Parfois il m'est utile de le dire !

                                                                                                          Oh! Colombe, transmets mon salut d...

Maroc 2025 : entre vitrines mondiales et urgences citoyennes

Un drame qui révèle un malaise profond

Fin septembre 2025, l’hôpital Hassan-II d’Agadir a basculé dans le chaos. En quelques jours, plusieurs femmes y ont trouvé la mort, faute de soins adaptés et dans des conditions jugées indignes. Ce drame, largement relayé par la presse marocaine, a agi comme un électrochoc. Il a mis en lumière ce que beaucoup vivent au quotidien : un système de santé public sous-financé, débordé, incapable d’assurer un service essentiel.

Cet événement tragique n’est pas isolé. Il cristallise une réalité que les Marocains dénoncent depuis longtemps : l’écart grandissant entre les ambitions affichées à l’international et les besoins fondamentaux d’une population qui peine à accéder à des soins de qualité, à une éducation décente, ou même à un logement digne.

Quand la rue prend la parole

À la suite de ce drame, la colère a gagné les rues de Rabat, Casablanca, Marrakech ou Tanger. Des milliers de citoyens ont scandé : « Pas de stades, des soins ! » ; « Pas de Coupe du monde, des écoles ! ». Ces slogans, repris par la presse nationale, résument parfaitement l’état d’esprit ambiant : le sentiment que l’État investit davantage dans l’image que dans la vie quotidienne de ses habitants.

Cette contestation s’explique par un contexte social difficile. L’inflation, même en ralentissement, continue de peser sur les ménages. Le chômage, notamment des jeunes diplômés, reste préoccupant. Dans les campagnes, les enfants parcourent encore des kilomètres à pied pour rejoindre une école délabrée. Dans les villes, des familles survivent dans des logements précaires ou menacées d’expulsion. Et les sinistrés du séisme de 2023 vivent, pour beaucoup, toujours dans des abris temporaires.

L’obsession du Mondial 2030

Dans ce climat, la préparation de la Coupe du monde 2030 apparaît comme un symbole de ce décalage. Les investissements colossaux engagés pour rénover ou construire des stades, moderniser des infrastructures et répondre aux exigences de la FIFA contrastent avec les difficultés sociales de base.

Certes, les défenseurs de cette stratégie soulignent les retombées économiques potentielles : augmentation du tourisme, emplois temporaires, rayonnement international. Mais une partie de la presse marocaine, ainsi que de nombreux économistes, rappellent que ces bénéfices sont incertains, différés, et parfois surestimés. La comparaison avec la Grèce, ruinée après ses Jeux olympiques de 2004, revient régulièrement dans les débats : une vitrine mondiale peut rapidement se transformer en fardeau budgétaire.

Une diplomatie ambitieuse mais clivante

Le Maroc ne se limite pas aux stades. Depuis plusieurs années, il déploie une diplomatie ambitieuse, cherchant à s’imposer comme acteur régional et partenaire stratégique de l’Europe et des États-Unis. Cette volonté de rayonnement s’est traduite par la normalisation des relations avec Israël, par des investissements massifs en Afrique subsaharienne et par une mobilisation continue autour de la question du Sahara occidental.

Mais cette diplomatie a aussi ses fragilités. Elle se heurte à l’opinion d’une majorité de Marocains, toujours attachés à la cause palestinienne. Elle s’accompagne d’une fermeture des frontières avec l’Algérie, qui bloque toute perspective de coopération régionale. Elle nourrit enfin un sentiment d’isolement alors que les priorités sociales internes ne trouvent pas de réponses rapides.

Une gouvernance fragilisée

À ces tensions s’ajoutent des incertitudes politiques. L’absence prolongée du roi Mohammed VI alimente les spéculations sur sa santé et sur les modalités de sa succession. Dans le même temps, la montée de la contestation sociale met à l’épreuve la capacité des institutions à maintenir la stabilité.

Le contraste est saisissant : un pays capable de planifier une Coupe du monde avec ses partenaires ibériques, mais en difficulté lorsqu’il s’agit de gérer un hôpital régional, de reloger les sinistrés d’un séisme ou d’offrir un avenir crédible à sa jeunesse.

Le risque d’une fracture durable

Le Maroc fait face à un dilemme que résume bien une formule entendue dans les manifestations : « la vitrine ne nourrit pas ». À force de miser sur le prestige international, il risque de négliger la cohésion interne. Or, un pays qui laisse s’installer durablement la pauvreté, l’injustice sociale et le désespoir des jeunes prend le risque d’une fracture difficile à réparer.

Les leçons internationales sont nombreuses. La Grèce de 2004, déjà évoquée, a payé au prix fort ses ambitions sportives. Mais d’autres exemples montrent aussi que les grands événements peuvent être des leviers positifs à condition d’être accompagnés d’une politique sociale solide. La question, pour le Maroc, est de savoir s’il transformera cette opportunité en moteur de développement partagé ou s’il laissera grandir le ressentiment d’une population qui peine à joindre les deux bouts.

Conclusion : l’urgence du social

Le Maroc de 2025 est à un tournant. Son avenir ne se jouera pas seulement sur la pelouse d’un stade flambant neuf, mais dans la capacité de ses dirigeants à répondre à une exigence simple : garantir à chaque citoyen l’accès aux droits fondamentaux – santé, éducation, logement, emploi.

La Coupe du monde 2030 peut être une fierté nationale. Mais elle risque aussi de devenir le symbole d’un pays qui a préféré séduire l’extérieur plutôt que de prendre soin de l’intérieur. Entre la vitrine mondiale et la réalité sociale, le choix est clair : aucun trophée ne vaudra la dignité de ses citoyens.

Kader Tahri
Chroniqueur engagé, observateur inquiet
« Il faut dire les choses comme elles sont, mais refuser qu’elles soient comme ça. »

 

 

 

Aucun commentaire: