Certains intellectuels français
persistent à entretenir la fable d’une colonisation bienveillante,
civilisatrice, presque nécessaire. Qu’il s’agisse des dithyrambes autour de la
« conquête » de l’Algérie, ou des diatribes sur la supposée « névrose
algérienne », un même mécanisme est à l’œuvre : blanchir l’histoire coloniale,
inverser les responsabilités, et transformer les victimes en coupables.
Je relève à mon tour que certains
récits, comme ceux consacrés à l’ouvrage sur la conquête de l’Algérie, on
croirait presque que la colonisation française aurait été une étape «nécessaire»,
une aventure civilisatrice, voire un laboratoire social généreux. Une telle
présentation est non seulement trompeuse, mais dangereuse : elle recycle les
mythes coloniaux qui, depuis deux siècles, servent à maquiller une guerre de
conquête en geste humanitaire.
Des mots « appropriation », «
cohabitation », « expérimentation sociale » sont des euphémismes indécents. La
vérité est là : enfumades dans les grottes ((Les estimations oscillent entre
700 et plus de 1 000 victimes humaines.), villages entiers rasés,
terres volées, famines organisées, populations réduites à l’indigénat. Entre
1830 et 1872, un tiers de la population algérienne a disparu. Est-ce cela,
votre civilisation ?
Ah, la rengaine est de retour. Chaque
fois qu’on parle de colonisation, voilà qu’arrivent les défenseurs de «
l’Algérie française », la larme à l’œil et le verbe docte, pour nous expliquer
que, sans la France, les Algériens n’auraient jamais découvert ni la roue, ni la
lumière, ni qui sait l’hygiène. On se demande encore comment ce peuple,
supposément plongé dans l’obscurité totale, avait réussi à exister plusieurs
millénaires avant 1830. Miracle ou magie noire, sans doute.
Non, les
infrastructures ne furent pas un cadeau
Ils nous brandissent les routes, les
ports, l’école comme preuves de modernisation. Mais ces routes servaient
d’abord aux colonnes militaires ; ces ports exportaient le blé et le vin
spoliés ; ces écoles formaient une élite docile, tout en maintenant la masse
dans l’analphabétisme. La colonisation ne construisait pas pour les Algériens :
elle construisait contre eux, pour enrichir la métropole et asseoir la
domination.
Oui, l’Algérie
s’est forgée, mais dans la résistance
Ah, celle-là, je
l’adore. Donc avant les canons de Bugeaud, l’Algérie n’existait pas ? C’était
un décor vide, avec des figurants qui attendaient sagement qu’un général
français vienne leur donner un nom, un drapeau et un mode d’emploi ? Comme si
les royaumes berbères, les dynasties musulmanes, la régence d’Alger étaient des
hologrammes en attente d’une colonie. Sérieusement ? C’est comme dire qu’un
incendiaire a « inventé » la maison qu’il vient de brûler.
C’est Abd el-Kader, pas Bugeaud, qui a
donné à ce pays son souffle politique. C’est la guerre de libération, pas le
Code de l’indigénat, qui a forgé l’État moderne. L’Algérie est née du refus
d’être soumise, pas du joug colonial. Voilà la vérité que vous cherchez à
travestir.
Cesser de se
cacher derrière les échecs du FLN
Enfin, à vous qui détournez le regard en
pointant du doigt la corruption, la dictature ou la guerre civile
post-indépendance : votre argument est fallacieux. Oui, l’Algérie indépendante
a connu ses drames et ses trahisons. Mais ces échecs n’effacent pas les crimes
coloniaux, pas plus que la misère actuelle d’un peuple ne justifie qu’il ait
été autrefois asservi. Et n’oubliez pas : beaucoup des travers du pouvoir
algérien sont l’héritage direct d’un État colonial militarisé et autoritaire.
L’Algérie n’est
pas une invention française
On lit encore que « l’Algérie est une
création française ». C’est une absurdité historique. L’Algérie existait bien
avant 1830, dans sa profondeur humaine, culturelle et politique : royaumes
berbères, dynasties musulmanes, régence ottomane. Ce que la France a inventé,
ce n’est pas l’Algérie : c’est une colonie taillée pour servir ses intérêts
militaires et économiques, construite sur la négation des peuples qui y
vivaient.
La mission
civilisatrice : un alibi pour la spoliation
L’idée que la colonisation aurait apporté
l’école, les infrastructures, le progrès est un mensonge répété à l’envi. Les
routes et les ports ? Ils servaient à déplacer les troupes et exporter les
richesses vers la métropole.
L’école ?
Réservée aux colons et à une élite
minoritaire, destinée à fabriquer des auxiliaires de l’administration
coloniale. Pendant ce temps, la grande majorité des Algériens était maintenue
dans l’analphabétisme et la misère.
La « mission civilisatrice » fut un
habillage idéologique. En réalité, la colonisation signifiait spoliation
massive des terres, apartheid juridique du Code de l’indigénat, et dépossession
culturelle systématique.
L’Algérie s’est
forgée contre, et non grâce à la colonisation
Ce que la France a voulu étouffer, les
résistances l’ont fait naître. Abd el-Kader incarne la première affirmation
nationale, prolongée plus d’un siècle plus tard par la guerre de libération.
C’est dans la lutte, pas dans l’assimilation forcée, que s’est forgée la
conscience algérienne. L’Algérie moderne est fille de la résistance, pas de
l’occupation.
Mais enfin, regardez
l’Algérie d’aujourd’hui !
Certains, pour dédouaner la France,
n’hésitent pas à pointer les dérives du régime algérien après 1962 :
autoritarisme, corruption, guerre civile. Mais ce procédé est une diversion.
Les erreurs des dirigeants algériens ne sauraient en rien justifier ou
minimiser 132 ans d’apartheid colonial. D’autant que bien des travers de l’État
algérien indépendant centralisation autoritaire, militarisation du pouvoir sont
directement hérités de l’organisation coloniale.
Argument préféré des nostalgiques. Traduction : puisque vous avez des problèmes politiques et économiques en 2025, cela prouve qu’on aurait dû vous coloniser encore un siècle de plus. Génial. Avec ce raisonnement, on pourrait dire que puisque la France actuelle a ses crises sociales et ses scandales de corruption, elle aurait bien besoin de se faire recoloniser par qui ? L’Allemagne, pour parler enfin l’Allemand ou lieu du Français que l’Afrique presque entière vient de le refuser.
La vérité ? Elle
pique
La colonisation n’a pas apporté la
lumière, elle a imposé les ténèbres de l’apartheid. Elle n’a pas bâti une
nation, elle a tenté d’en étouffer une. Elle n’a pas donné, elle a pris. Et
ceux qui continuent de parler de « bienfaits » ressemblent à ces pickpockets
qui, après vous avoir volé votre portefeuille, vous expliquent qu’ils vous ont
« soulagé du poids ».
Nostalgie
coloniale : une maladie française
À force, on se demande si ce n’est pas
ça, la fameuse « névrose » : cette incapacité de certains Français à tourner la
page de leur empire perdu, préférant se bercer de contes pour enfants plutôt
que d’affronter la vérité. Eh bien non, désolé : l’Algérie n’était pas une page
blanche. Et la France coloniale n’était pas une institutrice bienveillante,
mais une armée d’occupation.
Alors, amis nostalgiques, rangez vos
violons. La civilisation ne sort pas du canon d’un fusil. L’histoire n’est pas
un roman de cape et d’épée. Et votre empire, quoi que vous en disiez, n’a pas
laissé des bienfaits mais des cicatrices.
Assez de
nostalgie coloniale
Messieurs les nostalgiques, cessez de
travestir l’histoire. La colonisation ne fut pas une mission civilisatrice : ce
fut une spoliation, un apartheid et une guerre de destruction. Persister à la
présenter comme un bienfait, c’est insulter la mémoire de millions de victimes
et prolonger l’arrogance d’un empire disparu.
La seule attitude digne aujourd’hui
n’est pas la nostalgie, mais la lucidité. La France ne s’abaisse pas en
reconnaissant ses crimes : elle s’honore. À continuer de se réfugier dans le
mythe, elle ne fait que retarder le jour où les mémoires pourront, enfin, se
réconcilier dans la vérité.
La vérité est claire : la colonisation
de l’Algérie fut une entreprise de domination violente, qui a détruit des vies,
des structures sociales et des cultures entières pour enrichir la France et
asseoir sa puissance. La présenter encore aujourd’hui comme une œuvre «
civilisatrice » est une insulte à la mémoire des victimes et un obstacle à
toute réconciliation sincère.
Reconnaître cela ne signifie pas
s’enfermer dans une « guerre mémorielle ». Cela signifie simplement dire la
vérité. Car sans vérité, il ne peut y avoir ni paix des mémoires, ni avenir
partagé.
Kader Tahri
Chroniqueur engagé, observateur inquiet
« Il faut dire les choses comme elles sont, mais refuser qu’elles soient
comme ça. »
https://kadertahri.blogspot.com/