Parfois il m'est utile de le dire !

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Le Makhzen : La fabrique du mythe marocain


 Sous couvert d’érudition, Bernard Lugan recycle une vieille rhétorique coloniale au service d’un discours du Makhzen en présentant celui-ci comme victime du « statu quo colonial » et l’Algérie comme « invention française », l’historien autoproclamé se fait le relais d’une vision politique, non scientifique.

Une falsification tranquille de l’histoire maghrébine, qui en dit plus sur la géopolitique du présent que sur le passé qu’il prétend expliquer. Ses travaux sont souvent critiqués pour leur vision conservatrice et ethnocentrée, et dans le cas précis du Maroc, il est fréquemment accusé d’être proche du discours officiel marocain, notamment sur le Sahara occidental et la question frontalière avec l’Algérie. Il faut donc lire ces travaux comme une tribune militante, non comme une étude scientifique neutre.

Bernard Lugan se rêve en lanceur d’alerte et il se croit lanceur de vannes. Mais la vérité, moins glorieuse, plus terre à terre, c’est qu’il maîtrise surtout l’art de lanceur de pets : le vacarme et la senteur, le bruit et l’odeur, ça, il gère très bien. Et comme toujours chacun de ses pets devient un communiqué très médiatisé par la presse du Palais.

Le Maroc, victime millénaire ? Un récit qui arrange

Il y a 10 ans des mauvais génies nous refourguaient un mec sorti de nulle part = Bernard Lugan historien au service du Royaume Marocain  dans une chronique, il nous présente le Maroc comme une victime du principe d’intangibilité des frontières adopté par l’Organisation de l’unité africaine (OUA) en 1964.
Selon lui, Rabat aurait été « contraint d’accepter que ses provinces historiques millénaires soient rattachées à une Algérie née en 1962 ». Une thèse séduisante, mais historiquement creuse.

Avant la colonisation, le Maroc n’était pas un État-nation aux frontières fixes. L’autorité du sultan s’étendait selon des logiques d’allégeance et de commerce, non de souveraineté territoriale. Les régions de Tindouf, Béchar ou Tabelbala ne constituaient pas des « provinces marocaines » : elles étaient des zones de contact mouvantes entre tribus sahariennes, au carrefour des routes caravanières.

Ce que Lugan appelle des « amputations coloniales » n’est en réalité qu’un découpage administratif européen d’un espace historiquement fluide. En prétendant restaurer un Maroc « millénaire », il projette sur le passé les fantasmes territoriaux du présent.

L’Algérie « invention française » : une falsification politique

L’autre pilier du récit de Lugan consiste à nier la profondeur historique de l’Algérie.
L’historien affirme que ce pays « créé par la colonisation » aurait été gratifié de « largesses territoriales » par la France, au détriment du Maroc.

Cette thèse, popularisée dans certains cercles proches du pouvoir marocain, relève d’une lecture coloniale inversée : elle reprend les arguments du colonisateur pour les retourner contre un autre État postcolonial.

Or, l’Algérie existait comme espace politique bien avant 1830. Les royaumes Zianide, Hammadide ou Rostémide ont exercé leur autorité sur ces territoires durant des siècles.
La colonisation française n’a pas « créé » l’Algérie ; elle l’a réorganisée de force, en effaçant les structures locales et en imposant ses frontières.

Dire que la France « a offert » des terres à l’Algérie revient à nier la continuité historique d’un peuple et d’un territoire — une négation qui, sous la plume de Lugan, devient justification implicite des revendications marocaines.

L’intangibilité des frontières : une décision africaine, pas coloniale

Lugan présente le principe d’intangibilité des frontières comme un dogme injuste imposé à l’Afrique indépendante. C’est une contre-vérité.

Le 21 juillet 1964, lors de la Conférence du Caire, les dirigeants africains ont eux-mêmes décidé de sanctuariser les frontières héritées de la colonisation. Leur objectif n’était pas d’entériner l’arbitraire européen, mais d’éviter la guerre générale entre États nouvellement indépendants. Revoir chaque frontière aurait transformé le continent en champ de bataille. Comme l’expliquait alors Julius Nyerere, président de la Tanzanie :

«Si nous rouvrons le dossier des frontières, nous passerons le reste du siècle à les redessiner »

Le Maroc, isolé dans son refus, s’est marginalisé au sein du continent. Qualifier cette position de « prophétique » relève d’un contresens : le Royaume ne fut pas visionnaire, mais exceptionnaliste — prisonnier d’une lecture historique mythifiée.

Les conflits africains, miroir déformant

Lugan soutient que la plupart des guerres africaines découlent directement de la question des frontières. Une affirmation qui simplifie dangereusement la réalité.

Certains conflits — du Nigeria au Soudan, du Rwanda à la Somalie — trouvent effectivement leurs racines dans les découpages coloniaux.
Mais réduire la tragédie africaine à un problème cartographique, c’est nier la complexité politique, économique et sociale du continent.

Les guerres africaines résultent aussi :

  • de la faillite des États postcoloniaux,
  • des manipulations ethniques,
  • des inégalités économiques,
  • de la compétition pour les ressources,
  • du réchauffement climatique et des migrations forcées.

La frontière n’est pas la cause unique : elle est le révélateur de tensions plus profondes. En faire l’alpha et l’oméga de l’instabilité africaine relève d’un populisme intellectuel.

Un discours au service du Makhzen

Derrière l’apparente érudition, le texte de Lugan épouse la rhétorique d’État du Maroc : celle d’un pays trahi par la colonisation, encerclé par des frontières injustes, victime d’un voisin ingrat.
Le tout servi par un vocabulaire pseudo-historique — « provinces millénaires », « spoliation », « charcutage colonial » — qui vise à légitimer la politique expansionniste du Makhzen, notamment sur la question du Sahara occidental.

Cette posture n’a plus rien d’universitaire : c’est de la communication politique.
Un historien digne de ce nom confronte les faits, il ne les arrange pas.
En opposant un Maroc glorieux à une Algérie illégitime, Lugan ne fait pas œuvre d’histoire, mais de récit stratégique au service d’une diplomatie régionale.

Le vrai choix africain : la stabilité avant la revanche

Ce que le texte de Lugan passe sous silence, c’est que le principe d’intangibilité, malgré ses limites, a sauvé le continent du morcellement.
Les États africains ont préféré la stabilité à la revanche, le droit à la mémoire sélective.

Loin d’être un « héritage colonial », ce choix fut un acte de souveraineté panafricaine.
Il n’a pas effacé les blessures du passé, mais il a empêché qu’elles ne se transforment en désastres contemporains.
C’est cela, le véritable héritage de 1964 — pas une soumission à l’Occident, mais une sagesse africaine face au chaos que promettait la revanche territoriale.

Recoloniser par le récit

En définitive, ce que fait Bernard Lugan, c’est prolonger le colonialisme sous une autre forme : la colonisation du récit historique.
Il ne trace plus des cartes, mais des mythes. Il remplace la géographie par la nostalgie et la rigueur scientifique par la passion politique.

Son texte ne parle pas du passé : il fabrique une mémoire utile à un pouvoir contemporain. Et cette mémoire, comme toutes les mémoires d’État, efface, simplifie, ment.

Conclusion : Décoloniser l’histoire, libérer la mémoire

L’Afrique n’a pas besoin de nouveaux prophètes de la revanche.
Elle a besoin d’historiens capables de regarder en face la complexité de son passé, sans drapeaux ni allégeances.

L’histoire du Maghreb ne se résume pas à une querelle frontalière.
Elle raconte des peuples liés par des langues, des luttes et des rêves communs — des peuples que les frontières ont séparés, mais que les falsifications d’historiens opportunistes ne parviendront pas à diviser.

Décoloniser l’histoire, c’est refuser que la mémoire devienne un instrument de pouvoir.

C’est rappeler, face aux mythes officiels, que la vérité ne sert aucun royaume. Or, c’est là où le bât blesse, Bernard Lugan  selon tous les journalistes (même les mainstream ou les collabos, qui n’ont pas fait exprès en valorisant son rôle) ont écrit sur lui, comme historien de service.

Juste deux, mots, l’Algérie est probablement le dernier pays de la sphère arabe qui reste encore libre de l’emprise occidentale et c’est aussi le seul pays africain de l’ancienne colonie française qui est vraiment indépendant de la France. Méditez cela.
Quant à la provocation l’Algérie, elle est plus grande de tout ceci.

A/Kader Tahri / Chroniqueur engagé, observateur inquiet
« Il faut dire les choses comme elles sont, mais refuser qu’elles soient comme ça. »   https://kadertahri.blogspot.com/

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