Face à la polémique autour des visas étudiants
algériens, cette analyse démonte les ressorts d’un discours médiatique empreint
de mépris postcolonial et de fantasmes anti-immigration, révélateur d’un
imaginaire français de supériorité morale et culturelle.
La presse dénonçant
la hausse du nombre de visas étudiants algériens pour 2025 n’a rien d’une position
neutre. Sous le vernis d’une réflexion diplomatique, il constitue une production
discursive idéologique, porteuse de jugements de valeur explicites sur
l’Algérie et sur les mobilités estudiantines.
La presse ne se contente pas d’exposer des faits : elle fabrique une
perception, celle d’une France victime de sa propre ouverture et d’une
Algérie présentée comme un fardeau moral et politique.
En cela,
elle s’inscrit dans une logique de discours anti-immigration, nourrie
d’un imaginaire de supériorité morale et culturelle. Ce discours,
typique de certaines mouvances de droite et d’extrême droite, recycle les vieux
réflexes coloniaux : hiérarchiser, juger, disqualifier l’autre pour mieux
affirmer une identité nationale supposée menacée.
Le
lexique du mépris : “la grisaille algérienne”
La phrase
selon laquelle “on éprouve peu d’envie de retourner dans la grisaille
algérienne” est le point nodal du texte. Ce n’est pas une simple image :
c’est un condensé de jugement moral, un geste de dévalorisation
culturelle.
La “grisaille” n’est pas ici une description objective mais une
construction symbolique : elle renvoie à une Algérie terne, stérile, sans
avenir un pays réduit à une condition quasi naturelle d’échec.
Ce regard
essentialiste transforme une situation socio-économique complexe en
fatalité civilisationnelle. La jeunesse algérienne, pourtant dynamique et
connectée, est ramenée à une caricature de désespoir. C’est le retour du regard
colonial, qui naturalise la domination : la France éclaire, l’Algérie
subit. Derrière l’analyse politique, on retrouve l’ombre du mythe civilisateur,
recyclé sous une forme contemporaine.
L’opposition
biaisée Maroc / Algérie : une hiérarchisation implicite
Le texte
compare les étudiants algériens aux Marocains, jugés plus enclins à rentrer
dans leur pays, car les “perspectives économiques du Maroc sont plus
attrayantes”.
Cette comparaison n’est pas fortuite : elle sert une hiérarchie politique
conforme à la géopolitique française. Le Maroc, partenaire docile, serait
la réussite ; l’Algérie, partenaire critique, serait l’échec.
Ainsi, le
discours médiatique devient le prolongement symbolique de la diplomatie : il
distribue les bons et les mauvais points selon l’alignement politique des
États.
Ce procédé relève d’un orientalisme contemporain, qui continue d’évaluer
les pays du Sud à travers les attentes du Nord.
L’étudiant
comme figure du soupçon
En
assimilant les visas étudiants à une “voie d’émigration banale”, l’auteur
confond délibérément mobilité académique et migration illégitime.
Ce glissement rhétorique alimente le fantasme du “visa étudiant détourné”
un thème récurrent dans les discours anti-immigration. Les étudiants algériens
cessent alors d’être des acteurs du savoir pour devenir des suspects, des
“profiteurs” potentiels.
Or, les
données officielles montrent l’inverse : Les étudiants étrangers représentent une
ressource économique majeure pour les universités françaises. Ils
participent à la recherche, à l’innovation et à la vitalité culturelle. Ils
sont, souvent, les meilleurs ambassadeurs du rayonnement intellectuel
français à l’international.
Mais dans
cette chronique, ces réalités sont effacées au profit d’une vision obsédée par
la frontière. Le savoir devient suspect, l’ouverture devient faiblesse, et la
jeunesse étrangère devient menace.
Le
poids du passé : regard colonial
Au fond, ce
texte ne parle pas d’éducation ni même de politique migratoire : il parle d’une
relation historique non résolue.
Chaque tension franco-algérienne réactive les mêmes réflexes : le mépris, la
condescendance, la suspicion. L’Algérie continue d’être regardée à travers le
prisme de la culpabilité inversée : l’ancienne colonie doit gratitude et
docilité à l’ancienne métropole.
C’est là que
se déploie le regard colonial : la France se veut juge et gardienne du “bon
sens politique”, pendant que l’Algérie, supposée irrationnelle, serait
condamnée à l’ingratitude. Ce rapport vertical empêche toute diplomatie d’égal
à égal.
Il enferme le débat dans un imaginaire figé où la France parle, et l’Algérie
est parlée.
Les
institutions culturelles instrumentalisées
L’auteur
accuse Campus France et l’ambassade de France d’un “manque de sens politique”.
Mais cette accusation illustre une dérive : celle d’une politisation
excessive de la diplomatie éducative. Campus France n’est pas un instrument
de punition mais un outil de coopération académique. En le soupçonnant de “naïveté”,
l’auteur révèle sa propre logique : celle qui confond politique d’influence et
politique de puissance.
La culture,
dans ce cadre, n’est plus un espace de dialogue, mais un champ de rivalité
symbolique et l’étudiant étranger cesse d’être un apprenant pour devenir un
indicateur de rapport de force.
Un
miroir déformant de la France contemporaine
En réalité,
cette chronique en dit moins sur l’Algérie que sur la France elle-même.
Lorsqu’un pays projette sur l’autre ses angoisses démographiques, identitaires,
diplomatiques, il parle de sa propre fragilité.
Le texte trahit une nostalgie post-impériale : la peur de perdre la
maîtrise du récit.
L’Algérie n’est plus le “territoire perdu de la République”, mais le miroir
d’une France en doute sur sa place dans le monde.
La
crispation autour de quelques milliers de visas étudiants révèle un malaise
plus profond : celui d’une société tentée par le repli, obsédée par ses
frontières, et incapable de penser la circulation du savoir autrement qu’en
termes de contrôle.
Conclusion
: Décoloniser le regard
Le texte
étudié n’est pas seulement polémique : il est symptomatique. Il illustre
comment une partie du discours médiatique français continue de recycler
l’imaginaire colonial sous des formes pseudo-rationnelles. Sous prétexte de
défendre l’intérêt national, il réactive les hiérarchies culturelles
d’autrefois. Sous prétexte d’analyser une politique de visas, il disqualifie
toute une jeunesse, tout un pays.
Face à cette
parole saturée de mépris et d’angoisse, il est nécessaire d’opposer un autre
récit : celui du respect mutuel, de la mobilité partagée, de la connaissance
comme espace d’égalité.
Car l’avenir des relations franco-algériennes ne se jouera pas dans la peur de
l’autre, mais dans la capacité à décoloniser le regard, à reconnaître,
enfin, que la lumière ne vient plus d’un seul côté de la Méditerranée.
Kader Tahri
Chroniqueur engagé, observateur inquiet
« Il faut dire les choses comme elles sont, mais refuser qu’elles soient
comme ça. »
https://kadertahri.blogspot.com/