
La
reconnaissance de l’État de Palestine par Emmanuel Macron a suscité des
réactions diverses, révélant les fractures profondes qui traversent le débat
sur le conflit israélo-palestinien. Parmi elles, un article paru dans une
presse d’extrême droite illustre un phénomène plus large : la mobilisation d’un
récit identitaire pour encadrer le regard du lecteur. Dans plusieurs pays
européens, l’extrême droite utilise la presse, les réseaux sociaux et les
analyses historiques sélectives pour transformer des débats diplomatiques en
batailles symboliques. Ces discours ne cherchent pas à informer, mais à
renforcer un sentiment d’urgence identitaire, à mobiliser un électorat et à
réduire la complexité du monde à des binarismes simplistes. L’article en
question offre un exemple frappant de ce mécanisme, et mérite d’être décortiqué
pour en montrer les ressorts et les contradictions internes.
La mémoire juive comme instrument politique : Israël associe la reconnaissance de la Palestine à
une offense au peuple juif, notamment en raison de la coïncidence avec Roch
Hachana. Ce lien symbolique transforme un geste diplomatique en provocation
religieuse, sans preuve d’intentionnalité.
La contradiction majeure est historique et idéologique : la presse d’extrême
droite, longtemps marquée par l’antisémitisme, se présente aujourd’hui comme
protectrice des Juifs. Mais cette protection est sélective, valable uniquement
lorsqu’elle permet de désigner un nouvel ennemi – « l’islam » – et d’amalgamer
toute cause palestinienne avec l’antisémitisme. La mémoire juive est ainsi
instrumentalisée au service d’un récit identitaire.
L’histoire utilisée comme arme : Le texte multiplie les
références historiques – Hadrien, la conférence de San Remo, la résolution 181,
Glubb Pacha – pour conférer une légitimité apparente à son argumentaire.
Cependant, l’histoire y est sélective et orientée : elle ne retient que les
éléments qui légitiment la thèse d’une illégitimité palestinienne. Les épisodes
qui contredisent ce récit, tels que la Nakba, l’occupation, les colonies ou les
résolutions internationales sur le droit des Palestiniens à
l’autodétermination, sont absents. L’histoire n’est pas analysée pour
comprendre, mais mobilisée comme arme politique.
L’essentialisation des Palestiniens : Le texte insiste sur la
corruption, la violence et la supposée culture de haine des Palestiniens,
réduisant un peuple entier à une essence immuable.
Ce mécanisme reproduit un modèle historiquement appliqué aux Juifs :
l’essentialisation. Le contraste est frappant : l’essentialisation est dénoncée
lorsqu’elle vise les Juifs, mais appliquée sans nuance aux Palestiniens. Il
s’agit d’un double standard idéologique, qui nie la capacité des Palestiniens à
se constituer comme sujets politiques autonomes.
Israël valorisé, mais à contre-emploi : Israël est présenté comme un
bastion civilisationnel et démocratique. Pourtant, cette vision occulte la
complexité d’une société plurielle, composée de multiples identités et
traversée par des tensions internes.
La contradiction est manifeste : l’extrême droite française rejette le
multiculturalisme et la pluralité des identités dans son propre pays, mais
encense ces mêmes caractéristiques lorsqu’elles servent à défendre Israël comme
rempart civilisationnel. Israël n’est pas célébré pour ce qu’il est, mais pour
sa fonction symbolique dans un récit identitaire.
La souveraineté à sens unique : L’extrême droite revendique
la souveraineté et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Or, ce principe
est systématiquement refusé aux Palestiniens, dont l’autodétermination est
décrite comme illégitime ou dangereuse.
La souveraineté devient ainsi un privilège idéologique, accordé selon la
légitimité attribuée par le narratif nationaliste et non selon un principe
universel de droit des peuples.
Le seul et
unique responsable de cette situation s'appelle sionisme. Car c'est du sionisme
que découlent depuis 1948 meurtres de masse, assassinats, épuration ethnique,
colonisation, expulsion des autochtones, accaparement de terres, racisme et
suprémacisme. Parce qu'il ne produit que mort, désolation, crimes de guerre et
crimes contre l'humanité - parmi lesquels le crime suprême qu'est le génocide-,
le sionisme, idéologie occidentale doit être dénoncé devant l'Histoire et la
justice des hommes.
La force des mots dénoncée et mobilisée : la presse pro-Israëlienne
critique Macron pour sa diplomatie « verbale ». Mais sa démonstration
repose elle-même sur la force des mots et des symboles : la date de Roch
Hachana, l’origine du mot « Palestine », les couleurs du drapeau.
Il y a une contradiction évidente : on dénonce la performativité des mots tout
en construisant un raisonnement basé sur leur pouvoir symbolique. La rhétorique
elle-même devient l’instrument principal de persuasion.
Une solidarité juive conditionnelle : la presse pro-israélienne prétend
défendre les Juifs, mais ne reconnaît que les voix qui confortent son récit :
intellectuels critiques de la colonisation, ONG israéliennes ou militants
progressistes sont ignorés ou disqualifiés. La solidarité n’est pas
universelle, mais conditionnée par l’adhésion à un récit identitaire.
Conclusion :
les risques d’un récit fermé : la presse pro-israélienne illustre une
logique connue : transformer un débat politique complexe en opposition binaire
et simpliste, où Israël symbolise la légitimité et la modernité, et la
Palestine incarne la menace et l’archaïsme. Il ne s’agit pas d’une analyse,
mais d’une rhétorique de combat identitaire, fondée sur l’instrumentalisation
de la mémoire, l’usage sélectif de l’histoire et l’essentialisation des
adversaires.
La lecture
attentive de ces textes révèle aussi les contradictions internes : mémoire
juive invoquée tout en niant l’antisémitisme historique de certains milieux,
célébration d’Israël tout en rejetant ses complexités internes, dénonciation
des mots tout en les utilisant comme preuve. Ces contradictions montrent que
l’objectif n’est pas la cohérence intellectuelle, mais la mobilisation
idéologique et émotionnelle.
Plus
largement, ce type de discours pose un risque démocratique et intellectuel : en
enfermant le débat dans un récit clos et manichéen, il empêche la nuance, le
dialogue et la réflexion critique. Comprendre ces mécanismes est essentiel pour
distinguer analyse politique et rhétorique de combat identitaire, et pour
préserver un espace de débat public fondé sur l’information et la complexité
plutôt que sur la peur et l’essentialisation.
L’analyse sur la presse pro-Israëlienne révèle que son objectif n’est pas d’éclairer les enjeux géopolitiques ou diplomatiques, mais de construire un récit idéologique structuré autour de trois mécanismes principaux :
Victimisation de la mémoire juive : elle est mobilisée pour délégitimer toute reconnaissance de l’État palestinien. La souffrance et l’histoire du peuple juif sont transformées en arguments politiques, instrumentalisées pour justifier un positionnement unilatéral et disqualifier symboliquement toute initiative de dialogue.
Sélection historique partiale : en choisissant certains événements et en omettant d’autres, l’article construit une continuité d’illégitimité palestinienne. Les épisodes qui pourraient nuancer le récit – la Nakba, l’occupation, les colonies ou les résolutions internationales – sont ignorés, donnant l’impression d’une Palestine historiquement contestable et politiquement incapable.
Effacement de la complexité et des responsabilités israéliennes : le conflit est réduit à une opposition binaire entre un Israël toujours légitime et des Palestiniens intrinsèquement incapables ou corrompus. Cette simplification masque la multiplicité des acteurs, des trajectoires et des enjeux qui façonnent le conflit depuis un siècle.
Ces
mécanismes montrent que l’article relève moins d’une analyse que d’une
rhétorique de combat identitaire, conçue pour mobiliser, exclure et polariser.
La lecture attentive de tels textes est indispensable pour préserver un espace
de débat public nuancé, fondé sur la complexité, le dialogue et l’information,
et non sur la peur, l’essentialisation ou la manipulation symbolique.
Kader Tahri
Chroniqueur engagé, observateur inquiet
« Il faut dire les choses comme elles sont, mais refuser qu’elles soient
comme ça. »
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