Parfois il m'est utile de le dire !

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Le Makhzen : La fabrique du mythe marocain


 Sous couvert d’érudition, Bernard Lugan recycle une vieille rhétorique coloniale au service d’un discours du Makhzen en présentant celui-ci comme victime du « statu quo colonial » et l’Algérie comme « invention française », l’historien autoproclamé se fait le relais d’une vision politique, non scientifique.

Une falsification tranquille de l’histoire maghrébine, qui en dit plus sur la géopolitique du présent que sur le passé qu’il prétend expliquer. Ses travaux sont souvent critiqués pour leur vision conservatrice et ethnocentrée, et dans le cas précis du Maroc, il est fréquemment accusé d’être proche du discours officiel marocain, notamment sur le Sahara occidental et la question frontalière avec l’Algérie. Il faut donc lire ces travaux comme une tribune militante, non comme une étude scientifique neutre.

Bernard Lugan se rêve en lanceur d’alerte et il se croit lanceur de vannes. Mais la vérité, moins glorieuse, plus terre à terre, c’est qu’il maîtrise surtout l’art de lanceur de pets : le vacarme et la senteur, le bruit et l’odeur, ça, il gère très bien. Et comme toujours chacun de ses pets devient un communiqué très médiatisé par la presse du Palais.

Le Maroc, victime millénaire ? Un récit qui arrange

Il y a 10 ans des mauvais génies nous refourguaient un mec sorti de nulle part = Bernard Lugan historien au service du Royaume Marocain  dans une chronique, il nous présente le Maroc comme une victime du principe d’intangibilité des frontières adopté par l’Organisation de l’unité africaine (OUA) en 1964.
Selon lui, Rabat aurait été « contraint d’accepter que ses provinces historiques millénaires soient rattachées à une Algérie née en 1962 ». Une thèse séduisante, mais historiquement creuse.

Avant la colonisation, le Maroc n’était pas un État-nation aux frontières fixes. L’autorité du sultan s’étendait selon des logiques d’allégeance et de commerce, non de souveraineté territoriale. Les régions de Tindouf, Béchar ou Tabelbala ne constituaient pas des « provinces marocaines » : elles étaient des zones de contact mouvantes entre tribus sahariennes, au carrefour des routes caravanières.

Ce que Lugan appelle des « amputations coloniales » n’est en réalité qu’un découpage administratif européen d’un espace historiquement fluide. En prétendant restaurer un Maroc « millénaire », il projette sur le passé les fantasmes territoriaux du présent.

L’Algérie « invention française » : une falsification politique

L’autre pilier du récit de Lugan consiste à nier la profondeur historique de l’Algérie.
L’historien affirme que ce pays « créé par la colonisation » aurait été gratifié de « largesses territoriales » par la France, au détriment du Maroc.

Cette thèse, popularisée dans certains cercles proches du pouvoir marocain, relève d’une lecture coloniale inversée : elle reprend les arguments du colonisateur pour les retourner contre un autre État postcolonial.

Or, l’Algérie existait comme espace politique bien avant 1830. Les royaumes Zianide, Hammadide ou Rostémide ont exercé leur autorité sur ces territoires durant des siècles.
La colonisation française n’a pas « créé » l’Algérie ; elle l’a réorganisée de force, en effaçant les structures locales et en imposant ses frontières.

Dire que la France « a offert » des terres à l’Algérie revient à nier la continuité historique d’un peuple et d’un territoire — une négation qui, sous la plume de Lugan, devient justification implicite des revendications marocaines.

L’intangibilité des frontières : une décision africaine, pas coloniale

Lugan présente le principe d’intangibilité des frontières comme un dogme injuste imposé à l’Afrique indépendante. C’est une contre-vérité.

Le 21 juillet 1964, lors de la Conférence du Caire, les dirigeants africains ont eux-mêmes décidé de sanctuariser les frontières héritées de la colonisation. Leur objectif n’était pas d’entériner l’arbitraire européen, mais d’éviter la guerre générale entre États nouvellement indépendants. Revoir chaque frontière aurait transformé le continent en champ de bataille. Comme l’expliquait alors Julius Nyerere, président de la Tanzanie :

«Si nous rouvrons le dossier des frontières, nous passerons le reste du siècle à les redessiner »

Le Maroc, isolé dans son refus, s’est marginalisé au sein du continent. Qualifier cette position de « prophétique » relève d’un contresens : le Royaume ne fut pas visionnaire, mais exceptionnaliste — prisonnier d’une lecture historique mythifiée.

Les conflits africains, miroir déformant

Lugan soutient que la plupart des guerres africaines découlent directement de la question des frontières. Une affirmation qui simplifie dangereusement la réalité.

Certains conflits — du Nigeria au Soudan, du Rwanda à la Somalie — trouvent effectivement leurs racines dans les découpages coloniaux.
Mais réduire la tragédie africaine à un problème cartographique, c’est nier la complexité politique, économique et sociale du continent.

Les guerres africaines résultent aussi :

  • de la faillite des États postcoloniaux,
  • des manipulations ethniques,
  • des inégalités économiques,
  • de la compétition pour les ressources,
  • du réchauffement climatique et des migrations forcées.

La frontière n’est pas la cause unique : elle est le révélateur de tensions plus profondes. En faire l’alpha et l’oméga de l’instabilité africaine relève d’un populisme intellectuel.

Un discours au service du Makhzen

Derrière l’apparente érudition, le texte de Lugan épouse la rhétorique d’État du Maroc : celle d’un pays trahi par la colonisation, encerclé par des frontières injustes, victime d’un voisin ingrat.
Le tout servi par un vocabulaire pseudo-historique — « provinces millénaires », « spoliation », « charcutage colonial » — qui vise à légitimer la politique expansionniste du Makhzen, notamment sur la question du Sahara occidental.

Cette posture n’a plus rien d’universitaire : c’est de la communication politique.
Un historien digne de ce nom confronte les faits, il ne les arrange pas.
En opposant un Maroc glorieux à une Algérie illégitime, Lugan ne fait pas œuvre d’histoire, mais de récit stratégique au service d’une diplomatie régionale.

Le vrai choix africain : la stabilité avant la revanche

Ce que le texte de Lugan passe sous silence, c’est que le principe d’intangibilité, malgré ses limites, a sauvé le continent du morcellement.
Les États africains ont préféré la stabilité à la revanche, le droit à la mémoire sélective.

Loin d’être un « héritage colonial », ce choix fut un acte de souveraineté panafricaine.
Il n’a pas effacé les blessures du passé, mais il a empêché qu’elles ne se transforment en désastres contemporains.
C’est cela, le véritable héritage de 1964 — pas une soumission à l’Occident, mais une sagesse africaine face au chaos que promettait la revanche territoriale.

Recoloniser par le récit

En définitive, ce que fait Bernard Lugan, c’est prolonger le colonialisme sous une autre forme : la colonisation du récit historique.
Il ne trace plus des cartes, mais des mythes. Il remplace la géographie par la nostalgie et la rigueur scientifique par la passion politique.

Son texte ne parle pas du passé : il fabrique une mémoire utile à un pouvoir contemporain. Et cette mémoire, comme toutes les mémoires d’État, efface, simplifie, ment.

Conclusion : Décoloniser l’histoire, libérer la mémoire

L’Afrique n’a pas besoin de nouveaux prophètes de la revanche.
Elle a besoin d’historiens capables de regarder en face la complexité de son passé, sans drapeaux ni allégeances.

L’histoire du Maghreb ne se résume pas à une querelle frontalière.
Elle raconte des peuples liés par des langues, des luttes et des rêves communs — des peuples que les frontières ont séparés, mais que les falsifications d’historiens opportunistes ne parviendront pas à diviser.

Décoloniser l’histoire, c’est refuser que la mémoire devienne un instrument de pouvoir.

C’est rappeler, face aux mythes officiels, que la vérité ne sert aucun royaume. Or, c’est là où le bât blesse, Bernard Lugan  selon tous les journalistes (même les mainstream ou les collabos, qui n’ont pas fait exprès en valorisant son rôle) ont écrit sur lui, comme historien de service.

Juste deux, mots, l’Algérie est probablement le dernier pays de la sphère arabe qui reste encore libre de l’emprise occidentale et c’est aussi le seul pays africain de l’ancienne colonie française qui est vraiment indépendant de la France. Méditez cela.
Quant à la provocation l’Algérie, elle est plus grande de tout ceci.

A/Kader Tahri / Chroniqueur engagé, observateur inquiet
« Il faut dire les choses comme elles sont, mais refuser qu’elles soient comme ça. »   https://kadertahri.blogspot.com/

Immigration : quand la peur remplace la raison

Sous couvert de lucidité, certains éditorialistes d’extrême droite transforment la question sociale en guerre identitaire. Derrière le discours sur le “servage moderne” et la “France défigurée”, se cache une manipulation idéologique : faire des travailleurs immigrés les boucs émissaires d’un système qu’ils subissent autant qu’ils le font tourner.

Quand la “lucidité” devient une arme politique

Le discours se présente comme courageux, réaliste, presque moral : il “dit la vérité nue” sur la France “mondialisée”, où les immigrés seraient à la fois nécessaires et indésirables. Mais derrière cette posture de franchise, c’est une rhétorique de la peur qui s’impose.
Les mots claquent — “servage moderne”, “féodalité postmoderne”, “désordre migratoire” — pour dresser le tableau d’une nation déchue. Ce vocabulaire dramatique vise à frapper les esprits, à fabriquer l’urgence et la colère, non à éclairer le débat.

Eric Zemmour   suite au cambriolage du Louvre, le fondateur de Reconquête est aux anges : les fuyards s'apprêtaient à partir pour l'Algérie. Seule ombre au tableau selon lui : on les a retenus sur le territoire français.

Le texte se conclut sur un appel à la régénération morale : “réapprendre à distinguer la charité de la lâcheté, la justice de la complaisance, la fraternité de l’oubli de soi”. En apparence, un éloge de la vertu ; en réalité, une confusion morale soigneusement entretenue.
Derrière ce langage de la “vertu retrouvée”, l’extrême droite impose une justice sans égalité et une fraternité sans altérité. Ce qu’elle nomme “oubli de soi” n’est autre que la solidarité universelle, fondement même de la République.

L’idée d’un “salut de la France” par le “retour à la vérité” d’un peuple “libre et maître chez lui” relève moins d’un projet politique que d’un slogan identitaire.
Elle oppose une France pure, mythifiée, à une France réelle, diverse et vivante. Ce fantasme d’un peuple “qui ne se renie pas” sert à exclure ceux dont les origines ou les appartenances ne cadrent pas avec ce récit national nostalgique.

Pourtant, paradoxe souvent occulté, une part importante des sympathisants et électeurs de l’extrême droite sont eux-mêmes issus de l’immigration.
Des Français d’origine maghrébine, portugaise, italienne ou polonaise adhèrent aujourd’hui à ces discours de rejet, croyant y trouver une forme de reconnaissance ou d’appartenance nationale. Ce phénomène ne relève pas de l’ironie mais d’un drame social : le désenchantement républicain.
Quand la promesse d’égalité ne se concrétise pas, quand l’ascenseur social reste bloqué, il devient tentant de chercher ailleurs un sentiment de fierté — même dans un discours qui finit par vous exclure.
Ainsi, certains descendants d’immigrés intériorisent la rhétorique qui les stigmatise, espérant s’en distinguer : c’est l’un des effets pervers les plus saisissants du ressentiment national.

Ce discours prétend restaurer la dignité, mais il réinstaure symboliquement un ordre colonial : celui d’une France où les uns commandent et les autres servent, où le “respect de ceux qu’on accueille, dans la mesure du possible” signifie en réalité tolérance conditionnelle.
La hiérarchie implicite entre les “vrais Français” et les “tolérés” contredit frontalement l’idéal républicain d’égalité. Elle déguise la peur en fierté, et la méfiance en patriotisme.

Réapprendre la fraternité, ce n’est pas dresser des murs autour de soi : c’est reconnaître la pluralité de ce “nous” français, tissé de migrations, de luttes et de métissages.
Le salut de la France ne viendra pas d’un repli nostalgique, mais d’une affirmation lucide et apaisée d’une identité ouverte, consciente de sa diversité.
Car ceux qui prétendent “ne pas se renier” sont souvent les premiers à renier ce qu’est réellement la France : une nation plurielle, fière, mais jamais figée.

Un discours plein de contradictions

L’auteur reconnaît que sans les travailleurs immigrés, l’économie française ne tiendrait pas debout. Pourtant, il transforme cette réalité en menace.
On dénonce l’exploitation tout en refusant l’intégration, on critique la dépendance tout en niant l’apport.
Cette contradiction révèle l’essence du discours d’extrême droite : faire de l’immigré un problème, même lorsqu’il est la solution.
Au lieu d’analyser les mécanismes économiques de l’exploitation, le texte préfère un récit identitaire : ce ne serait plus la logique du marché qu’il faut combattre, mais “l’étranger”.

Le mythe du Français trahi

Autre stratégie bien connue : le renversement victimaire.
Le Français “de souche” serait marginalisé, culpabilisé, pendant que les immigrés bénéficieraient d’une compassion d’État.
L’antiracisme devient alors, selon l’auteur, une “religion officielle” qui interdit toute critique.
Ce renversement rhétorique permet de présenter la parole raciste comme une vérité courageuse — une posture commode pour masquer un discours de domination.
L’objectif est clair : délégitimer la lutte contre les discriminations en la réduisant à une hypocrisie morale.

Les vraies causes passées sous silence

Dans cette vision du monde, les causes structurelles disparaissent.
Pas un mot sur la précarisation du travail, les politiques migratoires restrictives, les discriminations systémiques, ou les effets du capitalisme globalisé.
Tout est ramené à une opposition binaire : “eux” contre “nous”.
Ce glissement du social vers l’identitaire permet d’évacuer la responsabilité politique et économique réelle, celle qui exploite autant les Français précaires que les travailleurs venus d’ailleurs.

La République défigurée par ceux qui prétendent la défendre

L’auteur invoque sans cesse la République, la fraternité, la dignité du travail.
Mais ces mots, sous sa plume, sont dévoyés.
Une République qui hiérarchise les citoyens selon leurs origines, une fraternité qui exclut, une dignité réservée à certains, ne sont plus républicaines.
C’est là le paradoxe : au nom de la France, on trahit ce qui la fonde.

Lucidité ou lâcheté morale ?

Oui, la France traverse une crise sociale et identitaire. Mais la réponse ne viendra pas du repli ni du mépris.
Être lucide, c’est reconnaître les injustices structurelles ; être lâche, c’est les transformer en peur de l’autre.
La “lucidité” prônée par ces textes n’est qu’un autre nom de la haine maquillée en clairvoyance.

La véritable force républicaine ne consiste pas à désigner un ennemi, mais à refuser le mensonge.
Ce n’est pas la diversité qui fragmente la France, mais l’injustice.

Conclusion : la République ou le ressentiment

L’article d’extrême droite prétend défendre la dignité et la liberté, mais il ne fait que nourrir le ressentiment.
Les travailleurs immigrés ne sont pas les fossoyeurs de la France, ils en sont les bâtisseurs invisibles.
Et si la République veut “vivre debout”, comme le dit l’auteur, elle ne le fera pas contre eux — mais avec eux, dans l’égalité, la justice et la vérité.

A/Kader Tahri / Chroniqueur engagé, observateur inquiet
« Il faut dire les choses comme elles sont, mais refuser qu’elles soient comme ça. »   https://kadertahri.blogspot.com/

 

Le zèle marocain ou la diplomatie de la mystification


 Quand Rabat instrumentalise Washington et diabolise Alger pour enterrer le droit du peuple sahraoui

À la veille du vote attendu au Conseil de sécurité sur la résolution dite « 2025 » concernant le Sahara occidental, la presse officielle marocaine s’est livrée à une opération médiatique de célébration prématurée.
À lire les manchettes de Rabat, on croirait que la « victoire diplomatique » est déjà acquise, que l’ONU s’apprête à entériner la souveraineté marocaine sur un territoire pourtant reconnu par la communauté internationale comme non autonome.
Ce triomphalisme, loin d’être anodin, révèle le grand zèle d’un régime obsédé par la reconnaissance internationale d’un fait accompli colonial, au mépris du droit, de la vérité et de la dignité des peuples.

L’instrumentalisation flagrante du rôle américain

Le texte relayé par la presse du Royaume érige les États-Unis en arbitre et garant d’un « règlement définitif » du conflit, citant même « le leadership du président Trump » comme tournant historique.
Faut-il le rappeler ? Cette reconnaissance unilatérale du plan marocain par Donald Trump, en décembre 2020, fut un acte politique opportuniste, échangé contre la normalisation des relations du Maroc avec Israël — une monnaie d’échange diplomatique et non une reconnaissance de principe fondée sur le droit international.

Depuis lors, ni l’ONU, ni l’Union européenne, ni même l’administration Biden n’ont entériné cette position.
Le droit international, lui, demeure inchangé : le Sahara occidental figure toujours sur la liste des territoires non autonomes des Nations Unies, en attente de décolonisation.
L’invocation récurrente du soutien américain relève donc de la pure instrumentalisation politique — un moyen pour Rabat de travestir une relation d’allégeance diplomatique en caution morale mondiale.

Ce zèle pro-américain trahit la fragilité du narratif marocain.
Car plus Rabat s’appuie sur des soutiens circonstanciels, plus elle révèle l’absence d’un véritable consensus international autour de son plan d’autonomie.

L’effacement programmé du peuple sahraoui

Plus grave encore, la propagande marocaine s’emploie à nier l’existence même du peuple sahraoui.
Le texte évoque avec satisfaction « l’invisibilisation du Polisario », comme si la marginalisation du représentant légitime du peuple du Sahara occidental constituait une victoire diplomatique.
Cette phrase résume à elle seule la dérive morale et politique de Rabat : effacer la voix d’un peuple pour lui imposer un destin.

Le Front Polisario est pourtant reconnu par les Nations Unies et l’Union africaine comme le représentant légitime du peuple sahraoui.
Le réduire à une marionnette d’Alger, c’est nier le principe fondateur de la Charte des Nations Unies : le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
C’est aussi une manière cynique de détourner l’attention de l’essentiel : la question du Sahara occidental n’est pas un contentieux bilatéral, mais une question de décolonisation inachevée.

Ce silence organisé autour du peuple sahraoui n’est pas accidentel : il est au cœur de la stratégie marocaine.
Rendre invisible, c’est tenter d’effacer ; et effacer, c’est espérer légitimer la domination.
Mais aucun artifice diplomatique ne saurait dissoudre un peuple de son droit à la liberté.

La diabolisation obsessionnelle de l’Algérie

La propagande marocaine ne se contente pas de travestir le droit international ; elle s’emploie également à diaboliser l’Algérie, qualifiée de « régime hystérique » ou d’« acteur manipulateur ».
Une rhétorique digne des temps coloniaux, où l’on cherche à désigner un ennemi extérieur pour masquer l’échec intérieur.
Rabat tente de transformer un différend entre un peuple colonisé et une puissance occupante en une rivalité géopolitique entre deux États voisins.

L’objectif est clair : faire oublier la nature coloniale du conflit et bilatéraliser une question qui relève, par essence, du droit des peuples à l’autodétermination.
Mais l’Algérie n’a jamais revendiqué le Sahara occidental.
Elle soutient — et continuera de soutenir — le principe intangible du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, fondement du système international issu de 1945.
Qualifier ce soutien de « provocation » ou de « manipulation », c’est attaquer le cœur même du droit international.

Cette obsession anti-algérienne révèle une diplomatie en perte de repères, où le voisin devient bouc émissaire, et la vérité, simple variable d’ajustement médiatique.

Une diplomatie de l’illusion

Raccourcir le mandat de la MINURSO, annoncer des délais irréalistes, parler de « fin du conflit » avant même le vote du Conseil de sécurité : tout cela relève d’une diplomatie de l’illusion.
Le Maroc cherche à créer un sentiment d’irréversibilité, alors que le processus onusien demeure fondé sur la négociation entre les parties concernées, sous l’égide de l’ONU.
Cette précipitation, ce triomphalisme de façade, masquent une angoisse politique : celle de voir la communauté internationale revenir à la seule base légitime du règlement — le référendum d’autodétermination.

Pour une vérité sans mascarade

Le peuple sahraoui n’est pas une variable de communication, ni un pion sur l’échiquier des ambitions régionales. Son droit à l’autodétermination est inaliénable.
Et l’Algérie, loin d’être le déstabilisateur que Rabat décrit, demeure le dernier rempart maghrébin du principe de souveraineté populaire et de légalité internationale.

Face au zèle marocain, au silence complice de certaines puissances et aux manipulations médiatiques, il appartient aux voix libres du Maghreb et du monde de rappeler une évidence :
aucune paix durable ne peut naître du mensonge, et aucun peuple ne disparaît parce qu’un voisin le décrète invisible.

En somme, la diplomatie marocaine s’illustre moins par sa force que par son excès : excès d’ambition, excès de zèle, excès de manipulation.
Mais l’histoire, elle, ne se réécrit pas à coups de communiqués triomphalistes.
Le Sahara occidental demeurera, jusqu’à son autodétermination, le miroir de la conscience du droit international — et la mesure réelle du courage moral des nations.

A/Kader Tahri / Chroniqueur engagé, observateur inquiet
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L’islamophobie n’est pas un accident culturel — c’est une stratégie politique.

Une fuite révélée par Drop Site News expose une stratégie de communication cynique : promouvoir la peur de “l’islam radical” pour redorer l’image d’Israël et de ses alliés.
Pendant que les médias occidentaux rejouent l’hystérie islamophobe, les puissances impériales bombardent, affament et renversent des gouvernements.
Et si le véritable terrorisme venait d’en haut — de ceux qui fabriquent la peur pour dissimuler leurs guerres
?

Il y a quelques semaines, un article de Drop Site News a révélé une fuite sidérante : un rapport commandé par le ministère israélien des Affaires étrangères identifie la promotion de la peur de “l’islam radical” comme la méthode la plus efficace pour regagner le soutien de l’opinion internationale. Selon cette étude citée par le journaliste Ryan Grim, la meilleure stratégie de communication d’Israël consiste à « fomenter la peur du djihadisme » tout en soulignant son soutien aux droits des femmes ou des minorités sexuelles. Résultat : un gain de plus de vingt points d’image dans plusieurs pays testés.  

Cette révélation n’étonnera que ceux qui croient encore que la peur collective naît spontanément. Dans les faits, la haine se fabrique, se mesure, se finance. Les discours anxiogènes sur “les musulmans”, “l’ennemi intérieur” ou “le choc des civilisations” ne sont pas de simples dérapages : ce sont des instruments de gouvernement. En excitant la peur de l’autre, les puissances occidentales redirigent l’angoisse sociale et masquent leurs propres violences. Pendant que nous discutons du voile d’une écolière, les États-Unis bombardent la Somalie, Israël rase Gaza, la France arme des régimes autoritaires, et personne ne parle des morts.

Regardons la scène mondiale telle qu’elle est. L’armée américaine dispose de plus de 750 bases militaires réparties sur tous les continents. En 2024 encore, Washington a multiplié les frappes aériennes en Somalie sous prétexte de “lutte antiterroriste”. Le plus grand porte-avions du monde, le Gerald R. Ford, a été envoyé au large de l’Amérique latine pour “surveiller les narcoterroristes” — une formule commode pour justifier la pression permanente sur les gouvernements insoumis comme celui du Venezuela.

Ces interventions ne sont ni ponctuelles ni défensives : elles constituent un système d’expansion impériale. L’empire américain — prolongé par ses alliés européens et israéliens — bombarde, affame, asphyxie des pays entiers à coups de sanctions et de blocus. Il renverse des gouvernements élus, manipule des élections, soutient des coups d’État quand les urnes lui résistent. Pourtant, on répète que la menace viendrait “du monde musulman” et de l’Islam radical. Quelle ironie : les pays les plus meurtriers du XXIᵉ siècle sont ceux qui se disent défenseurs de la civilisation et des droits humains.

Les chiffres sont implacables. La coalition menée par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis au Yémen, soutenue logistiquement et militairement par les États-Unis, la France et le Royaume-Uni, a provoqué depuis 2015 des centaines de milliers de morts et une famine de masse. Ces deux régimes — parmi les plus répressifs du monde — sont pourtant présentés comme des “alliés fiables”. Au même moment, leurs fonds alimentent des conflits régionaux, notamment au Soudan, dans l’indifférence quasi totale des chancelleries occidentales.

Autrement dit : les États musulmans les plus violents sont précisément ceux que l’Occident finance et arme. La narration dominante — celle du “monde libre” menacé par l’Islam — s’effondre sous le poids des faits. Si l’on comptait honnêtement les morts, les sanctions, les occupations et les famines provoquées par les grandes puissances, l’“axe du mal” changerait d’adresse.

Mais la guerre ne se mène pas seulement avec des bombes. Elle se mène aussi avec des récits. Les services de communication étatiques, les groupes de lobbying et certains médias ont perfectionné l’art de la désignation de l’ennemi intérieur. Dans chaque crise, on exhume la même figure : l’homme musulman, supposé porteur d’une menace, incapable de s’intégrer, hostile aux valeurs occidentales. Ce discours n’est pas né du vide : il est le reflet d’un système économique et militaire qui a besoin d’un danger permanent pour justifier ses budgets, ses alliances et ses guerres.

L’islamophobie de masse n’est donc pas seulement du racisme ; c’est un outil de stabilisation de l’ordre impérial. Elle détourne l’attention des crimes commis par nos propres gouvernements, et elle empêche la solidarité des peuples opprimés. Tant que nous nous haïrons entre pauvres, nous ne regarderons pas vers le haut : vers ceux qui pillent, bombardent et exploitent au nom de notre sécurité.

Refuser cette logique, c’est d’abord refuser la peur fabriquée. C’est exiger des médias qu’ils cessent de relayer sans critique les narratifs d’État. C’est soutenir les enquêtes indépendantes — celles d’Amnesty, de The Intercept, de Human Rights Watch — qui documentent les frappes, les ventes d’armes, les complicités diplomatiques. C’est aussi défendre les associations et collectifs qui protègent les minorités visées par cette haine planifiée.

La tâche peut sembler immense, mais elle commence ici : par une lucidité politique. Nous devons oser dire que nos propres dirigeants sont les premiers producteurs de terreur. Que les véritables “terroristes” ne vivent pas dans les ruelles de Mossoul ou de Gaza, mais dans les bureaux climatisés où se signent les contrats d’armement et les embargos. Que les guerres ne sont pas des fatalités culturelles, mais des décisions économiques et stratégiques prises au nom de leurs démocraties.

On dit de craindre les musulmans. Ils devront craindre le mensonge qui rend la guerre acceptable, la propagande qui transforme la victime en menace, et le silence qui tue deux fois. L’ennemi n’est pas à nos frontières ; il est dans les structures de pouvoir qui se servent de leur peur pour continuer à régner.

A/Kader Tahri / Chroniqueur engagé, observateur inquiet
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Le prophète Zemmour : les faits divers en champs de bataille idéologique

 

 Les discours d’Éric Zemmour transforment les faits divers en champs de bataille idéologique. Derrière ses métaphores grandiloquentes se cache une mécanique dangereuse : celle qui assimile l’immigré à une menace, l’Algérien au voleur, et l’autre à l’ennemi.  Zemmour se rêve en lanceur d’alerte et il se croit lanceur de vannes. Mais la vérité, moins glorieuse, plus terre à terre, c’est qu’il maîtrise surtout l’art de lanceur de pets : le vacarme et la senteur, le bruit et l’odeur, ça, il gère très bien. Et comme toujours chacun de ses pets devient un communiqué très médiatisé.

Il suffit parfois d’un mot pour dévoiler tout un système de pensée.
Lorsque, après un cambriolage au Louvre, Éric Zemmour déclare que « l’immigration nous vole les bijoux de la Couronne », il ne parle pas d’un vol, mais d’un mythe. Il invente un récit où la criminalité se confond avec l’origine, où un fait divers devient le symbole d’un affrontement civilisationnel. Ce glissement du particulier au général est le cœur du racisme moderne : discret dans la forme, violent dans le fond.

Sous couvert d’admiration pour les enquêteurs, Zemmour félicite la police pour mieux accuser l’immigration tout entière. Il ne s’agit plus de juger deux individus, mais de condamner une communauté entière, réduite à sa nationalité ou à sa religion. Ce procédé est bien connu : c’est le racisme discursif, cette rhétorique qui avance masquée derrière des phrases bien tournées et un ton pseudo-rationnel. Mais qu’on ne s’y trompe pas : derrière la syntaxe se cache la stigmatisation, derrière la formule, la peur.

Le discours de Zemmour est une mise en scène.
Les mots « djihad du quotidien », « notre civilisation », « tragédie de Lola » ne relèvent pas de l’analyse, mais du registre de l’émotion brute. Tout est fait pour entretenir un sentiment d’assiègement, pour faire croire que chaque fait divers est une bataille perdue dans une guerre invisible. Cette dramatisation permanente, ce mélange de faits et de fantasmes, permet d’imposer un récit unique : celui d’une France pure, menacée par l’étranger.
C’est une politique de l’émotion, pas de la raison.

Mais il faut le dire clairement : cette logique du soupçon permanent détruit tout pacte républicain. Car ce que Zemmour présente comme « lucidité », n’est qu’un vieux poison repeint aux couleurs du patriotisme. C’est la vieille idée du bouc émissaire, celle qui a toujours nourri les populismes : expliquer la crise, la violence ou la souffrance sociale non par la complexité du monde, mais par la présence d’un Autre. En pointant du doigt « l’immigration », il détourne l’attention des véritables fractures : les inégalités, la pauvreté, la relégation sociale.

Le plus inquiétant, c’est que ces mots ne choquent plus autant. Il est très difficile, même pour un Français ordinaire de ressentir de l’amour pour toute cette société aristocratique du spectacle médiatique, du mensonge, de l’illusion et de l’arrogance composé essentiellement de millionnaires, ou de parasites de l’audiovisuel sur payés.
D’autant que ces donneurs de leçons qui fabriquent l’opinion en contrôlant les médias, sont complices et apologistes des millions d’assassinats de civils par des criminels. Les larmes de la maman de Lola ont déchiré le cœur de certains. Mais il existe des milliers (dans le présent et plus dans le passé) de mères, d’orphelins, de veufs et de veuves de guerres qui méritent la même compassion surtout à Gaza où les victimes sont majoritairement les consœurs de la petite Lola.
Le racisme s’est fait discours de plateau télé, argument de campagne, slogan politique. On le commente, on le relativise, on le normalise. Or, c’est précisément cette banalisation qui est dangereuse. Car à force d’entendre que « l’immigration nous vole », certains finissent par le croire. Et à force de croire, certains finissent par haïr.
Ce n’est plus seulement un débat d’idées, c’est une dégradation de la culture démocratique, une corrosion du vivre-ensemble. Aujourd’hui plus que jamais les Français de base peuvent se  rendre compte que ce ne sont justement pas des clichés, mais une Culture ancestrale. Ruses, mensonges et profits les 3 piliers du talmudisme

Face à cela, il ne suffit pas de s’indigner. Il faut résister par la parole et par la pensée.
Résister, c’est rappeler que la responsabilité est individuelle, jamais collective.
Résister, c’est refuser qu’un acte isolé devienne un procès contre tout un peuple.
Résister, c’est défendre une France fidèle à son idéal républicain : celle qui juge les actes, pas les origines ; celle qui valorise la justice, pas la vengeance symbolique.

Il ne s’agit pas ici de nier les problèmes ou d’édulcorer le réel. Il s’agit de le comprendre sans le tordre, de parler sans exclure. Car la République n’est pas un mur, c’est une promesse : celle de la dignité égale de tous les citoyens, qu’ils soient d’ici ou d’ailleurs.
Quand Zemmour transforme cette promesse en peur, il ne défend pas la civilisation — il en trahit l’esprit.

Alors oui, il faut dénoncer ce racisme-là.
Celui qui se cache dans les tournures élégantes et les phrases bien ciselées.
Celui qui se glisse dans les discours télévisés, jusqu’à sembler banal.
Parce qu’à chaque fois qu’un mot discrimine, c’est un pan de l’humanité qui recule.
Et parce que la seule guerre qu’il vaille la peine de mener aujourd’hui, c’est celle contre la haine, pour que les mots cessent enfin de blesser la République.

En effet le cambriolage du Louvre sert de diversion à une classe politique française qui patauge dans la médiocrité et à des médias mainstream français qui ne cherchent que le buzz pour augmenter leur audimat.

Aujourd'hui les Français de base, voyant que les caisses sont vides, que leur mode de vie est en danger, que leur identité même est gravement menacée, ne reconnaissant plus le pays où ils sont nés et ils ont la gueule de bois !
Régler l'affaire par une "bonne" foutre dehors tous les indésirables, de l’empire médiatique du mensonge au service des milliardaires fossoyeurs de la France et de leurs complices de la tribu que l’on ne peut nommer.
Dans le champ politique un seul petit exemple Zemmour qui parle des valeurs chrétiennes de la France (sacré moise pour les intimes et Eric pour la plèbe). Un bon exemple de la théorie du grand remplacement !
La France devrait se débarrasser de tous ces poux qui infestent sa tête pour retrouver la paix intérieure et restaurer sa grandeur. 

A/Kader Tahri / Chroniqueur engagé, observateur inquiet
« Il faut dire les choses comme elles sont, mais refuser qu’elles soient comme ça. »   https://kadertahri.blogspot.com/

 


Bakhta, la Muse du Chi’r el Melhoun : L’Apothéose d’un Amour Tumultueux

 

Avant-propos

Dans la rumeur des dunes et le souffle chaud du vent du Sud, le Chi’r el Melhoun s’élève comme un chant sacré.
Né des profondeurs du désert, il est la parole du peuple bédouin, celle qui se transmet par le cœur avant les lèvres, qui parle d’amour comme on parle de Dieu — avec humilité, ferveur et pudeur.
Dans ce chant de sable et de mémoire, se reflète l’âme d’une Algérie à la fois fière et blessée, éternelle et mouvante.

Le Melhoun, c’est la poésie de la poussière et du parfum, du souvenir et de la promesse. Il est l’écho d’un monde où la parole guérit, où la musique console, où la beauté sauve. Et au cœur de cette tradition, un nom résonne comme un secret : Bakhta.
Muse, amante, étoile, elle fut l’incandescence d’un poète et la blessure d’un homme : Cheikh Abdelkader El Khaldi.

La naissance d’un chant

Les poètes du Chi’r el Melhoun ont façonné une langue entre la terre et le ciel. Lakhdar Benkhlouf, Sidi de la poésie du XVIᵉ siècle, posa les premières pierres de ce temple lyrique. Puis vinrent Cheikh Mostefa Ben Brahim, Larbi Ben Hammadi, Boumedienne Bensahla, El Mokrania, El Khaldi... Autant de voix qui, dans le murmure du oud et du guembri, ont célébré l’amour, la foi, la perte et la patience.

Le Melhoun naquit du désert, mais grandit dans la ville. Les artisans, dans la pénombre de leurs ateliers, chantaient ces poèmes pour alléger la fatigue, pour tisser, au rythme du métier, la trame invisible du rêve.
Ainsi, la poésie devint un abri contre la dureté du monde, une forme de paix, un acte de résistance.

El Khaldi : le poète du feu intérieur

Abdelkader El Khaldi était un homme d’apparence simple, mais de regard habité.
Fonctionnaire discret, il portait le burnous avec cette noblesse silencieuse des poètes qui vivent plus dans leur âme que dans le monde. Son français était soigné, son parler mesuré, sa sensibilité à fleur de peau.
Son Chi’r el Melhoun fut celui de l’émotion pure, d’une poésie populaire, certes, mais d’une élégance raffinée et d’une gravité presque mystique.

Il chanta l’Émir Abdelkader, la patrie, la liberté, mais surtout — il chanta Bakhta, cette femme simple et lumineuse qui devint sa muse, sa douleur, son mythe.

 

Bakhta : la révélation de l’amour

C’était à Tiaret, un soir de fête.
El Khaldi, invité à animer un mariage, fit vibrer l’assemblée de sa voix chaude et mélancolique. Dans la foule, une femme l’écoutait, le cœur suspendu. C’était Bakhta.
Quand le poète eut quitté les lieux, elle sentit en elle un vide, une brûlure. Le lendemain, portée par une impulsion irrépressible, elle prit le train pour Mascara.
Ainsi naquit l’un des plus beaux récits d’amour de la poésie algérienne : une passion douce et interdite, nourrie de distance et de désir, de lettres et de larmes, de mots et de silence.

De cette rencontre, El Khaldi tira plus d’une soixantaine de poèmes. Chacun d’eux est une offrande, un souffle, un cri.
Dans Ari ‘alik, le poète implore :

« ʾAri ʿalik, ô Bakhta, honte à toi si tu me rejettes !
Tu es la cause de mon mal et son remède,
Toi seule détiens la clé de ma guérison.
Ta beauté fait pâlir les astres,
Et ton nom seul allume mes veilles
. »

Dans ce poème, la ferveur amoureuse atteint une intensité presque mystique. L’amour n’est plus ici un plaisir, mais une ascèse : le feu qui consume le poète et l’élève à la pureté du verbe.

L’amour comme épreuve et lumière

Leur relation suscita la jalousie, la désapprobation, parfois même la haine. Les proches de Bakhta voulurent y mettre fin.
Mais El Khaldi, tel un pèlerin du sentiment, poursuivit inlassablement la route entre Mascara et Tiaret. « Aâyatni had trigg », disait-il — cette route m’a épuisé.

Dans Hawlou galbi, il confie la douleur de la séparation :

« Mon cœur est blessé,
Les nouvelles m’ont meurtri,
Et les larmes, sans prévenir, ont envahi mon visage.
J’ai vu un nom que j’aime
Et j’ai senti la fièvre du souvenir. »

Ce poème est un cri de tendresse et de résignation. Le poète y pleure sans faiblesse, car il sait que toute passion véritable est un combat.
Il écrit pour survivre à l’absence, pour donner à la douleur un sens. Son amour pour Bakhta devient alors une offrande à Dieu, une prière ardente — ya layl, ya sabr, ya qalbi!

La poésie, mémoire et ascension

Le Chi’r el Melhoun n’est pas seulement un art, c’est une mémoire.
Le poète y est à la fois chroniqueur, mystique et témoin. Il dit les faits de sa tribu, les blessures de son peuple, les rêves de la nation.
Chez El Khaldi, la poésie se fait flambeau. Il est le gardien de la sagesse populaire, celui qui rappelle que l’amour et la dignité sont les deux piliers de toute humanité.

Ainsi, à travers Bakhta, il chante la femme, mais aussi la patrie.
Il exalte la beauté, mais célèbre aussi la résistance de l’âme.
Dans cette double lumière — celle de l’amour et de la liberté — se dessine l’apothéose du Chi’r el Melhoun.

Bakhta ou la lumière du désert

Bakhta n’était pas une princesse ni une courtisane. Elle était simplement femme, vivante, ardente, de celles que la poésie rend éternelles.
Pour El Khaldi, elle fut à la fois refuge et tempête, douceur et foudre.
Elle incarne cette part de l’invisible que chaque poète tente de saisir — la beauté qui échappe, l’amour qui élève, la douleur qui éclaire.

« Ô Bakhta, tu as sculpté dans mon cœur l’amour éternel,
Fort comme au premier jour,
Qui ne s’éteindra jamais
. »

Par ces mots, le poète inscrit son amour dans la durée du sacré. Il fait de la passion un lieu de mémoire, de la blessure un acte de foi.

Conclusion : l’éternité du verbe

Le Chi’r el Melhoun est plus qu’un chant : c’est un souffle.
Il est la prière du peuple, la mémoire du désert, le miroir de l’âme.
À travers El Khaldi et sa muse Bakhta, cette poésie atteint son sommet — celui où le sentiment humain devient un hymne universel, où l’amour devient sagesse, et où la parole devient héritage.

Bakhta, dans son éclat de femme aimée, a transcendé la mort et le temps.
Elle demeure dans la mémoire du peuple, comme une source d’inspiration et de tendresse.

Préserver le Chi’r el Melhoun, c’est donc veiller sur cette flamme fragile qui éclaire encore nos cœurs.
C’est dire au monde que la beauté, même souffrante, demeure une forme de liberté.
Et qu’au bout du désert, toujours, une voix continue de chanter :

“Ya Bakhta… ya nour el qalb…”
— Ô Bakhta, lumière du cœur.

Note d’auteur Texte réécrit et revisité par A/Kader Tahri  dans un esprit poético-académique empreint de sincérité, de mémoire et d’amour, pour rendre hommage à Cheikh Abdelkader El Khaldi, à sa muse Bakhta et à l’immortalité du Chi’r el Melhoun — patrimoine vivant de l’âme algérienne.

A/Kader Tahri / Chroniqueur engagé, observateur inquiet
« Il faut dire les choses comme elles sont, mais refuser qu’elles soient comme ça. »   https://kadertahri.blogspot.com/