Une critique
du détournement politique du mot islamisme, utilisé comme un fourre-tout
pour nourrir la peur, amalgamer immigration, islam et gauche, et légitimer un
discours identitaire et anxiogène
Il y a des
mots qui, à force d’être brandis comme des épouvantails, perdent leur sens et
finissent par servir à tout… sauf à penser. Islamisme est devenu l’un de
ces mots valises. Sous prétexte de combattre une idéologie réelle et
dangereuse, certains chroniqueurs et responsables politiques s’en servent comme
d’un chiffon rouge, un cache-poussière commode qui permet d’emballer toutes
leurs obsessions : l’immigration, l’islam, la gauche, l’ONU, la Palestine, et
même l’écologie. Le texte que je viens de lire en est un exemple caricatural.
Un mot qui brouille plus qu’il n’éclaire
Le problème
n’est pas de nier l’existence de l’islamisme en tant qu’idéologie politique qui
instrumentalise la religion à des fins de pouvoir. Ce phénomène existe et mérite
d’être combattu. Mais dans
la chronique en question, le terme est employé de manière si large et confuse
qu’il finisse par englober indistinctement des réalités hétérogènes : un
mouvement terroriste comme le Hamas, des immigrés venus d’ailleurs, des
citoyens musulmans vivant paisiblement en France, voire ceux qui soutiennent la
reconnaissance d’un État palestinien. Tout est mis dans le même sac. Et c’est
précisément là que le piège se referme : quand on ne distingue plus l’islamisme
de l’islam, on ne combat pas une idéologie violente, on stigmatise une religion
et des millions de croyants.
L’amalgame comme méthode
Tout au long
du texte, on retrouve un procédé rhétorique constant : mélanger sans nuance des
réalités disparates. On passe de la reconnaissance d’un État palestinien à la
collaboration avec le terrorisme. On enchaîne Donald Trump, Jean-Luc Mélenchon,
l’ONU, Dominique de Villepin et « l’extrême gauche » dans une même diatribe
contre les « traîtres ». On accuse Emmanuel Macron, parce qu’il a pris une
décision diplomatique, de « pétainisme », comme si dialoguer au sein de l’ONU
équivalait à collaborer avec le nazisme. Ce n’est pas de l’analyse politique,
c’est une caricature qui cherche à provoquer l’indignation plutôt qu’à éclairer
le débat.
La peur comme carburant
Le texte reprend à son compte le vocabulaire anxiogène popularisé par Donald Trump : « invasion », « destruction », « colonisation ». À écouter ce discours, l’Europe serait submergée, assiégée, condamnée à disparaître sous l’effet de l’immigration et d’un islam présenté comme une force homogène et conquérante. Ce n’est plus de la description, c’est de la dramaturgie. Et ce type de langage n’est pas neutre : il fabrique un imaginaire de guerre, il enferme la société dans une logique de peur et de rejet. Or, quand on transforme des voisins, des collègues, des concitoyens en menaces existentielles, on ne défend pas la démocratie : on la fragilise.
L’histoire instrumentalisée
Comparer
Macron à Pétain parce qu’il a reconnu l’État de Palestine relève d’une
manipulation historique indécente. La collaboration de Vichy était un régime
soumis à une puissance occupante, responsable de persécutions massives. Rien de
comparable avec un acte diplomatique inscrit depuis des décennies dans les
débats internationaux. Employer ce parallèle n’a qu’un objectif : disqualifier
par l’anathème, fermer toute discussion, transformer un désaccord politique en
accusation de trahison. Or, quand tout devient « pétainisme », plus rien n’est
pensé sérieusement.
Un miroir de l’extrême droite
Derrière le
vernis de la dénonciation de « l’islamisme », ce texte révèle surtout une
obsession identitaire. L’islamisme n’y est pas tant une menace réelle qu’un
prétexte pour dire que l’immigration est une invasion, que l’islam est incompatible
avec la République, que la gauche est complice de l’ennemi, et que seule une
ligne dure peut sauver la nation. C’est la rhétorique classique de l’extrême
droite : transformer des problèmes complexes en récit binaire, opposer les «
patriotes » aux « traîtres », alimenter l’idée que la France serait en guerre
contre elle-même.
Ce qui est en jeu
Reconnaître
un État palestinien n’est pas « récompenser le terrorisme », c’est rappeler que
la paix passe par une solution politique juste et durable. Combattre
l’islamisme ne signifie pas diaboliser l’islam ni criminaliser l’immigration.
Défendre la République, ce n’est pas dresser les Français les uns contre les
autres, c’est au contraire réaffirmer que l’égalité, la dignité et la justice
sont les meilleurs remparts contre toutes les formes d’extrémisme, qu’il soit
religieux ou identitaire.
Conclusion
La véritable
menace pour notre démocratie ne vient pas d’un drapeau palestinien hissé sur
une mairie de gauche. Elle vient de ce discours qui, sous couvert de défendre
la France, divise ses habitants, instille la peur, et désigne des boucs
émissaires. Quand le mot « islamisme » devient une arme rhétorique pour taper
sur les musulmans, les immigrés, les progressistes et tous ceux qui pensent
autrement, alors il ne sert plus à protéger la République : il sert à la miner.
On entend souvent l’expression « L’islamisme n’est pas l’islam ». Pourtant,
cette formule n’a ni fondement historique, ni base théologique solide. Le mot islamisme
lui-même est une invention française : il est apparu au début des années 1980
pour désigner ce que l’on a appelé « l’islam politique ». Or, ni dans
l’histoire de l’islam, ni dans la pensée des musulmans, ni même dans la langue
arabe, il n’existait d’équivalent. Si l’on entend par islamisme l’idée d’un
islam porteur d’un projet politique, alors il faut rappeler qu’à partir de 622
– avec l’Hégire et l’organisation de Médine – l’islam a toujours comporté une
dimension politique, comme en témoignent le Coran, la vie du Prophète et la
tradition intellectuelle musulmane. Entre 610 et 622, au contraire, l’islam
était purement spirituel et n’intégrait pas encore cette dimension politique.
Il a donc existé, dans l’histoire, un islam sans « islamisme » – mais seulement
durant douze ans.
C’est pourquoi la séparation rigide entre islam et islamisme pose problème.
Elle déresponsabilise l’islam de toute critique, comme s’il n’avait aucun lien
avec certaines formes de radicalité, et elle ne déplace le terrain du combat
uniquement en dehors de la sphère musulmane. Cette attitude, au lieu d’aider à
combattre l’extrémisme, nourrit le conservatisme et empêche toute évolution
interne. Pour ma part, je crois que la lutte doit passer par deux étapes
essentielles : reconnaître la part de responsabilité de l’islam
dans les difficultés actuelles, puis travailler à les dépasser.
Kader Tahri
Chroniqueur engagé, observateur inquiet
« Il faut dire les choses comme elles sont, mais refuser qu’elles soient
comme ça. »
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