On inaugure des moteurs d’avion flambant neufs pendant
que des jeunes diplômés arpentent les rues sans avenir. Le Maroc avance à deux
vitesses : celle du prestige royal et celle de la survie populaire
Le Maroc
vient, une fois encore, d’ériger un symbole industriel censé prouver au monde
sa “modernité” et son “rayonnement”. À Nouaceur, le Roi Mohammed VI a présidé
la cérémonie de lancement du complexe industriel de moteurs d’avions du groupe
français Safran — un projet présenté comme un tournant historique pour
l’économie nationale. La presse officielle s’en est emparée avec une ferveur
prévisible : on y parle de “complexe de classe mondiale”, de “hub stratégique
mondial”, de “vision éclairée du souverain”. Le vocabulaire de la grandeur et
du progrès technologique s’y déploie sans nuance, comme dans un rituel de
célébration monarchique.
Mais
derrière ce récit officiel se cache une réalité sociale étouffée : celle
d’un peuple qui souffre de chômage, de précarité, d’inégalités régionales et
d’un sentiment d’exclusion croissant. Ce discours triomphaliste, qui vante des
investissements étrangers comme des victoires nationales, sert moins à
informer qu’à légitimer un modèle politique où la communication remplace la
justice sociale.
Il faut alors interroger ce que ce texte ne dit pas : à qui profite ce
“progrès” industriel, et que révèle-t-il de la manière dont le pouvoir
détourne le regard de la souffrance quotidienne des Marocains
Un discours de légitimation
sous couvert de modernité
Selon la
presse du Palais qui relatant la cérémonie de Nouaceur s’apparente à un
véritable rituel de légitimation monarchique. Le Roi est décrit comme
l’unique moteur du développement industriel : “grâce à la vision éclairée du
Souverain, le Maroc s’est érigé en destination mondiale incontournable dans les
secteurs de pointe”.
Cette rhétorique répétée à l’envi transforme chaque investissement étranger en
trophée royal. Le progrès n’est plus le fruit d’un effort collectif, mais le
prolongement d’une volonté divine.
Pourtant,
derrière la mise en scène d’un Maroc “hub mondial”, le projet Safran illustre
une dépendance structurelle aux puissances étrangères.
Le PDG du groupe, Ross McInnes, le dit avec diplomatie : “Nous ne produisons
pas au Maroc, mais avec le Maroc.”
La formule est élégante, mais le fond est clair : la technologie, la propriété
intellectuelle et les décisions stratégiques restent entre les mains du
partenaire français, tandis que le Maroc offre la main-d’œuvre, le foncier et
les incitations fiscales.
Ce “partenariat d’exception” ressemble donc davantage à une sous-traitance
modernisée qu’à une souveraineté industrielle.
En
glorifiant ces investissements comme des victoires nationales, le pouvoir
monarchique se drape dans le prestige du capital étranger pour masquer
ses propres impasses économiques. Le progrès devient un outil politique, un
décor servant à renforcer l’image d’un royaume “performant”, quitte à en
oublier le prix social.
Un progrès qui oublie le
peuple
Dans un pays
où plus d’un tiers des jeunes diplômés urbains sont au chômage, où les
enseignants contractuels protestent pour de meilleurs salaires, et où les
inégalités territoriales persistent entre les métropoles côtières et
l’intérieur rural, la célébration d’une usine d’élite résonne comme une
provocation silencieuse.
L’article officiel ne prononce pas un mot sur ces fractures. Il préfère
annoncer fièrement la création de “600 emplois directs à l’horizon 2030”,
comme si ce chiffre suffisait à compenser l’absence d’une politique nationale
de plein emploi.
Cette
stratégie de communication construire quelques pôles industriels et les ériger
en symboles nationaux relève d’une politique de vitrine.
Les zones comme Midparc ou Tanger Med incarnent un Maroc modernisé en surface,
connecté aux chaînes de valeur mondiales, mais déconnecté de sa population.
Autour, les villages s’appauvrissent, les jeunes s’exilent, et les services
publics s’effondrent.
On célèbre les moteurs d’avion de dernière génération pendant que des
milliers de familles n’ont toujours pas accès à une éducation ou à une santé
dignes.
Le pouvoir
préfère le prestige à la redistribution. Il bâtit des récits au lieu de bâtir une
politique sociale. Et tant que la pauvreté, l’exclusion et la précarité
resteront des sujets tabous dans les médias d’État, les inaugurations se
succéderont comme des mascarades de modernité.
Conclusion : un moteur qui
tourne à vide
Le complexe
Safran de Nouaceur n’est pas un symbole de progrès ; il est le miroir d’un
système qui confond communication et développement, croissance et
justice, investissement étranger et souveraineté nationale.
Il incarne le Maroc des vitrines : celui qui veut séduire l’Occident et
rassurer les marchés, tout en ignorant le Maroc réel celui des précaires, des
chômeurs, des jeunes diplômés sans avenir.
Ce modèle,
centré sur l’image du Roi et la dépendance au capital étranger, risque
d’étouffer ce qu’il prétend promouvoir : l’émergence d’un pays libre, juste et
égalitaire.
Le Maroc n’a pas besoin d’un moteur Safran pour prouver sa valeur ; il a besoin
d’un moteur social, celui de la dignité, de la redistribution et de la
liberté.
Sans cela, la mécanique du progrès tournera indéfiniment à vide, dans un ciel
que beaucoup de Marocains ne verront jamais.
Kader Tahri
Chroniqueur engagé, observateur inquiet « Il faut dire les choses comme elles sont, mais refuser qu’elles soient
comme ça. » https://kadertahri.blogspot.com/
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