Alors que les destructions à Gaza atteignent un niveau
sans précédent, un discours se répand pour nier le caractère génocidaire de
cette guerre : la population croîtrait, donc il n’y aurait pas volonté
d’extermination.
Ce raisonnement, sous couvert d’objectivité, relève du déni politique et moral.
Il faut en dévoiler la logique
Parler de
Gaza aujourd’hui, c’est affronter une guerre des mots plus impitoyable encore
que celle des bombes. À mesure que les ruines s’accumulent, un autre champ de
bataille se déploie : celui du langage.
D’un côté, les faits des milliers de morts, des hôpitaux rasés, des enfants amputés,
une population affamée. De l’autre, un discours qui tente d’enrayer la
compassion, de refroidir les consciences, en habillant la violence d’arguments
démographiques et moraux.
Ainsi
entend-on dire qu’il ne saurait y avoir génocide puisque la population de Gaza
continue de croître. Ce raisonnement, à la fois glacial et cynique, relève d’un
sophisme politique : confondre le résultat statistique avec l’intention
criminelle.
Un sophisme d’État
Le droit
international est limpide : selon la Convention de 1948, le génocide se définit
par l’intention de détruire, totalement ou partiellement, un peuple, non
par le nombre final de survivants.
Ce n’est pas la démographie qui fonde le crime, mais la volonté de
l’effacement.
On peut massacrer, affamer, déporter, priver d’eau, de soins et d’avenir tout
un peuple, sans pour autant en “réussir” la destruction totale.
La croissance démographique n’est donc pas la preuve d’une absence de génocide,
mais souvent la résistance d’un peuple à son anéantissement.
Réduire
l’histoire de Gaza à une courbe de natalité, c’est nier la mort dans sa
dimension humaine et politique.
C’est transformer la survie en argument contre la souffrance.
Une telle froideur statistique ne relève pas de la raison, mais du déni.
L’inversion morale : du
bourreau à la victime
À ce
sophisme s’ajoute une inversion perverse des rôles :
les civils palestiniens deviennent complices de leur propre destruction, tandis
que l’armée qui bombarde les hôpitaux se pare des vertus de la défense légitime.
C’est un vieux mécanisme colonial : présenter la violence de l’occupant comme
une réponse à la barbarie du colonisé.
On accuse
les Palestiniens “d’utiliser leurs enfants comme boucliers humains” — manière
commode d’expliquer pourquoi ces enfants meurent sous les bombes.
Cette phrase, répétée à satiété, ne dit pas la vérité : elle la neutralise.
Elle déplace la culpabilité, lave les mains de l’agresseur, et transforme
chaque victime en preuve de sa propre faute.
Le féminisme instrumentalisé
Autre ruse
du discours du déni : feindre de s’émouvoir du sort des femmes palestiniennes.
On accuse le Hamas d’imposer la natalité, d’enfermer les femmes dans la
maternité, comme si la critique de l’islamisme suffisait à effacer les bombes.
Mais cette compassion sélective n’a rien de féministe : c’est un féminisme
d’occupation, qui utilise le corps des femmes pour justifier la guerre.
Depuis la
colonisation de l’Algérie, ce procédé est bien connu : “libérer” les femmes
pour mieux dominer leur peuple.
Sous couvert de modernité, on perpétue la hiérarchie coloniale entre “eux” et
“nous”.
Ce n’est pas la liberté qu’on défend, mais le droit de parler à la place de
celles qu’on réduit au silence par la destruction.
Réécrire l’histoire pour
effacer le crime
Ces récits
d’apparence érudite se nourrissent aussi d’un révisionnisme tranquille.
En expliquant que les réfugiés palestiniens seraient une invention des régimes
arabes, on nie la Nakba de 1948 l’expulsion de plus de 700 000 Palestiniens
lors de la création d’Israël.
On efface la dépossession, la spoliation des terres, l’exil forcé.
On réduit un peuple à une anomalie statistique, une variable régionale.
Ce n’est pas
une erreur d’histoire : c’est une stratégie d’effacement.
On ne nie pas seulement les morts, on nie la mémoire.
Les chiffres comme anesthésie
morale
La froideur
des données démographiques agit comme un anesthésiant.
On ne parle plus de visages ni de familles, mais de “croissance” et de “taux de
fécondité”.
C’est la langue technocratique du meurtre : celle qui transforme le charnier en
tableau Excel.
Pourtant,
les chiffres qu’on brandit ne peuvent masquer le réel :
plus de 35 000 morts, selon les estimations onusiennes, des centaines de
milliers de blessés, des quartiers rayés de la carte.
Et au-delà des corps, la destruction d’un peuple dans ce qui fonde sa
continuité son territoire, ses infrastructures, sa mémoire.
C’est cela, un génocide moderne : la destruction méthodique des conditions
de vie.
La paix comme prolongement de
la domination
Enfin, ces
textes appellent à une “paix” fondée sur la démilitarisation et la tutelle.
Autrement dit, une paix sans souveraineté.
Une paix où Gaza serait gérée, surveillée, encadrée un espace sans peuple, une
cage humanitaire.
C’est la paix coloniale, celle des dominants : la paix de la reddition.
Mais sans justice, il n’y a pas de paix et sans reconnaissance du droit des Palestiniens à vivre libres sur leur terre, il n’y aura que la répétition du désastre.
Nommer pour ne pas trahir
Il ne s’agit pas ici de faire de la rhétorique, mais
de vérité. Nommer le génocide, ce n’est pas un acte militant, c’est un acte de
lucidité.
Le nier, c’est participer à sa perpétuation.
Parce qu’à Gaza, ce n’est pas la démographie qui parle : c’est la volonté
d’effacement.
Et tant que cette volonté persistera, chaque mot de déni ajoutera une pierre au
tombeau de la justice.
Kader Tahri
Chroniqueur engagé, observateur inquiet
« Il faut dire les choses comme elles sont, mais refuser qu’elles soient
comme ça. »
https://kadertahri.blogspot.com/

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