Ce travail propose une analyse critique
d’un article de presse présentant Boualem Sansal comme victime emblématique du
régime algérien. Sous une apparente défense de la liberté d’expression, le
texte étudié véhicule une vision manichéenne et postcoloniale qui réduit
l’Algérie à un État oppressif et arriéré. L’étude met en lumière les biais
idéologiques, la rhétorique émotionnelle et la fabrication médiatique d’un
“symbole Sansal” déconnecté de la réalité culturelle algérienne. En tant
qu’Algérien, l’auteur de cette analyse souligne la déformation du discours
journalistique qui, sous couvert de compassion, instrumentalise un écrivain
pour attaquer tout un pays. L’objectif est de rétablir une lecture nuancée,
respectueuse de la complexité historique, sociale et intellectuelle de
l’Algérie contemporaine
Introduction
Très souvent
la presse française prétend défendre la liberté d’expression à travers le cas
de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, condamné à cinq ans de prison en
Algérie. Sous un ton indigné, le texte dénonce la censure et l’autoritarisme du
« régime algérien », qu’il oppose à la figure héroïque d’un intellectuel libre
et persécuté. Cependant, une lecture critique révèle un ensemble de partis
pris idéologiques, postcoloniaux et médiatiques, qui réduisent la
complexité du contexte algérien à une opposition simpliste entre barbarie et
modernité.
En tant qu’Algérien, il apparaît nécessaire de nuancer cette vision binaire
et de replacer Boualem Sansal et sa réception dans une perspective historique,
culturelle et sociale plus juste.
Ainsi, cette
analyse s’articulera autour de trois axes :
Dans un
premier temps, nous montrerons que l’article adopte une rhétorique
manichéenne et militante.
Dans un
second temps, nous analyserons le biais postcolonial et la fabrication
médiatique du “symbole Sansal”.
Enfin, nous
proposerons une réponse critique depuis une perspective algérienne, qui
met en lumière la déformation du discours médiatique et son instrumentalisation
politique.
Une rhétorique manichéenne et
militante
Dès les
premières lignes, le ton de l’article s’inscrit dans une logique de
confrontation morale : d’un côté, le « régime » autoritaire et
obscurantiste ; de l’autre, l’écrivain libre, victime d’un système répressif.
Ce schéma narratif binaire transforme une situation politique complexe
en drame moral simplifié. Les formulations répétées — « le régime pardonne
les armes mais redoute les idées », « il déchaîne la pensée » —
visent à susciter l’émotion plutôt qu’à informer.
Aucune
donnée factuelle, aucune source indépendante n’est mobilisée pour appuyer les
accusations de censure ou les détails de la condamnation. Le texte relève
davantage du pamphlet militant que de l’analyse journalistique ou
politique.
Cette approche émotionnelle, centrée sur l’indignation, réduit l’Algérie à un
espace d’oppression et d’irrationalité, où toute pensée libre serait
immédiatement punie. Elle occulte la pluralité du champ intellectuel
algérien, où de nombreux écrivains, journalistes et chercheurs s’expriment
ouvertement sans contraintes.
Le biais postcolonial et la
fabrication médiatique du “symbole Sansal”
L’article
s’inscrit dans une tradition discursive française postcoloniale qui tend
à se réapproprier les “voix dissidentes” du Maghreb comme symboles de liberté
face à la tyrannie supposée de leurs pays d’origine. Boualem Sansal, écrivain
francophone et laïc, y est présenté comme le “Camus algérien” contemporain,
incarnation d’une rationalité héritée de la pensée européenne.
Ce discours reconduit une forme de paternalisme culturel, où l’Occident
s’arroge le droit de définir ce qui est moderne, libre ou éclairé.
En réalité,
Boualem Sansal, avant sa récente arrestation, était très peu connu du grand
public, aussi bien en France qu’en Algérie. Son œuvre, dense et exigeante,
touche un lectorat limité, souvent universitaire. En Algérie, ses livres sont
peu diffusés, et son discours sur la société est parfois perçu comme pessimiste,
élitiste ou condescendant. La soudaine “canonisation” médiatique de Sansal
comme martyr de la pensée libre apparaît donc comme une construction
opportuniste, davantage liée à la volonté de dénoncer l’État algérien qu’à
un véritable intérêt pour la littérature ou pour la liberté d’expression.
Cette
récupération médiatique illustre un mécanisme récurrent : la
transformation d’une figure individuelle en outil de légitimation d’un discours
global contre un pays. L’écrivain devient ainsi un prétexte pour relancer un
vieux récit occidental sur l’Algérie — celui d’une nation incapable de se
moderniser sans l’influence de la France.
Une réponse critique depuis
une perspective algérienne
En tant
qu’Algérien, je ne peux que constater le décalage entre la réalité perçue de
Boualem Sansal dans son pays et l’image construite par certains médias
étrangers. Avant son arrestation, Sansal était, pour la majorité des
Algériens comme des Français, un illustre inconnu. Sa notoriété actuelle doit
beaucoup à la mise en scène médiatique de son “martyre” plutôt qu’à la
réception réelle de son œuvre.
Les “larmes
de crocodile” versées aujourd’hui par la presse occidentale témoignent
moins d’une empathie sincère que d’un réflexe idéologique ancien :
utiliser le cas d’un intellectuel algérien pour condamner l’Algérie tout
entière. Cette posture, en prétendant défendre la liberté, occulte les
transformations internes du pays, la diversité de ses écrivains, et la
vitalité d’une jeunesse critique, connectée et désireuse de changement.
Mon cri de douleur
Ce type
d’article instrumentalise la figure de Boualem Sansal qui, rappelons-le, n’a
pas revendiqué être victime de quoi que ce soit récemment pour faire passer un
message anti-algérien globalisant, aux relents parfois néocoloniaux.
Boualem Sansal, né en Algérie et devenu franco-algérien en 2024, reste
justiciable pour des activités pouvant relever de « l’intelligence avec
l’ennemi ». Comment peut-on, au nom de la libre pensée, construire un
appel public sur une base aussi manifestement fausse ?
L’indignation ne dispense pas de rigueur, surtout lorsque l’on invoque
l’héritage de ceux qui, comme Zola dans l’affaire Dreyfus, ont précisément mis la
vérité au-dessus des passions.
Ce texte,
dont l’intention affichée est la défense de la liberté, relève en réalité d’une
instrumentalisation politique d’un écrivain que l’on érige, malgré lui,
en symbole d’un combat simplifié : celui de la lumière de l’Occident contre
l’obscurantisme supposé d’un régime algérien caricaturé. Une vision binaire
et surjouée, qui enferme toute pensée critique dans des stéréotypes
idéologiques et postcoloniaux.
Qu’on le
veuille ou non, la pensée libre commence par le doute, la prudence et la
vérification. Elle n’est ni posture, ni cri vide, ni indignation aveugle. À
vouloir brandir à tout prix des symboles, on oublie parfois l’essentiel : la
vérité.
La pensée française s’indigne pour Boualem Sansal emprisonné par l’Algérie,
mais ne se gêne pas de poursuivre Alain Soral pour « provocation publique à la
commission d’atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ». Le régime de
Paris pratique le deux poids, deux mesures avec constance.
L’“humanisme” ainsi invoqué ne devient plus un idéal, mais une matière
première pour justifier l’ingérence et la déstabilisation des pays jugés non
conformes.
Conclusion
L’article
analysé, sous couvert de défendre la liberté d’expression, reproduit en réalité
une vision idéologique et postcoloniale de l’Algérie. Sa rhétorique
manichéenne, sa glorification hâtive de Boualem Sansal et son absence de
contextualisation en font un texte plus militant que journalistique.
Mon propos, en tant qu’Algérien, n’est pas de nier les difficultés du pays,
mais de refuser que celles-ci soient instrumentalisées pour servir des
logiques d’ingérence ou de supériorité morale.
La vraie liberté intellectuelle ne consiste pas à juger de l’extérieur, mais à
écouter, comprendre et respecter la complexité des peuples.
Kader Tahri
Chroniqueur engagé, observateur inquiet
« Il faut dire les choses comme elles sont, mais refuser qu’elles soient
comme ça. »
https://kadertahri.blogspot.com/

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