Ma réponse pointue à une chronique
du Makhzen à charge qui réduit la reconnaissance de la Palestine à un « risque
insensé » et l’Algérie à un « État antisémite » Ici, on
démonte les clichés, on moque les indignations fabriquées et oralisateurs
La presse du
Palais du Makhzen avait promis une chronique percutante sur la reconnaissance
de la Palestine et la position de l’Algérie vis-à-vis d’Israël. On a découvert
un sermon mal maquillé, un mélange d’indignation fabriquée et de clichés dignes
d’un manuel scolaire des années 60.
Le
chroniqueur se veut Cassandre, mais finit en caricature de café du commerce :
tout est « antisémitisme d’État », tout est « menace pour
la civilisation », et la géopolitique se résume à des bons et des
méchants, un peu comme dans un mauvais western.
À la place,
on se retrouve face à un réquisitoire à sens unique, saturé de clichés et de
jugements expéditifs. Passons donc en revue ces arguments et voyons pourquoi
ils ressemblent davantage à des slogans de café du commerce qu’à une analyse
politique digne de ce nom.
La France « prend des risques » ? Vraiment ?
Le grand
drame, paraît-il, est que la France a « osé » reconnaître la Palestine. Ouh là
là, quelle témérité ! Comme si Paris venait de déclarer son indépendance
vis-à-vis de la planète entière.
Nous voilà
prévenus : la France, en décidant de reconnaître l’État de Palestine,
s’exposerait à mille dangers. Antisémitisme en hausse, Hamas renforcé, et —
horreur suprême — un calendrier qui tombe en même temps que Roch Hachana. Comme
si une décision diplomatique devait se plier à l’agenda liturgique ! À ce
compte-là, il faudrait consulter tous les calendriers religieux avant de signer
le moindre traité. On attend maintenant la prochaine révélation : « Ne
reconnaissons pas la Palestine un vendredi, ce serait une provocation pour les
musulmans ! »
Quant à
l’idée que cette reconnaissance serait une audace folle, rappelons un détail
embarrassant : près de 140 États dans le monde reconnaissent déjà la
Palestine. Autrement dit, la France n’ouvre pas une brèche, elle comble un
retard. Plus que de l’audace, c’est du rattrapage. Mais peut-être est-ce trop
banal pour un chroniqueur en quête de drame.
L’Algérie et son prétendu « antisémitisme d’État »
Ah,
l’argument massue : si l’Algérie ne reconnaît pas Israël, ce n’est pas par
calcul géopolitique, ni par solidarité avec les Palestiniens, ni par rivalité
avec le Maroc. Non, c’est parce que l’Algérie serait rongée par un
antisémitisme viscéral, institutionnalisé.
Traduction :
inutile de parler de rivalité avec le Maroc, d’histoire coloniale, de soutien
structurel aux causes tiers-mondistes, de calculs géopolitiques ou de rapport
de force régional. Non, tout s’explique par la « haine des juifs »
À ce niveau
de simplification, on frôle la bande dessinée. On imagine presque un ministère
algérien de la « haine obligatoire », où chaque matin les fonctionnaires signent
leur quota d’hostilité. Ridicule ? Oui. Mais pas plus que l’argument du
chroniqueur.
On croirait
presque que les diplomates algériens se réveillent chaque matin en se demandant
: « Comment allons-nous haïr les juifs aujourd’hui ? »
Cette
caricature grossière permet d’éviter toute réflexion sérieuse. Elle gomme
l’histoire complexe du pays, où une communauté juive a longtemps vécu, et où le
discours anti-israélien relève avant tout d’une matrice idéologique héritée du
tiers-mondisme et de la guerre d’indépendance.
Réduire tout
cela à « de la haine » n’est pas seulement simpliste, c’est paresseux. Mais il
est vrai que l’analyse géopolitique est moins croustillante que les
indignations morales toutes faites.
Tebboune, coupable de… diplomatie
Le président
algérien aurait promis de reconnaître Israël « le jour même » où un État
palestinien verrait le jour. Puis il aurait reculé. Et le chroniqueur s’étonne
! Comme si un chef d’État n’avait pas le droit d’adapter son discours selon le
contexte et l’auditoire.
Il faut tout
de même rappeler une évidence : la diplomatie, ce n’est pas un serment scout.
C’est un art du calcul, de l’équilibre entre pressions extérieures et attentes
intérieures. Tebboune a parlé à une audience française, il a envoyé un signal
d’ouverture. Qu’il ne soit pas en mesure de l’appliquer immédiatement en
Algérie n’est pas une contradiction, mais une gestion politique de ses rapports
de force. En somme, il pratique… la diplomatie. Mais non, le chroniqueur semble
découvrir avec horreur que les chefs d’État ne sont pas des prêtres, mais des
politiciens.
À quand
l’accusation suivante : « Tebboune a serré une main en public alors qu’il
n’aime pas vraiment la personne. Quelle duplicité insupportable !
Découvrir
cela avec des airs scandalisés, c’est un peu comme reprocher à un acteur
d’avoir appris un texte.
Et le Maroc dans tout ça ?
Le
chroniqueur cite le Maroc en exemple, rappelant que Rabat a reconnu Israël,
contrairement à Alger. Mais il omet un petit détail : la normalisation
marocaine a été « achetée » par la reconnaissance américaine de la souveraineté
du Maroc sur le Sahara occidental. Autrement dit, il y avait une contrepartie
géopolitique concrète.
En Algérie,
aucune telle compensation n’existe. Pourquoi donc Alger céderait-il
gratuitement ce que Rabat a obtenu à prix fort ? La diplomatie n’est pas une
loterie morale, c’est une négociation permanente
Ah, le
Maroc, ce héros discret qui a reconnu Israël. Sauf qu’il l’a fait en échange
d’une reconnaissance américaine du Sahara occidental. Un troc pur et simple.
Mais ce détail est soigneusement mis de côté.
Dans la
chronique, Rabat est noble, Alger est haineux. On se demande si l’auteur croit
vraiment à cette version ou s’il a juste peur d’avouer la vérité : que la
diplomatie, c’est d’abord un marché, et que tout le monde joue à ce petit jeu.
Conclusion :
un faux procès
Cette
chronique prétendait démontrer l’aveuglement français et l’antisémitisme
algérien. Elle n’a réussi qu’à exposer ses propres biais :
- exagération des risques
français,
- caricature de la position
algérienne,
- incompréhension de la diplomatie
comme jeu d’équilibre,
- et oubli volontaire des
logiques de transaction dans la région.
Bref,
beaucoup de bruit pour peu d’analyse. On attendait une réflexion sur les
évolutions possibles du conflit israélo-palestinien. On n’a eu droit qu’à une énième
variation sur le thème : « l’Algérie est irrémédiablement antisémite ». Une
rengaine usée, qui éclaire moins qu’elle ne répète. On voulait une analyse politique, on a eu un
catéchisme. On attendait une réflexion sur la complexité, on a eu une fable
pour enfants.
Alors, un
conseil amical au chroniqueur : la prochaine fois qu’il voudra écrire sur le
Moyen-Orient, qu’il laisse tomber la morale simpliste et qu’il ouvre un atlas.
Cela lui évitera de confondre un conflit géopolitique vieux de 75 ans avec une
tragédie biblique de poche.
Kader Tahri
Chroniqueur engagé, observateur inquiet
« Il faut dire les choses comme elles sont, mais refuser qu’elles soient
comme ça. »
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