Sous le mot
d’ordre « On bloque tout », l’Italie a vu surgir un mouvement
d’une ampleur inattendue.
Grèves générales, manifestations massives, gares bloquées : selon les
organisateurs, plus de deux millions d’Italiens ont défilé pour Gaza.
À Rome, un million de personnes ont réclamé la fin des bombardements, la
reconnaissance de la Palestine et des sanctions contre Israël.
Ce n’était
pas une mobilisation de circonstance, mais une révolte morale.
Les manifestants, de tous horizons, expriment une indignation profonde devant
le désastre humanitaire à Gaza : des milliers de morts, des hôpitaux détruits,
des civils piégés.
Ce cri collectif ne demande pas la victoire d’un camp, mais la fin d’une
impunité devenue insupportable.
Dans toute
l’Europe, la même colère gronde : à Amsterdam, Paris, Berlin ou Londres, des
foules immenses descendent dans la rue pour rappeler que la compassion ne doit
pas dépendre de la géopolitique.
L’émotion devient acte politique.
La colère et ses ambiguïtés
Ce
mouvement, cependant, n’échappe pas aux tensions.
Certains slogans — « Du fleuve à la mer », « Nous sommes tous
antisionistes » — ont été utilisés pour disqualifier les manifestants,
accusés de soutenir le Hamas ou d’attiser l’antisémitisme.
Or, la
plupart d’entre eux ne s’en prennent pas au judaïsme, mais à la politique
d’un État.
Ils dénoncent la punition collective d’un peuple et la négation de son droit à
l’existence.
Mais les mots eux-mêmes sont devenus des champs de bataille : « sionisme », «
antisionisme », « génocide ».
L’absence de nuance nourrit la confusion.
Il faut donc le dire clairement : critiquer Israël n’est pas nier le droit
des Juifs à la sécurité, c’est refuser qu’un État instrumentalise ce droit
pour légitimer l’occupation et la mort.
La colère
populaire ne peut être réduite à la haine ; elle est aussi un appel à la
cohérence.
Israël, entre peur existentielle et dérive morale
En Israël,
la société est traversée de contradictions profondes.
Depuis plusieurs années, des centaines de milliers de citoyens manifestent
contre Benjamin Netanyahou, contre la corruption, contre la dérive autoritaire.
Mais la guerre a refermé cet espace de dissidence : toute critique du
gouvernement devient suspecte.
Les sondages
indiquent qu’une majorité d’Israéliens soutient les opérations militaires.
Ce soutien repose sur une peur existentielle, celle de disparaître dans
un environnement perçu comme hostile.
Pourtant, cette peur — historiquement compréhensible — se transforme en aveuglement
moral : les bombardements de civils sont justifiés au nom de la sécurité.
Critiquer
cette dérive n’est pas remettre en cause l’existence d’Israël, mais rappeler
une évidence : aucune sécurité ne peut naître de l’injustice.
La mémoire de la souffrance juive devrait interdire toute politique de
domination.
Or, c’est cette mémoire-là que le gouvernement israélien trahit aujourd’hui.
L’Occident face à ses contradictions
La guerre à
Gaza agit comme un miroir cruel pour les démocraties occidentales.
L’Europe invoque les droits humains en Ukraine, mais reste muette face à Gaza.
Les États-Unis parlent de paix tout en livrant des armes.
La France condamne les crimes de guerre… mais refuse de nommer ceux commis par
son allié.
Ce double
discours mine la crédibilité morale de l’Occident.
La realpolitik l’emporte sur la justice, et la peur de paraître « partial »
devient justification du silence.
Mais la neutralité, face à l’injustice, n’est pas une vertu : c’est une
fuite.
En Italie,
comme ailleurs, la rue rappelle au pouvoir que la diplomatie sans éthique est
une forme d’abdication.
Les citoyens ne croient plus aux mots creux. Ils exigent une politique
étrangère cohérente, fondée sur le droit international et non sur la
complicité.
De la colère à la responsabilité
L’émotion, à
elle seule, ne suffit pas.
La solidarité doit s’incarner dans des actes :
Appel à un cessez-le-feu
immédiat.
Reconnaissance
officielle de l’État de Palestine.
Suspension
des ventes d’armes à tout acteur violant le droit international.
Soutien
renforcé aux ONG humanitaires.
Réaffirmation
du rôle du droit comme socle des relations internationales.
Ces mesures
ne sont pas radicales : elles relèvent du bon sens moral.
Elles rappellent que la dignité humaine ne peut être conditionnelle.
Le conflit
israélo-palestinien ne trouvera pas d’issue sans égalité politique réelle
entre deux peuples condamnés à vivre ensemble.
Ni apartheid, ni vengeance, mais partage — de la terre, des droits, de la
mémoire.
Une question de conscience
Au fond, la question posée par les manifestations
italiennes est simple :
que vaut encore la conscience européenne ?
Peut-on se
dire défenseur du droit international tout en fermant les yeux sur Gaza ?
Peut-on parler de justice sans universalisme ?
La mobilisation italienne n’est pas une haine d’un peuple, mais une exigence :
celle de rester humain dans un monde qui s’habitue à l’horreur.
Conclusion
L’Italie
s’est levée pour Gaza — mais, au-delà, pour elle-même.
Pour défendre une idée de la justice, pour rappeler que la politique n’est pas
qu’une affaire d’intérêts, mais aussi de conscience.
Ce mouvement populaire n’est ni marginal ni naïf : il témoigne d’un besoin
profond de cohérence entre valeurs et actes.
On peut
débattre des slogans, des nuances ou des chiffres.
Mais il reste une vérité : lorsqu’un peuple meurt sous les bombes, le silence
devient complicité, et c’est ce silence que les rues italiennes refusent
aujourd’hui.
Car ce n’est
pas seulement Gaza qui brûle. C’est notre humanité tout entière.
Kader Tahri
Chroniqueur engagé, observateur inquiet
« Il faut dire les choses comme elles sont, mais refuser qu’elles soient
comme ça. »
https://kadertahri.blogspot.com/
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