la vérité politique.

Le triomphalisme comme réflexe

Depuis quelques jours, les manchettes de la presse proche du pouvoir marocain affichent une assurance sans faille.

Les titres s’enchaînent : Victoire diplomatique historique, “le rêve séparatiste enterré”, l’ONU acte le plan marocain.

La source de cette liesse ? Un draft zéro de résolution du Conseil de sécurité — autrement dit, un document de travail, préliminaire, non encore voté. Mais qu’importe : l’important n’est pas ce qui est écrit, mais ce que l’on veut y lire.

Cette célébration anticipée s’inscrit dans une logique bien connue : celle d’un journalisme sujet du Palais  où l’éditorial se confond avec la volonté royale.
L’information n’est plus description mais divination Le style, martelé, transforme la spéculation en certitude et la certitude en victoire. Le verbe supplante le fait. Le commentaire tient lieu de preuve.

Le récit remplace la réalité

Ce ton d’assurance ne relève pas seulement du zèle royaliste. Il répond à un besoin plus profond : celui de fabriquer un récit collectif, où le Maroc s’impose comme acteur légitime, victorieux et éclairé, face à une Algérie réduite à la caricature du “régime paniqué”.
Dans cette mise en scène, le conflit du Sahara n’est plus une question de droit international, mais une lutte morale entre modernité et archaïsme, entre raison et “hostilité voisine”.

Le procédé du Palais est efficace : il mobilise l’émotion, simplifie la complexité et offre à l’opinion une épopée. Mais ce récit ne dit rien des nuances, ni des réalités politiques.
La diplomatie, elle, ne se nourrit pas de slogans mais de prudence, de patience et de compromis — trois vertus que la ferveur médiatique balaie d’un revers de manche.

Le pouvoir des mots

Les mots, ici, ne sont pas neutres.
Quand une dépêche affirme que “l’autonomie constitue la seule base crédible” ou qu’elle “garantit l’autodétermination”, elle ne se contente pas de rapporter : elle réécrit le langage du droit international.
L’autodétermination, hier synonyme de référendum, devient aujourd’hui synonyme d’autonomie sous souveraineté marocaine.

Changer les mots, c’est déplacer le sens et déplacer le sens, c’est rediriger le réel. Cette opération linguistique est au cœur du triomphalisme monarchiste. L’auteur ne discute pas, il décrète. Il ne cite pas, il consacre.
La rhétorique du “consensus international” remplace le débat sur le fond, et l’unanimisme proclamé masque la persistance des désaccords.

Trump, l’ombre tutélaire

Un autre détail intrigue : la présence quasi rituelle du nom de Donald Trump. L’ancien président américain, dont la reconnaissance du Sahara marocain avait provoqué une onde de choc, revient dans le discours médiatique comme une figure de validation ultime.
Le leadership du président américain” y est célébré, “son engagement pour la stabilité régionale” invoqué.
Peu importe que le Conseil de sécurité ne fasse nulle mention de lui : l’ombre de Trump sert de caution, comme si la puissance du symbole pouvait pallier le manque de consensus.

Ce recours à l’amabilité américaine traduit une dépendance plus qu’une assurance.
Il exprime le besoin de reconnaissance extérieure pour asseoir la légitimité interne — paradoxe d’un discours qui proclame la souveraineté tout en la plaçant sous tutelle symbolique.

Le théâtre du triomphe

À force de crier victoire, le discours finit par trahir sa propre nervosité. Car un pays sûr de lui n’a pas besoin de claironner. Ce besoin d’affirmer la victoire avant le verdict traduit une peur sourde : celle que le réel ne suive pas le récit. L’allégresse se fait masque, l’excès de confiance cache l’inquiétude.
C’est une stratégie politique du Royaume — mais aussi une fragilité psychologique.

Le Maroc, en quête de reconnaissance internationale, cherche à verrouiller le récit avant le vote, à figer dans le marbre une victoire encore hypothétique.
Mais en diplomatie, le temps du verbe n’est jamais celui des urnes.
L’histoire ne se plie pas à la hâte des manchettes.

L’oubli du doute

Dans cette effervescence médiatique, ce qui disparaît, c’est la capacité de douter.
Douter n’est pas renoncer. C’est reconnaître que le réel ne s’écrit pas à l’encre d’une seule plume.
Or, le discours triomphaliste ne doute jamais. Il ne s’interroge pas : il affirme, il accuse, il célèbre. Et ce refus du doute, dans un contexte régional aussi sensible, est peut-être le plus grand danger. Car la diplomatie n’est pas un champ de bataille : c’est un espace de langage.
Et dans cet espace, l’arrogance du verbe est souvent l’ennemie de la raison.
Le patriotisme mature, lui, n’a pas peur de la nuance.

Une victoire de papier

Le projet de résolution tant commenté n’a pas encore été adopté. Aucun texte officiel n’entérine à ce jour le plan marocain comme “unique base de solution”.
Mais déjà, les plumes s’enflamment, les plateaux s’agitent, les certitudes s’épaississent.
C’est une victoire de papier, une victoire narrative.
Et si le vote final diffère, il sera toujours temps d’inventer un autre récit pour sauver la face.

C’est ici que se joue la véritable bataille : non sur le terrain du droit, mais sur celui du langage public.
Gagner la perception, c’est influencer le réel. Mais à force de manipuler la perception, on finit parfois par se tromper soi-même.

La force de la lucidité

Il n’est pas question ici de nier la légitimité du Maroc à défendre sa position, ni de minimiser les enjeux géopolitiques du Sahara.
Mais entre défendre une cause et confondre ferveur nationale et vérité internationale, il existe une frontière — celle de la lucidité.
Le Monarchisme éclairé n’est pas celui qui triomphe à tout prix, mais celui qui sait attendre, comprendre, négocier.

La région maghrébine, déjà saturée de blessures, n’a pas besoin d’une surenchère de certitudes, mais d’un retour à la mesure. Et la presse du Roi, au lieu d’alimenter la fièvre, pourrait retrouver sa mission première : embrasser sans enflammer. Car si l’histoire a un langage, c’est celui de la patience. Et elle finit toujours par démentir ceux qui parlent trop tôt en son nom.

A/Kader Tahri / Chroniqueur engagé, observateur inquiet
« Il faut dire les choses comme elles sont, mais refuser qu’elles soient comme ça. »   
https://kadertahri.blogspot.com/                                        

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