Parfois il m'est utile de le dire !

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Le double standard du mot « terrorisme » en langue de guerre et langue de pouvoir.

 

Dans le conflit israélo-palestinien, le mot terrorisme devient une arme sémantique. Employé sélectivement, il délégitime la résistance palestinienne et blanchit les crimes d’État. Quand  terrorisme sert à masquer les crimes d’État, les mots deviennent des armes. Pour la justice,  exiger des critères universels, c’est refuser l’impunité et redonner sens au droit international.

Le mot « terrorisme » est devenu, dans la couverture médiatique et politique du conflit israélo-palestinien, une arme de cadrage. Il classe, il exclut, il délégitime — et souvent, il est appliqué de façon si sélective qu’il produit une mémoire publique faussée et une politique de justice à sens unique. Refuser ce double standard n’est pas défendre la violence ; c’est demander la clarté des critères, l’universalité du droit et l’honnêteté intellectuelle dans l’analyse politique.

La première tâche d’un journalisme responsable — et d’un militantisme honnête — est de nommer avec précision. Quand des civils sont visés, quand des populations subissent des sièges, des expulsions ou des discriminations institutionnelles, on doit parler de crimes de guerre, d’extrême violence ou d’apartheid si les faits le démontrent. Dans les dernières années, des organisations de défense des droits et des analyses documentées ont mis en évidence des pratiques systémiques qui ne relèvent pas de l’exception mais d’une logique d’ensemble. B’Tselem et Human Rights Watch ont chacune, après recoupements, posé des diagnostics structurés sur la nature et l’organisation du régime — des diagnostics que la sphère politique et médiatique devrait intégrer au lieu de les évacuer par des tournures euphémiques.  

Si le mot terrorisme sert à décrire des actes irréfutables de violence contre des civils — comme le font parfois certains groupes armés — il devient problématique dès qu’il est brandi de façon exclusive pour discréditer une partie seulement du conflit. Pourquoi cette sélectivité ? Parce que le pouvoir sait que la qualification morale produit des effets politiques : elle permet d’évacuer les causes, d’occulter les responsabilités étatiques quand elles existent, et de concentrer l’attention publique sur des actes isolés plutôt que sur des politiques d’ensemble. D’un côté, les actions des insurgés, des milices ou des mouvements armés sont étiquetées « terroristes » ; de l’autre, des opérations d’État qui provoquent morts, destructions massives d’infrastructures civiles, ou déplacement de population sont décrites comme des « frappes », des « opérations ciblées » ou des « mesures de sécurité ». Cette langue de guerre fonctionne comme un vernis moral : elle assouplit le jugement et facilite l’impunité. (Des analyses de framing media montrent précisément comment le choix des mots façonne la perception publique et légitime ou délégitime des acteurs.)  

Refuser le double standard ne signifie pas minorer l’horreur d’un attentat ou nier la responsabilité de groupes qui commettent des crimes contre des civils. La reconnaissance morale des victimes est indispensable partout. Mais en même temps, elle exige que nous appliquions des critères universels : si une action d’État ou une politique produit des violations massives des droits fondamentaux, elle doit être désignée et traitée comme telle devant la justice internationale. C’est une question d’égalité devant le droit, pas de sympathie politique.

Il faut aussi le dire nettement : le langage compte parce qu’il structure l’action. Appeler systématiquement terroristes certains acteurs et « opérations » d’autres sape la capacité des institutions internationales à enquêter et à juger. Il fragilise la solidarité internationale nécessaire à l’application effective des normes. Il crée un environnement où l’empathie devient une ressource rare et où les oppressions légitiment leur propre reproduction. Face à cela, la société civile doit exiger une triple exigence : précision terminologique, devoir de preuve, et mise en œuvre des mécanismes juridiques disponibles.

La deuxième exigence est politique et stratégique : sortir du moralisme binaire pour construire une feuille de route. Le récit qui enferme une partie du monde dans la seule catégorie du « terrorisme » confisque le débat politique et empêche l’élaboration de solutions. Une stratégie militante sérieuse doit asseoir trois axes concrets et non-violents :

Documentation rigoureuse et transmission aux juridictions compétentes. Rassembler, documenter et centraliser preuves et témoignages — hôpitaux détruits, politiques d’implantation, lois discriminatoires — afin que des instances comme la Cour pénale internationale, les cours nationales et les mécanismes d’enquête indépendants puissent agir. C’est à la base de toute responsabilité. (Les rapports d’ONG montrent que ces éléments existent et peuvent être saisis par les institutions.)  

Démasquer la rhétorique et exiger des médias la transparence des cadres. Les rédactions doivent expliciter leurs choix de vocabulaire : pourquoi parler d’« opération » et pas de « crime de guerre » ? Quels critères permettent de qualifier un acte de terroriste et quand ces critères ont-ils été vérifiés ? Une presse qui refuse ce travail critique se rend complice d’une normalisation de la violence.

Construire des campagnes politiques non-violentes à effets concrets. Sanctions ciblées contre responsables documentés, embargo sur les équipements militaires susceptibles d’être utilisés contre des populations civiles, actions juridiques de désinvestissement ciblé, et pressions parlementaires coordonnées. Ces outils frappent des acteurs et des instruments — pas des populations — et comblent l’écart entre indignation morale et changement effectif.

Troisièmement, la vérité exige de nommer les structures de domination sans sombrer dans la haine collective. Les diagnostics sur l’existence d’un régime d’apartheid ou de pratiques de domination ne sont pas des insultes ; ce sont des conclusions fondées sur des politiques concrètes (lois, pratiques administratives, déni de droits) et documentées par des enquêtes. Les débats sur ces mots — et il y en aura — doivent être traités selon des critères de droit et d’évidence, non selon des attaques ad hominem.

Enfin, nous devons reprendre la main sur le langage en promouvant une éthique du mot juste. Exiger la précision terminologique, refuser la rhétorique qui hiérarchise la souffrance, et mettre la lutte pour les droits humains au centre — telles sont les obligations d’un activisme digne de ce nom. Le mot terrorisme ne doit pas être proscrit ; il doit être utilisé avec des règles de preuve et une application universelle. C’est de cette manière que nous protégerons à la fois la mémoire des victimes et les instruments du droit.

La lutte pour la justice — pour la fin de l’occupation, pour l’égalité des droits, pour la fin des pratiques discriminatoires — exige que nous soyons d’abord rigoureux dans nos mots. Changeons le langage et nous changerons les conditions politiques qui le rendent possible. Ce n’est pas un luxe sémantique : c’est une condition de la victoire du droit sur la rhétorique de la domination.

Kader Tahri
Chroniqueur engagé, observateur inquiet
« Il faut dire les choses comme elles sont, mais refuser qu’elles soient comme ça. »


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