Parfois il m'est utile de le dire !

                                                                                                          Oh! Colombe, transmets mon salut d...

Le mythe kabyle: recyclage d’un vieux mensonge colonial :

Le 14 août 2025, l’hebdomadaire Le Point a publié un dossier intitulé « Les Kabyles. Un peuple debout ». Ce dossier, qui prétend mettre en lumière la singularité kabyle, s’inscrit en réalité dans une longue rhétorique coloniale qui oppose artificiellement « Arabes » et « Kabyles ». Ce n’est pas un hommage à la diversité algérienne, mais une opération idéologique visant à réhabiliter, en filigrane, le prétendu rôle « positif » de la colonisation française.

Dès le XIXe siècle, l’administration coloniale avait inventé le mythe de « l’exception kabyle » : un peuple supposément plus « civilisé », plus « proche de l’Europe » et donc plus « assimilable », contrairement aux « Arabes » décrits comme fanatiques et incorrigiblement musulmans. Cette construction avait un but précis : diviser pour régner. Aujourd’hui, certains médias français, et quelques voix algériennes complaisantes, recyclent ces fables coloniales pour nourrir un discours néocolonial adapté aux obsessions actuelles : islamophobie, rejet de l’immigration et nostalgie de l’Algérie française.

Le recyclage d’un imaginaire colonial

Le dossier du Point reprend une opposition simpliste : d’un côté, les Kabyles, peuple « autochtone » et éternellement rebelle ; de l’autre, les Arabes, présentés comme des occupants venus de l’extérieur. Cette grille de lecture essentialiste repose sur deux contre-vérités.

D’abord, elle nie le fait que l’identité algérienne est le fruit de siècles de circulations, de métissages et d’intégrations multiples. Amazighité et arabité ne sont pas deux blocs séparés, mais deux dimensions d’un même espace culturel nourri par l’islam, l’arabité et l’histoire méditerranéenne. Ensuite, elle laisse entendre que la colonisation française n’aurait pas été une entreprise criminelle, mais une « mise en ordre » dans un pays divisé. Derrière des expressions comme « l’identité kabyle face au pouvoir central d’Alger », se cache une thèse dangereuse : la France n’aurait pas détruit, mais construit l’Algérie.

Des « informateurs indigènes » devenus déformateurs complaisants

Le plus frappant est de voir certains intellectuels algériens, comme Kamel Daoud ou Saïd Sadi, se faire les relais de ce discours. Présentés en France comme des « voix courageuses », leurs propos reprennent souvent les mantras néoconservateurs français : l’idée que « l’arabité » serait une colonisation, que l’islam serait un obstacle à la modernité, que la gauche française aurait toujours été complice des « islamistes ».

·         Ces discours ne sont pas anodins. Ils servent à légitimer une lecture réactionnaire de l’histoire et à offrir aux médias français des « témoins locaux » qui confirment leurs obsessions. Mais loin d’ouvrir un espace démocratique, ils brouillent la réalité des luttes sociales et politiques en Algérie. Ils occultent le combat mené par des millions d’Algériens depuis le Hirak de 2019, qui réclament une véritable démocratie et non un retour aux mythes coloniaux.

Le mépris de la recherche historique

Les thèses développées dans le dossier du Point ne résistent pas à l’épreuve des travaux universitaires récents sur l’histoire de l’Algérie et du Maghreb :

  • Le mot « berbère » est une construction médiévale, forgée par des auteurs arabes extérieurs pour classifier des populations (Stéphanie Guédon, Juba II. L’Afrique au défi de Rome, 2025).
  • L’islam et la langue arabe se sont diffusés non pas par effacement des cultures locales, mais par des dynamiques complexes où les élites amazighes ont joué un rôle central (Mehdi Ghouirgate, Les Empires berbères, 2024).
  • La Kabylie, loin d’être isolée, a toujours été en interaction avec la pluralité culturelle et politique de l’Algérie moderne (Yassine Temlali, Genèse de la Kabylie, 2015).
  • Les parlers amazighs ont longtemps été transcrits en lettres arabes, preuve de la circulation culturelle (EHESS, L’orientalisme en train de se faire, 2024).

Ignorer ces acquis pour leur substituer des slogans identitaires, c’est refuser le savoir au profit de la propagande.

Quand l’identité masque le racisme

La focalisation sur le « mythe kabyle » permet aussi de détourner l’attention des réalités actuelles : l’autoritarisme qui étouffe la vie politique algérienne, mais aussi le racisme et l’islamophobie qui frappent les Algériens en France.

En juin 2024, Amar Slimani, jeune homme originaire de Bejaïa, a été abattu de six balles par un policier à Bobigny. Qualifié de « squatteur » et de « SDF » par une certaine presse française, sa mort a été recouverte par le silence.

Où étaient alors les grandes plumes mobilisées pour célébrer « la fierté kabyle » ?

Ce crime raciste, pourtant flagrant, a été occulté, parce qu’il contredit la mise en scène folklorique d’un « peuple kabyle » instrumentalisé à des fins idéologiques.

Pour une autre lecture de l’histoire algérienne

L’avenir de l’Algérie ne se joue pas dans la quête d’ancêtres mythifiés ni dans la répétition de récits coloniaux. Ce dont ce pays a besoin, ce n’est pas d’un retour aux « racines » figées, mais d’un projet citoyen et démocratique qui transcende les clivages fabriqués.

Amazighité et arabité ne sont pas deux essences en conflit : elles forment les pôles d’un même espace civilisationnel façonné par des siècles de circulation. L’histoire de l’Algérie, comme celle de toute société vivante, est faite de relations, de métissages, de tensions et d’apports multiples.

C’est en assumant cette pluralité et en inscrivant la mémoire coloniale dans sa vérité – une histoire de domination, de violence et de résistance – que l’on peut dépasser les manipulations idéologiques.

Conclusion : déconstruire les mythes, construire la citoyenneté

Le dossier du Point prétend donner la parole à un « peuple debout ». En réalité, il recycle les poncifs coloniaux et offre une tribune à des déformateurs qui confortent les récits néoconservateurs français. Loin de servir la cause démocratique en Algérie, il renforce les fractures et les stéréotypes.

Contre cette vision binaire et essentialiste, il faut rappeler une évidence : l’Algérie n’est pas le produit de deux « races » ennemies, mais une société riche de sa pluralité. Son avenir dépend non pas de l’exaltation de mythes identitaires, mais de la conquête de droits, de libertés et de justice sociale.

Le colonialisme nous a laissé un poison : le mythe identitaire. Kabyles contre Arabes, héritiers de Massinissa contre descendants des conquérants, tout cela n’est que mensonge pour nous diviser. Notre vérité est ailleurs : nous sommes un peuple forgé dans la pluralité, dans l’histoire et dans la lutte. Nous ne sommes pas des fragments opposés. Nous sommes un tout. Nous sommes une voix. Nous sommes une nation. Nous sommes ALGÉRIENS.

Kader Tahri
Chroniqueur engagé, observateur inquiet
« Il faut dire les choses comme elles sont, mais refuser qu’elles soient comme ça. »

 

Gaza sous siège : Témoignage d’une journaliste face à l’effacement d’un peuple »

 

par Huda Skaik,— Ville de Gaza

Je parle d’ici, du cœur même de la ville de Gaza. Ce n’est pas seulement un endroit sur une carte : c’est un corps collectif fait de rues, de voix, de mosquées, de cafés, d’oliviers et d’histoires. Quand ces lieux sont détruits, ce n’est pas seulement de la pierre qui tombe — c’est la mémoire, l’identité et l’existence d’un peuple qui sont visées.

Le 29 janvier 2024 reste gravé en moi comme l’un de ces instants où le monde cesse d’obéir à toute logique humaine. Pendant neuf jours, ma famille et moi sommes restés enfermés. Des chars entouraient le quartier d’Al-Rimal et la zone d’Al-Jawazat ; des bulldozers creusaient et piétinaient les artères de notre vie quotidienne ; des hélicoptères vrombissaient sans répit au-dessus de nos têtes. Des soldats ont fouillé notre maison, ont contraint mon père, mon frère, mon oncle et mes cousins à marcher les yeux bandés, les mains liées — puis ils ont fait sauter notre toit. Ce ne sont pas des incidents isolés : ce sont des opérations qui obéissent à une logique de dévastation systématique.

Quand j’observe la stratégie en cours, je n’y vois pas seulement une opération militaire ponctuelle, mais un projet plus large : le déplacement forcé et l’effacement progressif d’un peuple. L’occupation, dans sa forme la plus brutale, ne se limite pas à la présence de soldats. Elle vise à rendre la terre inhabitable — à brûler les maisons, déraciner les arbres, raser les lieux de socialité et réduire au silence les institutions (les écoles, les hôpitaux, les lieux de culte) qui font d’une population une société. Cette logique d’effacement possède une dimension matérielle — la destruction d’infrastructures — et une dimension symbolique : la négation des récits et des vies qui ont façonné ces lieux.

Les ordres d’évacuation répétés, les corridors forcés vers le sud, les zones dites «humanitaires» surpeuplées et sous-approvisionnées : tout cela forme un mécanisme connu et redouté. Historiquement, le déplacement forcé fonctionne selon un schéma qui isole, fragilise et disperse les communautés jusqu’à rendre leur retour improbable — voire impossible. Le terme même de Nakba, que mes grands-parents ont vécu en 1948, nous rappelle que le déplacement peut se transformer en dépossession définitive lorsque les exilés meurent sans retour et que leurs clefs restent accrochées au passé.

Dire «génocide», comme je l’ai fait et comme beaucoup le font ici, n’est pas un simple choix rhétorique : c’est la tentative de nommer l’ampleur d’une politique qui combine bombardements aveugles, attaques sur les services essentiels (hôpitaux, approvisionnement en eau, abris), et expulsions massives. Nommer, c’est aussi exiger que la communauté internationale entende la logique de destruction systématique et prenne en compte non seulement les morts immédiates mais aussi l’éradication progressive d’un tissu social.

Les récits individuels révèlent la conséquence humaine — un enfant épuisé qui s’endort sur l’une des rares possessions qu’il a pu emporter, des familles qui marchent la nuit, des personnes âgées écrasées par la fatigue — mais ils signalent aussi un phénomène collectif : la dépossession de l’histoire et de l’espace. Quand la mer, les marchés et les mosquées ne sont plus que décombres, que restera-t-il pour raconter qui nous étions ? C’est cette annihilation de la continuité qui m’effraie le plus.

Vivre sous la menace constante d’un déplacement définitif transforme la temporalité individuelle et collective. Nous apprenons à « vivre comme si c’était le dernier jour » — boire notre café, observer le coucher du soleil, échanger des regards comme autant d’adieux préemptifs. Mais ce n’est pas seulement une façon de faire face : c’est la preuve d’une violence qui vole l’horizon politique et empêche l’espoir de se recomposer en projet. Lorsque l’avenir est arraché, la résistance et la dignité prennent une forme précaire : la persistance à exister, à nommer, à témoigner.

L’expérience vécue en novembre 2023, lorsque les chars sont entrés à Rimal, et les frappes qui ont visé Al-Shati ou les abords des hôpitaux Al-Shifa et Al-Quds, illustrent la violence répétée et sa capacité à frapper les espaces censés protéger la vie. Que des ordres d’évacuation aient été suivis par des frappes meurtrières montre l’ambiguïté meurtrière des «protections» promises et la mise en scène d’un déplacement qui n’offre aucune sécurité réelle.

Derrière ces stratégies militaires se dessinent des conséquences durables : la perte des racines matérielles (maisons, terres, arbres) et immatérielles (mémoire, relations, habitudes). Les tentes dans lesquelles certains d’entre nous ont déjà vécu après la Nakba sont un rappel brutal que l’exil peut devenir une condition transmise de génération en génération. Vivre dans une tente, encore une fois, ce n’est pas seulement affronter le froid ou la chaleur — c’est perdre un espace intime où se construisent la dignité et la réminiscence familiale.

Pourtant, malgré la peur et la destruction, il y a une résistance qui n’est pas seulement armée : c’est la résistance de la mémoire, du récit, du reportage. En tant que journaliste, écrire et documenter est une façon de défier l’effacement. Mon attachement à Gaza n’est pas un simple ancrage géographique ; il est moral et politique : rester, témoigner et appeler à la reconnaissance de notre droit à exister comme peuple.

Je ne peux prédire l’issue. Je refuse cependant de céder au silence qui accompagne souvent l’éviction : si nous mourons, que ce soit en portant encore le nom de nos maisons et de nos rues. Si nous sommes expulsés, que l’on sache qu’il ne s’agit pas d’un «départ», mais d’un exil forcé. Nous resterons attachés à Gaza dans nos paroles, nos souvenirs et nos récits — même si l’ennemi croit nous réduire au silence, nos vies et nos voix persistent à témoigner.

Enfin, il faut insister sur une vérité simple mais essentielle : la paix n’est pas impossible. Refuser l’horizon de la paix, c’est choisir la perpétuation de la guerre et de la violence. L’histoire montre des réconciliations inattendues entre anciens ennemis — elles exigent cependant des décisions politiques courageuses, la reconnaissance des injustices passées et un engagement pour la justice. Tant que ces conditions manqueront, la violence pourra reprendre ; mais tant que nous parlerons, nous aurons la possibilité d’ouvrir des chemins différents.

Je signe ces lignes depuis Al-Rimal. Si demain je ne peux plus les réécrire, que ces mots portent la trace de notre présence et l’accusation claire d’un processus qui ne détruit pas seulement des maisons, mais Je signe ces lignes depuis Al-Rimal. Si demain je ne peux plus les réécrire, que ces mots portent la trace de notre présence et l’accusation claire d’un processus qui ne détruit pas seulement des maisons, mais cherche à effacer des peuples.

Kader Tahri
Chroniqueur engagé, observateur inquiet
« Il faut dire les choses comme elles sont, mais refuser qu’elles soient comme ça. »

 


Le double standard du mot « terrorisme » en langue de guerre et langue de pouvoir.

 

Dans le conflit israélo-palestinien, le mot terrorisme devient une arme sémantique. Employé sélectivement, il délégitime la résistance palestinienne et blanchit les crimes d’État. Quand  terrorisme sert à masquer les crimes d’État, les mots deviennent des armes. Pour la justice,  exiger des critères universels, c’est refuser l’impunité et redonner sens au droit international.

Le mot « terrorisme » est devenu, dans la couverture médiatique et politique du conflit israélo-palestinien, une arme de cadrage. Il classe, il exclut, il délégitime — et souvent, il est appliqué de façon si sélective qu’il produit une mémoire publique faussée et une politique de justice à sens unique. Refuser ce double standard n’est pas défendre la violence ; c’est demander la clarté des critères, l’universalité du droit et l’honnêteté intellectuelle dans l’analyse politique.

La première tâche d’un journalisme responsable — et d’un militantisme honnête — est de nommer avec précision. Quand des civils sont visés, quand des populations subissent des sièges, des expulsions ou des discriminations institutionnelles, on doit parler de crimes de guerre, d’extrême violence ou d’apartheid si les faits le démontrent. Dans les dernières années, des organisations de défense des droits et des analyses documentées ont mis en évidence des pratiques systémiques qui ne relèvent pas de l’exception mais d’une logique d’ensemble. B’Tselem et Human Rights Watch ont chacune, après recoupements, posé des diagnostics structurés sur la nature et l’organisation du régime — des diagnostics que la sphère politique et médiatique devrait intégrer au lieu de les évacuer par des tournures euphémiques.  

Si le mot terrorisme sert à décrire des actes irréfutables de violence contre des civils — comme le font parfois certains groupes armés — il devient problématique dès qu’il est brandi de façon exclusive pour discréditer une partie seulement du conflit. Pourquoi cette sélectivité ? Parce que le pouvoir sait que la qualification morale produit des effets politiques : elle permet d’évacuer les causes, d’occulter les responsabilités étatiques quand elles existent, et de concentrer l’attention publique sur des actes isolés plutôt que sur des politiques d’ensemble. D’un côté, les actions des insurgés, des milices ou des mouvements armés sont étiquetées « terroristes » ; de l’autre, des opérations d’État qui provoquent morts, destructions massives d’infrastructures civiles, ou déplacement de population sont décrites comme des « frappes », des « opérations ciblées » ou des « mesures de sécurité ». Cette langue de guerre fonctionne comme un vernis moral : elle assouplit le jugement et facilite l’impunité. (Des analyses de framing media montrent précisément comment le choix des mots façonne la perception publique et légitime ou délégitime des acteurs.)  

Refuser le double standard ne signifie pas minorer l’horreur d’un attentat ou nier la responsabilité de groupes qui commettent des crimes contre des civils. La reconnaissance morale des victimes est indispensable partout. Mais en même temps, elle exige que nous appliquions des critères universels : si une action d’État ou une politique produit des violations massives des droits fondamentaux, elle doit être désignée et traitée comme telle devant la justice internationale. C’est une question d’égalité devant le droit, pas de sympathie politique.

Il faut aussi le dire nettement : le langage compte parce qu’il structure l’action. Appeler systématiquement terroristes certains acteurs et « opérations » d’autres sape la capacité des institutions internationales à enquêter et à juger. Il fragilise la solidarité internationale nécessaire à l’application effective des normes. Il crée un environnement où l’empathie devient une ressource rare et où les oppressions légitiment leur propre reproduction. Face à cela, la société civile doit exiger une triple exigence : précision terminologique, devoir de preuve, et mise en œuvre des mécanismes juridiques disponibles.

La deuxième exigence est politique et stratégique : sortir du moralisme binaire pour construire une feuille de route. Le récit qui enferme une partie du monde dans la seule catégorie du « terrorisme » confisque le débat politique et empêche l’élaboration de solutions. Une stratégie militante sérieuse doit asseoir trois axes concrets et non-violents :

Documentation rigoureuse et transmission aux juridictions compétentes. Rassembler, documenter et centraliser preuves et témoignages — hôpitaux détruits, politiques d’implantation, lois discriminatoires — afin que des instances comme la Cour pénale internationale, les cours nationales et les mécanismes d’enquête indépendants puissent agir. C’est à la base de toute responsabilité. (Les rapports d’ONG montrent que ces éléments existent et peuvent être saisis par les institutions.)  

Démasquer la rhétorique et exiger des médias la transparence des cadres. Les rédactions doivent expliciter leurs choix de vocabulaire : pourquoi parler d’« opération » et pas de « crime de guerre » ? Quels critères permettent de qualifier un acte de terroriste et quand ces critères ont-ils été vérifiés ? Une presse qui refuse ce travail critique se rend complice d’une normalisation de la violence.

Construire des campagnes politiques non-violentes à effets concrets. Sanctions ciblées contre responsables documentés, embargo sur les équipements militaires susceptibles d’être utilisés contre des populations civiles, actions juridiques de désinvestissement ciblé, et pressions parlementaires coordonnées. Ces outils frappent des acteurs et des instruments — pas des populations — et comblent l’écart entre indignation morale et changement effectif.

Troisièmement, la vérité exige de nommer les structures de domination sans sombrer dans la haine collective. Les diagnostics sur l’existence d’un régime d’apartheid ou de pratiques de domination ne sont pas des insultes ; ce sont des conclusions fondées sur des politiques concrètes (lois, pratiques administratives, déni de droits) et documentées par des enquêtes. Les débats sur ces mots — et il y en aura — doivent être traités selon des critères de droit et d’évidence, non selon des attaques ad hominem.

Enfin, nous devons reprendre la main sur le langage en promouvant une éthique du mot juste. Exiger la précision terminologique, refuser la rhétorique qui hiérarchise la souffrance, et mettre la lutte pour les droits humains au centre — telles sont les obligations d’un activisme digne de ce nom. Le mot terrorisme ne doit pas être proscrit ; il doit être utilisé avec des règles de preuve et une application universelle. C’est de cette manière que nous protégerons à la fois la mémoire des victimes et les instruments du droit.

La lutte pour la justice — pour la fin de l’occupation, pour l’égalité des droits, pour la fin des pratiques discriminatoires — exige que nous soyons d’abord rigoureux dans nos mots. Changeons le langage et nous changerons les conditions politiques qui le rendent possible. Ce n’est pas un luxe sémantique : c’est une condition de la victoire du droit sur la rhétorique de la domination.

Kader Tahri
Chroniqueur engagé, observateur inquiet
« Il faut dire les choses comme elles sont, mais refuser qu’elles soient comme ça. »


Reconnaître la Palestine n’est pas un angélisme

 

Cette tribune répond à l’article de l’extrême droite critiquant la reconnaissance de l’État de Palestine par la France. Il démontre que ce geste diplomatique n’est pas un simple acte symbolique ou de communication, mais une étape nécessaire pour maintenir vivant l’horizon d’une paix possible. Il dénonce le déterminisme qui enferme Israéliens et Palestiniens dans une logique de guerre sans fin, ainsi que l’instrumentalisation du conflit dans le débat français.

Le discours d’Emmanuel Macron du 22 septembre 2025 à l’Assemblée générale des Nations Unies a marqué une étape diplomatique importante : la France a officiellement reconnu l’existence de l’État de Palestine, dans un cadre conditionné à la libération des otages et à un cessez-le-feu. Cette décision, qui s’inscrit dans une logique de long terme de la diplomatie française, a suscité des réactions contrastées, parmi cet autre article  d’une presse de l’extrémisme de France, fidèle à son style acerbe, dénoncent une démarche « de vertu diplomatique », sans portée réelle, voire dangereuse. Cette presse, déjà épinglée pour avoir relayé des mensonges pro-Israël, mérite donc d’être pointée du doigt pour, a minima, une objectivité bien relative confinant à de la désinformation. Cependant réduire cet acte à un simple exercice d’angélisme ou de communication relève d’un contresens politique et historique.

La diplomatie symbolique n’est pas inutile

L’un des arguments centraux de l’article consiste à affirmer que reconnaître la Palestine « ne mange pas de pain », qu’il s’agirait d’un geste gratuit, destiné à flatter l’opinion internationale et à servir d’éventuelle rampe de lancement à Macron vers l’ONU. Or, cette vision cynique méconnaît le rôle fondamental des gestes symboliques dans les relations internationales.

L’histoire regorge d’exemples où la reconnaissance formelle d’un État a ouvert la voie à des négociations, à une stabilisation ou à une légitimation internationale. Reconnaître la Palestine, ce n’est pas ignorer la colonisation mais c’est affirmer qu’une solution politique est non seulement nécessaire, mais aussi possible. Prétendre que ce geste est vain revient à confondre immédiateté et efficacité : la diplomatie n’est pas le domaine de l’instantanéité, mais celui du long terme.

L’erreur du déterminisme : « c’est nous ou eux »

La presse de l’extrême affirme que « le 7-Octobre est irréparable » et que pour beaucoup d’Israéliens, la conclusion est claire : « s’ils ont un État demain, les Palestiniens recommenceront ». Une telle formulation essentialise le conflit, comme si l’histoire était figée dans une opposition éternelle et irrémédiable.

Pourtant partout dans le monde, les gens sont horrifiés et dégoûtés qu’Israël tire, bombarde et affame des hommes, des femmes, des enfants et des bébés innocents ! Israël commet un génocide ! Israël tue délibérément des journalistes pour empêcher le monde d’apprendre les innombrables atrocités insondables qu’Israël commet chaque jour ! Nous exigeons qu’Israël cesse immédiatement les massacres et permette à l’aide humanitaire indépendante et aux journalistes indépendants de Gaza de faire leur travail ! Nous exigeons également que tous ceux qui ont participé directement ou indirectement ou profité des innombrables crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide soient tenus responsables avec toutes les conséquences et la sévérité nécessaires.

Aujourd’hui plus personne ne peut nier le génocide. Gaza brûle. La destruction définitive de ce qui reste de la Palestine est en cours. Pour achever leur œuvre, Israël et ses alliés occidentaux exigent la capitulation et le désarmement de la résistance. Dans ces circonstances, la reconnaissance de la légitimité de la résistance palestinienne, qu’il s’agisse du Hamas, du Front populaire de libération de la Palestine ou des autres organisations de libération, doit être la principale préoccupation de tous ceux qui souhaitent que la Palestine survive.

Bien sûr, les blessures de la colonisation et la répression des Palestiniens, ainsi que le génocide de Gaza  sont réelles et profondes que ceux du 7 Octobre. Refuser l’horizon de la paix, c’est choisir la perpétuation de la guerre. Or, aucun peuple n’est condamné éternellement à la haine. Les exemples d’anciens ennemis devenus partenaires – de la réconciliation franco-allemande après 1945 à celle de l’Afrique du Sud post-apartheid – prouvent que ce qui paraît impossible aujourd’hui peut devenir réalité demain.

Un biais français : les « islamo-gauchistes » comme boucs émissaires             

Dans sa critique, cette presse ne résiste pas à une digression typiquement hexagonale : la dénonciation des « islamo-gauchistes » occidentaux qui, selon elle, donneraient raison au rejet israélien. Cette attaque traduit moins une analyse du conflit au Proche-Orient qu’une volonté d’importer la polémique française sur la gauche, l’université et la laïcité dans un débat géopolitique mondial.

Or, réduire la solidarité avec la Palestine à une complaisance envers le terrorisme est une caricature. On peut défendre l’existence d’un État palestinien sans être complice du Hamas, comme on peut dénoncer la colonisation israélienne sans remettre en cause le droit d’Israël à la sécurité. Assimiler toute défense de la cause palestinienne à une forme d’extrémisme, c’est fermer l’espace d’un dialogue politique légitime et nuancé.

Le paradoxe des drapeaux : entre liberté d’expression et peur des amalgames

L’article en question souligne une incohérence : reconnaître la Palestine au niveau international tout en interdisant son drapeau dans l’espace public français. Sur ce point, sa critique est juste : il y a une contradiction entre le geste diplomatique et la censure symbolique. Mais l’analyse qu’il en propose reste insuffisante.

Non, aucuns défilés brandissant le drapeau palestinien ne véhiculent une haine des juifs ou de la France. Mais doit-on pour autant délégitimer tout usage de ce drapeau, y compris lorsqu’il est associé à celui d’Israël pour appeler à la paix ?

La liberté d’expression n’a de valeur que si elle s’applique aussi aux symboles qui dérangent. Refuser le drapeau palestinien au nom de débordements violents, c’est céder au soupçon généralisé et à l’amalgame, en niant l’existence d’une aspiration pacifique sincère.

Conclusion : l’urgence d’un horizon politique

La reconnaissance de la Palestine par la France n’est ni une capitulation devant le Hamas, ni un simple coup de communication. C’est une tentative, fragile mais nécessaire, de rouvrir un horizon politique dans un conflit qui tend à se fossiliser dans le désespoir et la vengeance.

La presse de l’extrême droite critique Emmanuel Macron pour son supposé angélisme. Mais le vrai danger n’est pas l’angélisme : c’est le cynisme. C’est l’idée qu’aucune solution n’est possible, que le conflit est voué à se répéter indéfiniment, et qu’il faut s’y résigner. La diplomatie n’est pas faite pour entretenir cette résignation, mais pour la contester.

Reconnaître la Palestine, c’est rappeler qu’au-delà des actes du Hamas et des dérives du gouvernement israélien, il existe des peuples, des individus, et surtout un avenir à construire. Refuser ce geste, c’est condamner la région à l’éternel présent de la guerre.

Kader Tahri
Chroniqueur engagé, observateur inquiet
« Il faut dire les choses comme elles sont, mais refuser qu’elles soient comme ça. »

 


Quand la mémoire et l’histoire sont instrumentalisées pour imaginer Israël en autarcie

                                    

La reconnaissance de l’État de Palestine par Emmanuel Macron a suscité des réactions diverses, révélant les fractures profondes qui traversent le débat sur le conflit israélo-palestinien. Parmi elles, un article paru dans une presse d’extrême droite illustre un phénomène plus large : la mobilisation d’un récit identitaire pour encadrer le regard du lecteur. Dans plusieurs pays européens, l’extrême droite utilise la presse, les réseaux sociaux et les analyses historiques sélectives pour transformer des débats diplomatiques en batailles symboliques. Ces discours ne cherchent pas à informer, mais à renforcer un sentiment d’urgence identitaire, à mobiliser un électorat et à réduire la complexité du monde à des binarismes simplistes. L’article en question offre un exemple frappant de ce mécanisme, et mérite d’être décortiqué pour en montrer les ressorts et les contradictions internes.

La mémoire juive comme instrument politique : Israël  associe la reconnaissance de la Palestine à une offense au peuple juif, notamment en raison de la coïncidence avec Roch Hachana. Ce lien symbolique transforme un geste diplomatique en provocation religieuse, sans preuve d’intentionnalité.
La contradiction majeure est historique et idéologique : la presse d’extrême droite, longtemps marquée par l’antisémitisme, se présente aujourd’hui comme protectrice des Juifs. Mais cette protection est sélective, valable uniquement lorsqu’elle permet de désigner un nouvel ennemi – « l’islam » – et d’amalgamer toute cause palestinienne avec l’antisémitisme. La mémoire juive est ainsi instrumentalisée au service d’un récit identitaire.

L’histoire utilisée comme arme : Le texte multiplie les références historiques – Hadrien, la conférence de San Remo, la résolution 181, Glubb Pacha – pour conférer une légitimité apparente à son argumentaire.
Cependant, l’histoire y est sélective et orientée : elle ne retient que les éléments qui légitiment la thèse d’une illégitimité palestinienne. Les épisodes qui contredisent ce récit, tels que la Nakba, l’occupation, les colonies ou les résolutions internationales sur le droit des Palestiniens à l’autodétermination, sont absents. L’histoire n’est pas analysée pour comprendre, mais mobilisée comme arme politique.

L’essentialisation des Palestiniens : Le texte insiste sur la corruption, la violence et la supposée culture de haine des Palestiniens, réduisant un peuple entier à une essence immuable.
Ce mécanisme reproduit un modèle historiquement appliqué aux Juifs : l’essentialisation. Le contraste est frappant : l’essentialisation est dénoncée lorsqu’elle vise les Juifs, mais appliquée sans nuance aux Palestiniens. Il s’agit d’un double standard idéologique, qui nie la capacité des Palestiniens à se constituer comme sujets politiques autonomes.

Israël valorisé, mais à contre-emploi : Israël est présenté comme un bastion civilisationnel et démocratique. Pourtant, cette vision occulte la complexité d’une société plurielle, composée de multiples identités et traversée par des tensions internes.
La contradiction est manifeste : l’extrême droite française rejette le multiculturalisme et la pluralité des identités dans son propre pays, mais encense ces mêmes caractéristiques lorsqu’elles servent à défendre Israël comme rempart civilisationnel. Israël n’est pas célébré pour ce qu’il est, mais pour sa fonction symbolique dans un récit identitaire.

La souveraineté à sens unique : L’extrême droite revendique la souveraineté et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Or, ce principe est systématiquement refusé aux Palestiniens, dont l’autodétermination est décrite comme illégitime ou dangereuse.
La souveraineté devient ainsi un privilège idéologique, accordé selon la légitimité attribuée par le narratif nationaliste et non selon un principe universel de droit des peuples.

Le seul et unique responsable de cette situation s'appelle sionisme. Car c'est du sionisme que découlent depuis 1948 meurtres de masse, assassinats, épuration ethnique, colonisation, expulsion des autochtones, accaparement de terres, racisme et suprémacisme. Parce qu'il ne produit que mort, désolation, crimes de guerre et crimes contre l'humanité - parmi lesquels le crime suprême qu'est le génocide-, le sionisme, idéologie occidentale doit être dénoncé devant l'Histoire et la justice des hommes.

La force des mots dénoncée et mobilisée : la presse pro-Israëlienne critique Macron pour sa diplomatie « verbale ». Mais sa démonstration repose elle-même sur la force des mots et des symboles : la date de Roch Hachana, l’origine du mot « Palestine », les couleurs du drapeau.
Il y a une contradiction évidente : on dénonce la performativité des mots tout en construisant un raisonnement basé sur leur pouvoir symbolique. La rhétorique elle-même devient l’instrument principal de persuasion.

Une solidarité juive conditionnelle : la presse pro-israélienne prétend défendre les Juifs, mais ne reconnaît que les voix qui confortent son récit : intellectuels critiques de la colonisation, ONG israéliennes ou militants progressistes sont ignorés ou disqualifiés. La solidarité n’est pas universelle, mais conditionnée par l’adhésion à un récit identitaire.

Conclusion : les risques d’un récit fermé : la presse pro-israélienne illustre une logique connue : transformer un débat politique complexe en opposition binaire et simpliste, où Israël symbolise la légitimité et la modernité, et la Palestine incarne la menace et l’archaïsme. Il ne s’agit pas d’une analyse, mais d’une rhétorique de combat identitaire, fondée sur l’instrumentalisation de la mémoire, l’usage sélectif de l’histoire et l’essentialisation des adversaires.

La lecture attentive de ces textes révèle aussi les contradictions internes : mémoire juive invoquée tout en niant l’antisémitisme historique de certains milieux, célébration d’Israël tout en rejetant ses complexités internes, dénonciation des mots tout en les utilisant comme preuve. Ces contradictions montrent que l’objectif n’est pas la cohérence intellectuelle, mais la mobilisation idéologique et émotionnelle.

Plus largement, ce type de discours pose un risque démocratique et intellectuel : en enfermant le débat dans un récit clos et manichéen, il empêche la nuance, le dialogue et la réflexion critique. Comprendre ces mécanismes est essentiel pour distinguer analyse politique et rhétorique de combat identitaire, et pour préserver un espace de débat public fondé sur l’information et la complexité plutôt que sur la peur et l’essentialisation.

L’analyse sur la presse pro-Israëlienne révèle que son objectif n’est pas d’éclairer les enjeux géopolitiques ou diplomatiques, mais de construire un récit idéologique structuré autour de trois mécanismes principaux :

Victimisation de la mémoire juive : elle est mobilisée pour délégitimer toute reconnaissance de l’État palestinien. La souffrance et l’histoire du peuple juif sont transformées en arguments politiques, instrumentalisées pour justifier un positionnement unilatéral et disqualifier symboliquement toute initiative de dialogue.

Sélection historique partiale : en choisissant certains événements et en omettant d’autres, l’article construit une continuité d’illégitimité palestinienne. Les épisodes qui pourraient nuancer le récit – la Nakba, l’occupation, les colonies ou les résolutions internationales – sont ignorés, donnant l’impression d’une Palestine historiquement contestable et politiquement incapable.

Effacement de la complexité et des responsabilités israéliennes : le conflit est réduit à une opposition binaire entre un Israël toujours légitime et des Palestiniens intrinsèquement incapables ou corrompus. Cette simplification masque la multiplicité des acteurs, des trajectoires et des enjeux qui façonnent le conflit depuis un siècle.

Ces mécanismes montrent que l’article relève moins d’une analyse que d’une rhétorique de combat identitaire, conçue pour mobiliser, exclure et polariser. La lecture attentive de tels textes est indispensable pour préserver un espace de débat public nuancé, fondé sur la complexité, le dialogue et l’information, et non sur la peur, l’essentialisation ou la manipulation symbolique.

Kader Tahri
Chroniqueur engagé, observateur inquiet
« Il faut dire les choses comme elles sont, mais refuser qu’elles soient comme ça. »

 


La France/Israël : la diplomatie devient spectacle et la justice un impératif

 

Introduction : Le paradoxe de la reconnaissance

Gaza brûle. Les enfants meurent de faim. Les maisons tombent en ruines. Les hôpitaux manquent de tout. La France parle de reconnaissance. Mais que vaut un mot quand le sang coule sur le béton et que les cris étouffés résonnent sous les décombres ?

Reconnaître la Palestine n’est pas un geste diplomatique neutre. C’est l’aveu qu’un droit fondamental a été bafoué depuis des décennies. Mais si la reconnaissance n’est pas accompagnée d’actions concrètes — sanctions, embargos, pressions économiques — elle devient une illusion morale, un alibi pour détourner le regard du génocide en cours.

Gaza brûle. Les enfants meurent de faim. Les maisons tombent en ruines. Les hôpitaux manquent de tout. La France parle de reconnaissance. Mais que vaut un mot quand le sang coule sur le béton ? Quand les cris étouffés résonnent sous les décombres ? Quand chaque jour d’inaction permet à la violence de continuer ?

Reconnaître la Palestine comme État n’est pas un geste diplomatique anodin. C’est l’aveu qu’un droit fondamental a été bafoué pendant des décennies, que la communauté internationale a fermé les yeux trop longtemps. Mais reconnaître sans agir, c’est transformer la justice en spectacle, c’est offrir une illusion à ceux qui souffrent réellement. Une illusion qui sert à détourner le regard du génocide en cours, et à offrir aux puissances occidentales un alibi moral : « Nous avons reconnu. Nous avons parlé. »

Depuis octobre 2023, Gaza est un champ de ruines. Les bombardements massifs ont pulvérisé des quartiers entiers. Les familles déplacées à répétition se retrouvent sans abri, rejetées dans la rue, privées même d’un refuge temporaire. La famine organisée, les maladies non soignées, les épidémies qui ravagent les populations affaiblies complètent le tableau d’une destruction planifiée. Ce n’est pas un accident de guerre. C’est une stratégie systématique, conçue pour effacer Gaza de la carte, pour anéantir sa population. Des enfants meurent de faim, des malades succombent faute de soins, des familles entières sont réduites à l’exil. Et pourtant, les chancelleries européennes préfèrent célébrer des gestes symboliques plutôt que d’agir.

La diplomatie européenne se drape dans le langage des principes. Elle parle de droits, de reconnaissance, de solutions diplomatiques. Mais dès qu’il s’agit de passer aux actes — suspendre les ventes d’armes, geler les coopérations militaires, sanctionner les entreprises complices — le discours s’évanouit. « C’est compliqué », disent les gouvernements:  Compliqué pour qui -- Compliqué pourquoi ?  

Quand ailleurs la volonté politique a existé, les États n’ont pas hésité à frapper d’autres pays au portefeuille. Ici, la complexité devient un alibi pour rester immobile. Pendant ce temps, les enfants meurent, les familles sont expulsées, et la colonisation poursuit son œuvre silencieuse.

La complexité se retrouve aussi dans les médias et analyses européens. On parle du Hamas plutôt que des Palestiniens. On parle de gouvernance plutôt que de survie. On réduit la lutte d’un peuple à un débat abstrait sur la politique d’un mouvement, ignorant l’occupation et la colonisation, qui sont à l’origine de cette résistance. Affaiblir ou éliminer le Hamas sans mettre fin à l’occupation, c’est préparer l’émergence de nouvelles forces, plus radicales encore. Le Hamas est à la fois une organisation politique et une armée de libération il est donc indispensable à la Palestine !!! C’est un cercle vicieux que la diplomatie européenne alimente sans le dire.

Le problème n’est pas Netanyahu. Ni quelques dirigeants isolés. Le problème, c’est l’État israélien. Son appareil de violence est institutionnalisé. Sa colonisation est légalisée. Son nettoyage ethnique est normalisé. La distinction droite-gauche est un leurre : elle existe pour les Israéliens juifs, mais pour les Palestiniens, elle est indifférente. Tous prolongent la même logique : nier aux Palestiniens le droit d’exister pleinement, légitimer leur spoliation, leur déplacement, et leur extermination progressive, à feu vif ou à feu doux.

L’Europe applaudit des gestes symboliques. Elle reconnaît sur le papier un État palestinien, mais refuse de s’attaquer à l’essentiel : l’occupation, l’apartheid, le génocide. Reconnaître sans agir, c’est transformer la justice en spectacle. C’est tendre un parchemin à un peuple que l’on laisse mourir de faim, sous les bombes et dans l’exil.

La Palestine ne réclame ni compassion, ni symboles, ni tutelle. Elle exige la justice nue et entière. Restitution des terres. Égalité des droits. Fin de l’occupation. Poursuites légales contre les responsables. La reconnaissance diplomatique n’a de valeur que si elle est accompagnée de mesures concrètes et soutenues : embargo sur les armes, gel des coopérations militaires, sanctions économiques ciblant les entreprises complices, et traduction des criminels devant la justice. Ce n’est pas une question d’individus, mais d’État et de son appareil de violence.

Il n’y a pas de neutralité face à un génocide. Les mots sont faciles, les discours diplomatiques rassurants. Mais rester immobile, ne pas sanctionner, ne pas agir, c’est être complice. Chaque jour d’inaction est un jour de complicité. Chaque mot vide prononcé à l’ONU est une bénédiction pour les chars israéliens, pour les fosses communes, pour les réfugiés en exil.

À la France et à l’Europe : cessez de parler de complexité. Les enfants de Gaza n’ont pas le temps. Les familles réfugiées n’ont pas de patience. Les collines de Cisjordanie n’ont pas de répit. La seule complexité est celle que vous brandissez pour fuir la justice.

Choisir la justice, c’est agir maintenant. Suspendre les ventes d’armes. Geler les coopérations militaires. Sanctionner les entreprises qui profitent de la colonisation. Traduire les responsables en justice. La justice doit précéder la diplomatie. La reconnaissance seule ne suffit plus.

Reconnaître et agir, c’est choisir la vérité. Reconnaître sans agir, c’est cautionner le mensonge. Il est temps pour la France et pour l’Europe de faire ce choix, sans détour, sans excuses, sans rhétorique : justice pour la Palestine. Maintenant.

Chaque jour d’inaction est un jour de complicité. Chaque mot vide prononcé au sommet de l’ONU est une bénédiction pour la violence et la misère. La France et l’Europe doivent faire un choix clair, sans détour ni excuses : justice pour la Palestine, maintenant. La diplomatie sans action est un mensonge. La vérité exige courage et sanctions concrètes. Le monde doit agir avant que les mots ne remplacent les vies perdues.

Kader Tahri
Chroniqueur engagé, observateur inquiet
« Il faut dire les choses comme elles sont, mais refuser qu’elles soient comme ça. »

 


La guerre sans fin de Netanyahou : l’Amérique un complice docile »

 

Une paix assassinée, une guerre programmée, et un allié devenu vassal, quand un ancien porte-parole du département d’État admet que Netanyahou a systématiquement saboté les négociations, le scandale dépasse Israël : il éclabousse une Amérique complice, qui a couvert, financé et protégé la guerre au lieu d’imposer la paix.

On prétend souvent que la paix au Proche-Orient s’éloigne par malchance, par complexité, par impossibilité. La vérité est plus brutale : elle a été sabotée. Délibérément. Et les États-Unis, loin de l’empêcher, l’ont financée, couverte et sanctifiée.

Ce constat n’émane pas d’un militant, mais d’un ancien porte-parole du département d’État américain, Matthew Miller, qui avoue aujourd’hui ce que chacun pressentait : Israël n’a pas simplement échoué à conclure des accords de cessez-le-feu et d’échanges d’otages, il a sciemment choisi de les faire capoter.

Le sabotage comme stratégie

Les faits, d’abord. En 2024, lorsqu’un cessez-le-feu de six semaines fut mis sur la table, Israël donna son accord… puis prévint le Hamas qu’il envahirait Rafah malgré tout. Comment négocier si l’issue est déjà annoncée : la destruction ? Le Hamas, sans surprise, refusa.
Ce scénario n’était pas un accident. Chaque tentative d’accord a été marquée par des « fuites », des « corrections » ou de nouvelles exigences impossibles à satisfaire. Tout, pour faire échouer l’effort diplomatique.

Cette mécanique n’est pas une maladresse. C’est une méthode. Et c’est là le cœur du problème : Israël ne veut pas de la paix. Elle contredirait le projet assumé par Netanyahou lui-même : une guerre longue, interminable, conçue comme horizon politique.

L’obéissance américaine

Face à ce sabotage répété, que firent les États-Unis ? Rien. Non, pire : ils validèrent. Quand Israël ridiculisa publiquement le président Biden en déformant ses propositions, Washington répondit par davantage d’armes, davantage de financements, davantage de silence.
Ce n’est pas de l’alliance. C’est de l’obéissance. Une superpuissance mondiale réduite à avaler les humiliations, à couvrir des crimes, à feindre de croire qu’elle « fait tout pour la paix », alors qu’elle arme et protège celui qui détruit toute issue politique.

La formule choque, mais elle est juste : la relation américano-israélienne n’est plus une coopération, mais une dépendance toxique. Israël agit, l’Amérique suit. Israël sabote, l’Amérique paie. Israël annonce une guerre éternelle, l’Amérique signe le chèque.

L’aveu et la complicité

L’aveu de Miller est glaçant : pendant qu’il répétait les éléments de langage sur la « retenue » d’Israël, il savait que son gouvernement regardait ailleurs, alors que Netanyahou piétinait chaque initiative. Ce n’était pas de la diplomatie. C’était du marketing de guerre.
Et cela pose une question plus large : jusqu’à quand une démocratie comme les États-Unis peut-elle financer une guerre qu’elle sait elle-même sans issue ? Jusqu’à quand le contribuable américain acceptera-t-il de payer, en milliards de dollars, une guerre que même ses diplomates admettent inutile et destructrice
?

Le prix de la guerre sans fin

Car cette guerre n’est pas seulement un cauchemar pour les Palestiniens et un gouffre moral pour Israël : elle devient un fardeau pour l’Amérique elle-même. Chaque bombe envoyée à Gaza est un futur retour de flamme. Chaque humiliation acceptée par Biden est une perte de crédibilité internationale. Chaque « soutien inconditionnel » est une dette politique que l’histoire fera payer.

En choisissant l’obéissance à Israël, Washington renonce à son rôle de puissance diplomatique mondiale. En acceptant la logique de guerre permanente, il accepte aussi la logique de l’échec permanent.

Une paix assassinée

La paix au Proche-Orient n’est pas morte d’impossibilité. Elle n’est pas morte d’un désaccord insoluble. Elle a été assassinée, à coups de sabotages répétés, sous les yeux de ceux qui prétendaient la défendre. Et les États-Unis, loin de s’interposer, ont tenu la lampe.

Voilà le scandale : non pas qu’Israël choisisse la guerre – c’est sa stratégie. Mais que l’Amérique, première puissance mondiale, se contente de la financer, de la protéger et d’en épouser les conséquences.

Ce que révèle l’aveu de Miller, ce n’est pas seulement le cynisme d’un gouvernement israélien enfermé dans son projet guerrier. C’est aussi la faillite morale et politique d’un allié qui s’est transformé en vassal.

Kader Tahri
Chroniqueur engagé, observateur inquiet
« Il faut dire les choses comme elles sont, mais refuser qu’elles soient comme ça. »