On voudrait
nous prendre par la main, nous ramener deux ans en arrière, nous forcer à
regarder encore et encore la même image : Israël en victime éternelle,
Israël attaqué, Israël endeuillé.
Le deuxième anniversaire du 7 octobre s’annonce comme une grande messe d’amnésie
organisée. Reportages lacrymaux, documentaires scénarisés, reconstitutions
hollywoodiennes tout sera mobilisé pour
réactiver ce traumatisme. Comme si, en répétant assez fort, assez longtemps, on
pouvait faire oublier ce que le monde a vu depuis.
Mais ce
qu’on a vu, nous ne pourrons jamais l’oublier.
Et c’est précisément là que se loge l’hypocrisie occidentale.
La
commémoration comme arme de diversion
Les
hasbaristes vont être vraiment odieux. Ils vont déblatérer sur le Palestinien qui
décapite des bébés, puis les cuire au four, puis coucher avec eux, puis les
manger, et enfin jouer au foot avec leurs têtes tout en chantant leur amour
pour Adolf Hitler.
Les victimes
israéliennes du 7 octobre 2023 méritent mémoire et respect. Personne ne nie que
des civils aient été tués ce jour-là, et que ce fût un drame. Mais quand la
commémoration se transforme en industrie médiatique, en outil de propagande
et en arme de guerre, alors la mémoire devient une insulte.
Que
reste-t-il de la compassion sincère quand les morts d’un camp servent à effacer
les morts de l’autre ? Quand les pleurs pour certains servent à étouffer les
cris d’agonie de tous les autres ? Car le bilan depuis le 7 octobre est
effroyable. Plus de 40 000 Palestiniens tués à Gaza en deux ans, selon les
chiffres des ONG. Des dizaines de milliers de blessés, mutilés, orphelins. Des
hôpitaux bombardés, des camps de réfugiés pulvérisés, des familles entières
rayées de la carte. La famine comme arme. Le blocus comme sentence de mort. Des
crimes contre l’humanité dénoncés par l’ONU, Amnesty International,
Human Rights Watch.
Et pourtant,
au moment de l’anniversaire, on nous servira encore les mêmes images du 7 octobre,
soigneusement emballées dans un récit unique : Israël victime, Israël menacé
d’extermination. Le 7 octobre n’est plus
un souvenir, c’est devenu un alibi de vengeance, un alibi de génocide.
Le monde
n’est plus dupe
En 2023,
l’émotion était sincère mais naïve. Les images de l’attaque du Hamas avaient
choqué l’Occident, et Israël avait su exploiter ce moment pour rallier un
soutien immédiat, inconditionnel. On se demandait :“Comment le Palestinien
a-t-il pu faire une chose pareille ?”
Deux ans
plus tard, la question s’est inversée. Devant l’accumulation d’atrocités
commises par Tsahal, devant les déclarations officielles appelant à “anéantir
Gaza” et à “vider la bande de ses habitants”, devant les images insoutenables d’enfants
déchiquetés sous les bombes, d’hôpitaux réduits en gravats, de civils abattus
alors qu’ils attendaient de la nourriture, l’innocence n’existe plus.
Le récit
israélien s’est fissuré, puis effondré. Même les alliés occidentaux ne peuvent
plus cacher la vérité : Israël ne se défend pas, il massacre. Israël
n’est pas la victime éternelle, il est devenu bourreau.
Les sondages
montrent une montée spectaculaire de la solidarité envers les Palestiniens. Les
manifestations monstres, les boycotts, les prises de position d’artistes,
d’universitaires, de syndicats, témoignent de ce retournement. Même dans les
chancelleries, la gêne est palpable.
C’est pour cela que la machine commémorative s’emballe : parce qu’Israël sent
que l’opinion lui échappe.
Le spectacle
de la mémoire
Les
plateformes de streaming diffusent des séries entières consacrées au 7 octobre.
TV Françaises et d’autres encore. Des documentaires “exclusifs” promettent de
nouvelles révélations, toujours plus macabres, toujours plus sensationnelles. Il
ne s’agit plus d’informer, mais de mettre en scène. De transformer la douleur
en spectacle de la mémoire.
Un spectacle calibré pour raviver l’indignation et détourner les regards du
présent.
Et demain,
peut-être, on inventera encore d’autres atrocités : des récits si grotesques
qu’ils en deviennent caricaturaux. On nous répétera les histoires invérifiables
de bébés décapités, brûlés, violés, mangés. La compassion à géométrie
variable est devenue une stratégie de guerre.
Pendant ce
temps, Gaza continue de mourir dans le silence.
L’horreur
sélective
Tout cela
repose sur une vérité brutale : dans l’Occident médiatique et politique, toutes
les vies ne se valent pas.
Les vies israéliennes comptent. Elles méritent documentaires, séries,
hommages nationaux.
Les vies palestiniennes ne comptent pas. Elles ne méritent que des
statistiques anonymes.
On pleure
des civils israéliens tués en une journée. On détourne le regard de dizaines de
milliers de civils palestiniens massacrés en deux ans. On brandit l’antisémitisme
comme bouclier pour réduire au silence toute critique du gouvernement
israélien. C’est cela, l’horreur sélective : une mémoire à géométrie
variable, calibrée selon l’identité des victimes.
Ce que nous
avons vu
Mais le
problème pour Israël et ses alliés, c’est que nous avons vu.
Nous avons
vu les bombardements sur des hôpitaux pleins de blessés.
Nous avons vu les charniers improvisés où l’on enterre des dizaines d’enfants à
la hâte.
Nous avons vu les soldats israéliens filmer leurs exactions, moquant les
Palestiniennes tuées, posant avec les sous-vêtements volés, se vantant de
massacrer des familles.
Nous avons vu les files interminables de civils affamés abattus alors qu’ils
attendaient de la nourriture.
Nous avons vu des ministres israéliens déclarer qu’ils voulaient “nettoyer
Gaza”.
On ne peut pas voir autant d'atrocités
horribles avant de cesser de voir Israël comme une pauvre petite victime aux
yeux de Bambi.
On ne peut pas entendre autant de
responsables israéliens annoncer
leur intention de nettoyer ethniquement la bande de
Gaza de tous les Palestiniens, on ne peut pas voir autant de soldats
israéliens vêtus avec moquerie des sous-vêtements des femmes palestiniennes mortes et déplacées
qu'ils ont génocidées, on ne peut pas lire autant de bombardements d'hôpitaux ,
On
ne peut pas écouter autant de récits de soldats de Tsahal massacrant des
civils affamés dans
des centres de secours, avant de commencer à se dire qu'Israël l'avait
probablement bien cherché
Tout cela
n’est pas de la propagande. Ce sont des preuves, des vidéos, des témoignages,
des rapports d’ONG et d’organisations internationales. Et ce qui a été vu ne
peut pas être oublié.
Refuser la
manipulation
Alors non,
nous ne tomberons pas dans le piège.
Ce qu'il faut, une enquête
internationale qui examine toutes les preuves connues de cette opération sous
fausse bannière flagrante et manifeste. Il faut commencer par des interviews
avec des responsables des services de renseignements égyptiens qui ont déjà
déclaré que Netanyahou lui-même avait été directement averti, plusieurs jours à
l'avance, de cette opération imminente hors de Gaza, puis illustrer sa réponse.
Le retrait des troupes de Tsahal de la frontière de Gaza et leur
repositionnement en Cisjordanie. Le repositionnement du « festival de la paix »
sur un site plus proche de la frontière de Gaza.
Sans aucune raison donnée, un
retrait militaire a été ordonné le matin de l'attaque et, inexplicablement, des
heures se sont écoulées avant qu'ils n'instaurent une quelconque forme de
réponse militaire. Le plus critique a été la directive Hannibal qui a
apparemment été donnée, envoyant des chars et des hélicoptères de combat, qui
ont tué la majorité des civils israéliens.
Ce sont toutes des questions qui
ont été posées à Netanyahou, auxquelles il a refusé de répondre, affirmant
qu'elles ne peuvent pas être posées alors qu'ils ont une ou plusieurs actions
militaires en cours. Lorsque Gantz a démissionné, il a appelé à une enquête
complète sur tous les membres du haut commandement, y compris lui-même.
Nous ne laisserons pas l’anniversaire du 7 octobre devenir une arme d’amnésie
organisée.
Nous n’accepterons pas que la mémoire des morts israéliens serve à effacer
celle des morts palestiniens.
Rappeler le
7 octobre, oui. Mais rappeler aussi, et surtout, le 8 octobre, le 9, le 10, et
tous les jours qui ont suivi, jusqu’à aujourd’hui.
Rappeler que chaque bombe lâchée sur Gaza depuis ce jour est un crime de
guerre, une punition collective, un pas de plus dans un génocide.
Le 7 octobre n’est pas un souvenir,
c’est devenu un alibi.
On pleure les morts israéliens en série
télévisée, on efface les morts palestiniens en statistiques anonymes. La mémoire des uns est utilisée
comme arme d’effacement des autres.
Ce n’est pas une commémoration, c’est une diversion. On nous somme de pleurer
avec un œil et de rester aveugles de l’autre. Les vies israéliennes font la
une, les vies palestiniennes sont reléguées en bas de page.
Nous
n’oublierons pas
La mémoire
sélective est une insulte à l’histoire. L’instrumentalisation des morts est une
profanation.
Nous devons refuser ce chantage moral qui nous intime de pleurer avec un œil et
de rester aveugles de l’autre.
Nous avons
vu. Nous
savons.
On nous intime de pleurer Israël, on nous interdit de voir Gaza, mais ce
que nous avons
vu à Gaza, nous ne l’oublierons pas. Jamais.
Kader Tahri
Chroniqueur engagé, observateur inquiet
« Il faut dire les choses comme elles sont, mais refuser qu’elles soient
comme ça. »





.jpg)
