Cette tribune
rend hommage aux voix palestiniennes étouffées par les bombes et par le silence
complice. Enfants arrachés à la vie, mères disparues avec leurs familles,
médecins, journalistes et intellectuels visés pour avoir témoigné : leurs
paroles résonnent comme un acte de résistance et de dignité. Face à l’impunité
d’Israël et à la complicité occidentale, une seule question demeure,
inéluctable, qui hantera nos consciences : où
étions-nous pendant le génocide ?
« Vos
regrets ne suffiront pas, et nous n’accepterons pas vos excuses. »
En décembre 2023, depuis Bethléem, le pasteur Munther Isaac adressait ces mots
au monde. À travers eux, c’est toute une conscience collective qu’il
interpellait : la nôtre. Car viendra le jour où chacun devra se regarder dans
un miroir et répondre à cette question : où étais-je pendant le génocide ?
Aujourd’hui,
je souhaite rendre hommage. Non pas répéter l’évidence des crimes, que les
bombes et les corps suffisent à dire, mais témoigner de la dignité de celles et
ceux qui, sous les ruines et les cendres, ont gardé vivante la parole
palestinienne.
Les voix de Gaza
Pour
l’heure, à Gaza, il y a deux millions d’histoires tristes, de vies
traumatisées, déchirées. Elles sont
d’abord celles des enfants, dont l’innocence foudroyée pèse plus lourd que tous
les discours
«C’est un océan de désespoir qui
s’étire à perte de vue. Une prison pour ceux qui ont tout perdu : leur famille,
leur travail, leur espoir de survivre le lendemain. Il y a ici des couches et
des couches de souffrance, dans l’odeur des incendies mêlée à la puanteur de la
putréfaction», témoigne Tareq Abu Azzoum, journaliste.
Après
le bombardement de son abri, Lana ne retrouve de son enfant que la peluche.
«Je ne sais quelle sorte d’avions,
d’armes, d’explosifs ils utilisent pour tuer nos enfants. Nos enfants dorment
dans la main de Dieu quand ils larguent des bombes sur eux», se désespère Abu al-Abd
Zakqut.
Sur
la route de la fuite vers le sud, les parents ne savent pas quel enfant porter,
lequel tirer par le bras. De jeunes enfants portent un enfant à peine plus
petit qu’eux.
«Nous vivons dans l’ombre d’un
nouveau déplacement, celui qui pourrait effacer jusqu’aux ruines que nous
nommions nôtres. Telle est l’horreur qui définit notre quotidien : non
seulement survivre aux bombes, mais vivre chaque jour en redoutant que le
prochain chapitre est déjà écrit, et que le pire est à venir», écrit Logain
Hamdan, étudiante.
Malak, 12
ans, avait entendu sa mère Aya lui dire dès les premiers jours : « Nous
allons tous mourir. Profitons des derniers instants. » Quelques jours plus
tard, Aya a été assassinée avec vingt-et-un membres de sa famille. Les mots de
cette mère résonnent comme un testament d’amour lucide, comme une ultime
tentative de préserver la douceur au milieu de l’horreur.
Il y a aussi
Yara, petite orpheline brûlée, amputée, qui rêve simplement d’un paradis où « il
y a de l’amour, de la nourriture et de l’eau ». Ce rêve d’enfant, banal en
apparence, accuse la cruauté de notre monde : il dit l’absence de tout ce que
nous tenons pour acquis.
Et puis
Ratab, neuf ans, qui a perdu sa mère et sa jambe en fuyant vers une zone dite «
sûre ». Avec un morceau de tuyau, il s’est fabriqué une prothèse de fortune. Il
ne demande pas vengeance. Il rêve de courir à nouveau, de retourner à l’école,
de revoir son père. Dans sa fragilité et sa ténacité, il incarne une humanité
que nous avons trahie.
Ces enfants
ne sont pas des symboles. Ils ne sont pas des images pour nos réseaux sociaux.
Ils sont des vies interrompues qui nous regardent encore. Leur parole fragile,
préservée au cœur même de la destruction, nous condamne bien plus sûrement que
n’importe quel tribunal.
Les veilleurs et les témoins
À côté de
ces voix enfantines, il y a celles des témoins palestiniens, médecins,
chercheurs, juristes, journalistes, qui ont choisi de nommer l’innommable.
Le médecin
Ghassan Abu Sitta a trouvé les mots les plus justes : « Israël est ivre de
l’impunité occidentale. » Son constat n’est pas seulement médical, il est
moral : comment continuer à sauver des vies quand le monde légitime la
destruction ?
Le chercheur
Layth Hanbali a rappelé une vérité dérangeante : peu importe la masse de
preuves, les dirigeants occidentaux ne cessent pas de soutenir Israël, parce
qu’ils y trouvent un profit politique et économique. L’indifférence n’est pas
de la lâcheté, c’est une idéologie.
Le juriste
Jonathan Kuttab a lui aussi levé l’écran de fumée : ceux qui refusent de nommer
le génocide ne contestent pas les faits. Ils cherchent seulement à éviter les
obligations juridiques et politiques qu’entraînerait une telle reconnaissance.
Enfin,
l’analyste Moin Rabbani a posé ce constat glaçant : « Plus Israël tue, plus le
soutien occidental se fait massif. » Autrement dit, il n’y a plus de lignes
rouges, plus de seuils d’horreur qui obligeraient nos gouvernements à agir.
Ces voix
palestiniennes sont plus que des témoignages : elles sont des balises de
vérité. Elles éclairent le monde, tandis que la propagande et le silence
l’enveloppent d’ombre.
Les complices du silence
Mais une
tribune d’hommage ne saurait faire l’économie de la mise en cause. Car les
Palestiniens ne meurent pas seulement sous les bombes israéliennes : ils
meurent aussi dans nos silences, dans nos hésitations, dans nos demi-mots.
La France
n’a pas retiré son ambassadeur. Elle n’a pas suspendu ses ventes d’armes : au
contraire, elle les a augmentées. Elle n’a pas imposé de sanctions. Elle n’a
pas bloqué ses relations commerciales. Elle a préféré parler de « guerre » et
de « crise humanitaire », comme si des massacres de masse pouvaient être
réduits à une pénurie de nourriture ou à un conflit symétrique.
Elle a
continué à défendre le droit de « l’occupant à se défendre », en oubliant que
le droit international interdit à une puissance coloniale d’invoquer ce
principe contre la population qu’elle opprime. Elle a ainsi transformé ses
institutions, son prestige diplomatique, son histoire même en caution morale du
génocide.
Quant aux
médias, leur rôle a été plus qu’ambigu : il a été actif. Ils ont invisibilisé
la vie des Palestiniens. Ils ont minimisé les chiffres, banalisé les massacres,
repris mot pour mot les récits de l’occupant. Ils ont enterré la Charte de
Munich, qui exigeait d’eux de « respecter la vérité quelles qu’en puissent être
les conséquences ». Ils ont accepté de sacrifier leur premier devoir, au nom du
confort et de la connivence.
L’assassinat
de journalistes palestiniens a souvent été relégué à une brève, parfois même à
l’anonymat. Comme si leur mort, parce qu’elle disait trop, devait être effacée
pour ne pas déranger. Chaque silence, chaque minimisation, chaque absence de
guillemets a été une complicité.
Hommage et transmission
Et pourtant,
malgré l’abandon, malgré les bombes, le peuple palestinien a gardé ce qu’il
avait de plus cher : « son identité, sa dignité et sa foi. »
Il a
patienté. « Nous avons attendu si longtemps, nous pouvons attendre encore »,
dit un témoin gazaoui. La patience palestinienne n’est pas résignation : elle
est résistance, elle est mémoire, elle est défi lancé au temps.
Cette lutte
dépasse les frontières d’une terre occupée. Elle nous concerne tous, parce
qu’elle nous rappelle ce que justice et humanité signifient. Elle nous oblige à
ne pas détourner le regard, à ne pas nous réfugier derrière les mots d’excuse
qui ne suffiront pas.
Conclusion : l’interpellation
Un jour, Free
Palestine cessera d’être un slogan. Ce sera un constat. Ce jour-là viendra,
et il n’appartiendra pas aux gouvernants ni aux médias. Il viendra de la
société civile, de ceux qui auront refusé l’oubli, de ceux qui auront choisi la
vérité plutôt que le confort.
Et alors, il
ne restera qu’une question. Celle que posait Munther Isaac, celle qui hantera
nos consciences et celles des générations à venir :
Où
étions-nous pendant le génocide ?
Les derniers
mots reviennent à cet homme de Gaza :
« Si nos yeux se remplissent de larmes, ce n’est pas par peur de qui que ce
soit. Nos larmes coulent de tristesse parce que tous les vautours de la terre
se sont ligués contre nous, et tous les pays du monde nous ont abandonnés. Nous
avons emporté avec nous ce qui nous est le plus cher, notre identité, notre
dignité et notre foi. Et nous leur avons laissé ce qui leur est cher : portes,
fenêtres, pierres, arbres. C’est faux de dire que nous ne souffrons pas. Nous
souffrons. Mais nous patientons. Nous avons attendu si longtemps, nous pouvons
attendre encore. »
Kader Tahri
Chroniqueur engagé, observateur inquiet
« Il faut dire les choses comme elles sont, mais refuser qu’elles soient
comme ça. »

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