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Le crime de la jeune Bédouine de Nirim : violence accordée et mémoire effacée

 

L’été 1949 marque une période charnière. L’État d’Israël vient à peine de naître, au terme d’une guerre sanglante qui a opposé les forces sionistes aux armées arabes et aux populations palestiniennes. Pour les Palestiniens, c’est le début de la Nakba  la catastrophe qui a vu l’expulsion de plus de 700 000 personnes et la destruction de centaines de villages. 
Dans ce climat de militarisation et d’hostilité, les Forces de défense israéliennes (FDI) sont créées à partir de milices préexistantes : la Haganah, l’Irgoun et le Lehi. Ces groupes, rompus à la lutte clandestine et aux représailles, ont importé dans l’armée régulière une culture de brutalité, où la frontière entre combat militaire et violences contre les civils restait monnaie courante. C’est dans ce contexte que se situe l’affaire dite du crime de Nirim.


Le crime : une violence exemplaire

En août 1949, une jeune Bédouine du désert du Néguev, âgée d’à peine quinze à vingt ans, est capturée par une patrouille israélienne. Deux hommes qui l’accompagnaient sont tués ou s’échappent. Elle, en revanche, est conduite dans un avant-poste militaire près du kibboutz Nirim.

Là, sous l’autorité d’un officier d’une vingtaine d’années, une fête est organisée pour les soldats. Pâtisseries, vin et discours d’unité précèdent une scène macabre : le commandant donne à ses hommes le « choix » entre faire de la jeune fille une aide domestique ou la violer collectivement. Les soldats, dans un climat de camaraderie et de dérision, choisissent la seconde option.

S’ensuit une série de violences sexuelles. La victime est déshabillée, lavée au tuyau d’arrosage, exposée nue devant l’unité. Son corps est transformé en spectacle et en trophée. Pendant des heures, elle est violée tour à tour par les soldats, avant d’être « réservée » au commandant.

Le lendemain, estimant qu’elle représentait une gêne, l’officier décide son exécution. Alors qu’elle tente de fuir, elle est abattue d’une balle à l’arrière de la tête et enterrée à la hâte, à moitié nue, dans une fosse anonyme.


La justice militaire : impunité et silence

L’armée israélienne, informée par un soldat choqué, ouvre une enquête. Mais le crime est aussitôt requalifié : il n’est pas question de viol ni de meurtre, mais de « négligence dans la prévention d’un crime ». Les sanctions infligées sont minimes, le commandant est discrètement réintégré, et aucun nom n’est publié.

Cette gestion de l’affaire révèle une volonté politique claire : protéger l’image de l’armée naissante, éviter tout scandale international, et effacer la mémoire de la victime. Ce n’est pas seulement un crime commis contre une jeune fille ; c’est un crime recouvert par le silence institutionnel, qui transforme la victime en inexistence.


Un symbole des violences de la Nakba

Le crime de Nirim n’est pas un acte isolé. Il s’inscrit dans une série de violences ayant marqué la Nakba : expulsions, massacres, pillages et viols. Les récits de survivants palestiniens, mais aussi certains documents militaires israéliens déclassifiés, attestent que ces pratiques, loin d’être marginales, étaient courantes dans plusieurs zones de conflit.

Le kibboutz, symbole du projet sioniste et de la « renaissance sur la terre », devient ici le décor d’un crime barbare. Là où l’on cultivait l’image d’une société égalitaire et fraternelle, des soldats ont célébré l’humiliation et la mort d’une adolescente sans nom.


Mémoire et oubli : la double mort de la victime

L’un des aspects les plus glaçants de cette affaire est l’anonymat de la jeune Bédouine. Son nom n’a pas été enregistré. Sa famille n’a pas pu lui offrir de sépulture. Sa tombe a disparu, et son histoire n’a survécu que par des fragments de témoignages.

En hommage à cette petite personne du Désert, je tenterai dans une reconstitution mémorielle de donner un visage à la victime de Nirim :

Elle n’a pas de nom dans les archives. Pourtant, on peut imaginer son enfance quelque part dans le désert du Néguev.

Peut-être a-t-elle grandi sous une tente bédouine, le sable comme horizon, les troupeaux comme richesse, la voix de sa mère l’appelant au matin. Ses journées se remplissaient de gestes simples : puiser l’eau, ramasser du bois, courir derrière ses frères  et sœurs. Le ciel immense était son toit, la chaleur écrasante son quotidien, et les nuits, éclairées d’étoiles, portaient des histoires anciennes transmises par les anciens de la tribu. Puis un jour, le destin a basculé. Des cris d’hommes armés, des ordres dans une langue qu’elle ne comprenait pas.

L’arrachement brutal de ce monde familier. Elle ne savait pas où on l’emmenait, ni pourquoi. Dans ses yeux, la peur, l’incompréhension, la solitude absolue d’une jeune fille de quinze ou vingt ans, soudain jetée au milieu d’une garnison étrangère. On ne saura jamais ce qu’elle a ressenti quand on l’a déshabillée de force, lavée au jet d’eau sous les rires. 

Peut-être le froid du métal, le sable collé à sa peau, la honte insoutenable de voir son corps transformé en spectacle. Dans la tente du commandant, elle a dû deviner ce qui allait arriver. Sa dignité brisée, son corps pris comme un butin.

Dans le silence, il n’y avait ni mots, ni secours, seulement la certitude que sa vie ne valait rien pour ceux qui l’entouraient. Le lendemain, elle a couru. Ses pieds nus frappaient la terre sèche. Six mètres seulement. Une balle derrière la tête. Et puis plus rien.

Le sable a recouvert son corps, mais aussi son nom. L’oubli a achevé le crime.                               Pourtant, se souvenir d’elle, même sans identité complète, est un acte de justice.                     Redonner, ne serait-ce qu’un instant, un visage, une vie, une histoire, c’est refuser que son existence se réduise au silence d’une tombe anonyme

Cet oubli organisé constitue une seconde mort. Effacer l’identité de la victime, c’est effacer la preuve du crime. Or, dans les conflits, l’oubli est une arme aussi puissante que la balle. Là où il n’y a ni trace, ni nom, ni mémoire, il devient possible de nier ou de minimiser.


Héritages et résonances contemporaines

Le crime de Nirim éclaire la logique de violence qui a présidé à la fondation d’Israël et qui continue de hanter la région. Pour les Palestiniens, ces histoires de villages détruits, de viols et de massacres constituent un traumatisme fondateur. Elles alimentent la mémoire collective et nourrissent la colère des générations suivantes.

Ainsi, lorsque le kibboutz de Nirim a été attaqué le 7 octobre 2023, certains groupes armés palestiniens ont évoqué la mémoire de ces crimes passés pour justifier leurs cibles. L’histoire devient alors une arme, un champ de bataille mémoriel qui prolonge le cycle de violence.


Conclusion : dignité et mémoire

Le crime de Nirim n’est pas seulement l’histoire d’un viol collectif et d’un meurtre. C’est l’histoire d’une mémoire effacée, d’un nom jamais prononcé, d’une dignité volée deux fois – par l’acte et par l’oubli.

Rendre compte de ce crime aujourd’hui, c’est déjà un acte de justice. C’est redonner une voix à celle qu’on a voulu réduire au silence. C’est aussi rappeler que les États, même dans leur naissance, portent en eux des ombres que seule la mémoire peut éclairer.

Elle méritait un nom. Elle méritait une sépulture. Elle méritait la vie.

Ce détail de l’Histoire permettrait de saisir, dans son intimité la plus profonde, la souffrance originelle des Palestiniens et désignant l’exode forcé des populations arabes parfois au gré de massacres perpétrés dans des villages.

Kader Tahri
Chroniqueur engagé, observateur inquiet
« Il faut dire les choses comme elles sont, mais refuser qu’elles soient comme ça. »

https://kadertahri.blogspot.com/


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