Parfois il m'est utile de le dire !

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La hiérarchie médiatique et politique de la compassion dans la guerre contre Gaza

Toutes les victimes se valent : Dans les rédactions françaises, la compassion s’est calibrée comme un JT : un visage, une larme, un nom. Mais les guerres ne sont pas des scénarios, et les morts n’ont pas de camp. L’humanité n’est pas divisible, même quand la politique la segmente.

On finit par s’y habituer. À chaque flambée de violence au Proche-Orient, les médias français rejouent la même partition : émotion à géométrie variable, compassion sélective, indignation asymétrique. Le texte récemment paru dans la presse, avec sa verve acide et son ironie grinçante, met le doigt sur cette blessure morale : la vie d’un Israélien semble parfois peser plus lourd que celle d’un Palestinien. Derrière l’exagération, il y a un malaise réel, un déséquilibre du regard.

Il ne s’agit pas de nier la souffrance des uns ou des autres, mais de rétablir l’égalité du deuil. Quand on célèbre la libération de quelques otages israéliens en oubliant les milliers de prisonniers palestiniens détenus sans jugement, on fabrique une hiérarchie de l’émotion. On déshumanise à nouveau ceux qu’on prétend défendre, simplement parce qu’ils ne sont pas nés du « bon côté » du mur.

Les mots ont un poids : les « otages » d’un camp deviennent les « prisonniers » de l’autre. Et dans ce glissement sémantique, tout un système d’aveuglements prend racine.

Chaque guerre finit par ressembler à la précédente : des images de ruines, des visages d’enfants, des chiffres sans fin. Mais dans les rédactions françaises, l’émotion s’est standardisée. On choisit qui mérite les pleurs du soir, qui aura droit à l’indignation, et qui restera dans la colonne des dégâts collatéraux.
Une phrase, récemment écrite dans un journal, résume brutalement cette inégalité morale :

« Un Israélien vaut cent Palestiniens. »
Derrière la provocation, c’est une vérité dérangeante : leurs larmes ont un sens politique.

L’émotion calibrée, la douleur hiérarchisée

Quand un otage israélien retrouve la liberté, la France retient son souffle. On connaît son prénom, son âge, son histoire. Les plateaux s’ouvrent, les ministres s’émurent, les caméras filment la joie.
Quand des dizaines de Palestiniens sortent de prison après des années de détention sans procès, le silence règne. Aucun nom, aucune image, aucune émotion.
La compassion, comme la diplomatie, semble avoir ses frontières.

Et c’est là le plus grand naufrage de nos médias : l’inhumanité sélective. Les journalistes ne manquent pas de courage, mais leurs récits se plient à la dramaturgie dominante : celle qui met en scène l’émotion occidentale, jamais la douleur étrangère.
La guerre devient un feuilleton : il faut un héros, un monstre, une intrigue simple, un camp du bien. Le reste, on le coupe au montage.

On l’a vu récemment avec la mise en scène des « retrouvailles miraculeuses » des deux frères israéliens, libérés à quelques heures d’intervalle alors qu’ils n’avaient jamais été captifs ensemble. Une histoire dans l’histoire, calibrée pour la presse occidentale, avide de symboles et de larmes télévisées.
Ce n’est pas tant la véracité de l’épisode qui importe que son usage émotionnel : le drame devient scénario, la guerre se transforme en feuilleton. On ne montre plus la complexité du conflit, mais des séquences d’émotion instantanée. La souffrance devient un produit médiatique.
Et ce que la mise en récit efface, ce sont les autres visages : ceux qu’on ne filme pas, ceux dont on ne connaît ni le nom ni le sort, parce qu’ils n’appartiennent pas au bon récit. La compassion devient un choix éditorial.

La communication a remplacé la conviction

Dans ce grand théâtre, les dirigeants jouent leur rôle avec un talent consommé. L’auteur ironisait : « Macron, l’homme qui connaît les prénoms des otages par cœur ».
La formule frappe juste : elle dit tout d’une époque où la compassion présidentielle se mesure à la mémoire des noms, non à la constance des principes.

La France, autrefois médiatrice du Proche-Orient, s’est réduite à un figurant applaudissant les décisions américaines.
Elle ne parle plus : elle communique.
Elle ne pèse plus : elle compatit à heure fixe.

On n’attend pas d’un président qu’il pleure, mais qu’il agisse. Qu’il ose dire qu’aucune armée ne se grandit en affamant des civils, et qu’aucun peuple ne se libère en tuant des innocents.
Mais la politique du « en même temps » ne protège plus personne quand les bombes tombent.

Les mots sont déjà des armes

Les mots ont un sens, et parfois un poids de mort. On ne désigne pas les mêmes réalités quand on parle d’« otages », de « prisonniers » ou de « détenus ». Dans le tumulte des récits, chaque mot oriente le regard : l’un évoque l’innocence, l’autre la culpabilité, le troisième la légitimité.
En Israël comme en Palestine, des hommes et des femmes sont enfermés, arrachés à leurs familles, souvent sans procès, parfois sans espoir de retour. Les appeler par leur juste nom — des captifs, des êtres humains privés de liberté — devrait être la première exigence du journalisme et de la diplomatie. Car quand le langage se déforme, la réalité suit. Nommer certains « terroristes » et d’autres « soldats », c’est déjà décider qui a droit à la pitié et qui ne l’a pas. C’est cette asymétrie des mots qui rend possible l’asymétrie des morts.

Combien d’otages parmi les prisonniers palestiniens auront été détenus arbitrairement, torturés, durant des mois voire des années, avant d’être libérés sans procès ?
Combien de prisonniers de guerre israéliens présentés malhonnêtement comme des otages ?
Combien de palestiniens seront repris dans les prochains jours pour augmenter le nombre d’otages à disposition et faire pression sur les familles ?
Autant je pense que le conflit israélo palestinien n’aurait jamais  autant l’ignominie, je ne vois pas de mot assez fort en réalité, de la haine ouverte contre un peuple et de la servilité envers une entité, aucun respect de la légalité, aucunes frontières déclarées ni constitution font d’Israël un objet territorial non identifié, et des envahisseurs qui s’inventent une histoire et ont tous les droits.
J’espère que la résistance palestinienne va se trouver un nouveau représentant, ce peuple a payé le prix fort pour mériter de vivre

Toutes les victimes se valent

Dire cela ne relativise rien. Pleurer les victimes israéliennes ne diminue pas la douleur palestinienne, et inversement.
Au contraire : reconnaître la souffrance de l’autre, c’est poser la première pierre de la paix.

Les mères pleurent de la même manière à Gaza et à Tel-Aviv. Les enfants se cachent sous les mêmes cris, la même peur. Ce sont les adultes qui divisent, pas les larmes.
Et si notre empathie s’arrête à la frontière des alliances, alors notre morale ne vaut plus rien.

Le courage de regarder en face

Le rôle des journalistes n’est pas de choisir les bons morts, mais de rendre leurs visages à tous.
Le rôle des citoyens n’est pas de répéter les slogans des gouvernants, mais de poser des questions simples : pourquoi ce silence ? Pourquoi cette asymétrie ? Pourquoi ce tri dans la douleur ?

Le vrai courage, aujourd’hui, ce n’est pas de s’indigner à heure fixe. C’est de dire que le bombardement de Gaza en est une horreur absolue, la famine organisée, l’humiliation d’un peuple en cage, en sont une autre. C’est cela, le cœur de l’humanisme : dénoncer que la vengeance tienne lieu de justice.

Ne pas choisir un camp, mais un principe

Dans ce conflit comme dans d’autres, la question n’est pas « qui a commencé ? », mais « combien de temps encore allons-nous détourner le regard ? ».
Chaque enfant tué est une défaite collective.
Chaque silence médiatique est une abdication morale.
Chaque justification politique est un pas de plus vers la déshumanisation.

Ce texte n’appelle pas à choisir entre Israël et la Palestine.
Il appelle à choisir entre la peur et la justice, entre la propagande et la vérité, entre l’oubli et la conscience.

Une société qui ne pleure plus pour tous a déjà perdu son âme.
Et quand une vie palestinienne finit par valoir moins qu’un tweet, c’est toute notre humanité qu’on enterre sous les décombres.

Conclusion :

Dans cette logique, les dirigeants jouent leur rôle. Quand Emmanuel Macron est dépeint comme « l’homme qui connaît les prénoms des otages par cœur », la pique est cruelle, mais révélatrice. Le président français incarne cette diplomatie de l’émotion : compassion à la main, mais silence sur le fond. Le symbole remplace l’action. Connaître les prénoms ne rend pas la liberté, et encore moins la paix. Ce n’est pas de mémoire qu’il s’agit, mais de courage politique.

Or, le courage consisterait aujourd’hui à rappeler une évidence devenue presque subversive : toutes les vies ont la même valeur. Qu’elles soient israéliennes, palestiniennes, ukrainiennes ou soudanaises, les vies fauchées par la guerre méritent la même larme, le même respect, la même exigence de justice. Refuser de hiérarchiser la douleur n’est pas relativiser le crime, c’est redonner à la morale sa cohérence.

Les médias, les gouvernants, les citoyens doivent retrouver cette lucidité : celle qui ne se laisse pas guider par la peur, le spectacle ou le réflexe tribal. La compassion n’a de sens que si elle est universelle. Autrement, elle devient une arme de plus dans la guerre des récits.
Le rôle d’une presse libre n’est pas de pleurer sur commande, mais de rétablir l’humanité des invisibles. Et le rôle d’une démocratie digne de ce nom n’est pas de compter les morts, mais d’en empêcher d’autre

Kader Tahri
Chroniqueur engagé, observateur inquiet
« Il faut dire les choses comme elles sont, mais refuser qu’elles soient comme ça. »

https://kadertahri.blogspot.com/

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