Zemmour ne
combat pas l’immigration : il combat son reflet. Son obsession identitaire
n’est pas un programme politique, mais une fuite permanente hors de lui-même.
La France réelle, diverse et vivante, il la nie pour se réfugier dans une
caricature historique où il espère se blanchir symboliquement de ses propres
origines. C’est moins du patriotisme que de l’auto-dénégation en direct.
Il y a des
gens qui se cherchent. Zemmour, lui, s’est trouvé — et il n’a pas aimé ce qu’il
a vu. Voilà pourquoi il passe son temps à se réinventer en gardien de la « vraie
» France.
Fils
d’immigrés juifs berbères d’Algérie, il est la preuve vivante de la capacité
française à accueillir, éduquer, transmettre. Et pourtant, de toute évidence,
il vit cette réalité comme une menace. Alors il bâti autour de lui une armure
idéologique de chevalier de la « pureté nationale », persuadé que
la France s’effondre dès que quelqu’un prononce un prénom qui n’était pas au
calendrier en 1820.
Ce n’est pas
du patriotisme. C’est du blanchiment symbolique.
Un délire de purification autobiographique.
Car ce qu’il
hait chez « les autres », c’est ce qu’il reconnaît trop bien en
lui-même. Son discours sur « l’invasion », « le remplacement » et
« la décadence » n’est pas un projet : c’est une panique. C’est le
tremblement d’un homme qui refuse de ressembler à son propre arbre
généalogique.
Zemmour
n’aime pas la France : il aime une momie de France. Une France empaillée,
version musée départemental, où tout est étiqueté, figé, mort. Une France sans
Brassens (trop anarchiste), sans Camus (trop algérien), sans Cioran (trop
étranger), sans Montand (trop communiste), Sans Ferrat (trop français) sans
Cléo de 5 à 7, sans Raï et sans Coran dans
les taxis, sans couscous dans les cantines — bref, sans tout ce qui fait une
France vivante.
Il défend
une nation imaginaire, où Louis XIV serait sur BFM et où les villages avec
l’Eglise au centre, seraient tous des cartes postales de l’Office du tourisme, La
France réelle, elle, fait du bruit, change, vit. Et Zemmour ne supporte pas le
vivant.
En vérité,
sa croisade identitaire n’est pas la défense d’une culture menacée — mais
l’étouffement anxieux de sa propre histoire. Zemmour ne veut pas fermer la porte
aux nouveaux venus : il essaie de la claquer sur son passé. Une France qu’il
prétend sauver, mais qu’il n’a jamais acceptée telle qu’elle est.
Lors d’un
échange virulent avec l’imam de la mosquée des Bleuets à Marseille, Éric
Zemmour s’aventure dans le terrain miné de la colonisation : de l’accusation
ouverte de « pillage des ressources algériennes » à la mise en cause de la «
reconnaissance » due, il révèle – sans l’avouer – ce qui le travaille. Non pas
un débat historique, mais une guerre contre lui-même.
L’épisode
vaut le détour : l’imam
marseillais, que Zemmour interpelle sur X comme « Monsieur l’imam », affirme
que « l’Algérie n’a pas divorcé de la France, elle s’en est libérée après
132 ans d’occupation, de pillages et de massacres ».
Réponse
immédiate de Zemmour : « Votre commentaire dit beaucoup sur votre ignorance
historique et votre esprit de revanche ». La pilule est double : d’un côté,
la mise en cause impudente de la violence coloniale et du « vol des
ressources » ; de l’autre, un homme qui, né d’immigrés, refuse qu’on lui
rappelle que l’histoire qu’il défend n’a rien d’innocent.
Zemmour ne
répond pas à l’imam sur les faits : il crie à l’imposture. Mais ce qu’il ne
veut pas voir, c’est que son propre héritage familial et culturel est le miroir
exact de ce qu’il prétend éradiquer. Autrement dit : la réussite issue de
l’immigration le dérange tant qu’il préfère devenir son ennemie.
En
brandissant la colonisation comme un quasi acte fondateur de la « dette »
occultée de la France, l’imam met en lumière ce que Zemmour veut taire : que
l’ordre qu’il prétend restaurer repose sur des ignorances, des concessions, des
emprunts, des exils. Que la France qu’il fantasme n’a jamais été pure ; qu’elle
doit, depuis toujours, autant à l’étranger qu’à elle-même.
Zemmour
s’imagine protecteur de la France « sauvage », mais il tombe dans un réflexe
inverse : celui de celui qui, pour se faire aimer, rejette ce qu’il est. Il
préfère hurler contre « l’islamisation », « l’immigration », « l’invasion »
plutôt que d’admettre que sa librairie est faite aussi d’Apollinaire, de
Cioran, de Brassens métissé, de migrants devenus français. Il érige la
frontière symbolique, il fabrique l’ennemi intérieur — mais c’est lui qui est à
l’intérieur.
Son lit est
fait d’archives et de ruines. Il vit la France comme un musée en chiottes, un
décor figé. Et quand on lui rappelle que cette « France » d’homogénéité n’a
jamais existé, il s’emporte. Il accuse, il détourne, il menace. Il n’a pas
l’amour de la France : il a la peur de son propre reflet.
Ainsi,
l’affaire de Marseille n’est pas un simple échange polémique entre religieux et
polémiste : c’est un moment de vérité. Un homme qui refuse ses origines, qui
projette son malaise sur les nouveaux venus, qui intime à la France d’être ce
qu’elle ne fut jamais — et qui s’emporte quand on lui oppose les faits.
En somme :
Zemmour est l’enfant d’une France ouverte qu’il passe sa vie à vouloir
refermer. Il n’y a rien de plus tragique que celui qui veut détruire ce qu’il
est devenu — encore moins quand il crie qu’il veut le sauver.
Lorsque Éric
Zemmour affirme que « la France n’a pas pillé l’Algérie » parce qu’« on ne
pille pas des marécages », il ne décrit pas l’histoire : il la dissout. Il
remplace les documents, les archives, les témoignages, par une posture. Ce
qu’il combat n’est pas l’Algérie — mais la part d’Algérie qu’il refuse en lui.
« La
France n’a pas pillé l’Algérie : on ne pille pas des marécages et des étangs.
»
dit Zemmour.
Or, dès 1841,
le général Bugeaud — gouverneur général de l’Algérie — écrivait noir sur blanc
à ses officiers :
« Il faut
ravager les champs, brûler les villages, enlever les troupeaux.
La conquête de l’Algérie sera une guerre d’extermination. »
(Lettre du 15 avril 1841, Archives militaires de Vincennes)
On ne ravage
pas des étangs. On détruit des sociétés humaines.
Quand
Zemmour rit, Michelet, lui, ne riait pas.
Dans Le Peuple (1846), il décrivait la colonisation comme :
« Une
violence froide, administrative, calculée, qui prend et appelle cela
civilisation. »
Même la
Chambre des Députés le reconnaissait :
la loi du 26 juillet 1873 (dite loi Warnier) avait pour but
déclaré de :
« Détruire
la propriété collective indigène pour transférer la terre aux colons. »
(Journal Officiel, séance du 14 juin 1873)
On ne réorganise
pas juridiquement des étangs. On exproprie des cultivateurs.
Et quand
Zemmour dit : « Aujourd’hui l’Algérie nous envahit, c’est un pays ennemi
»,
il ne parle pas d’actualité. Il récite presque mot pour mot le gouverneur
Tirman, en 1881 :
« Il faut
empêcher l’indigène d’être chez lui chez nous. »
(Discours au Sénat, 1881)
Ce qu’il
nomme « invasion », c’est en réalité l’ordre ancien qui revient frapper à la
porte de la mémoire. Car l’Algérie n’a pas oublié. Et la France officielle
non plus.
En 1937,
alors que l’on débat de l’accès à la citoyenneté des « sujets algériens »,
Jules Ferry (père de l’école républicaine) déclarait :
« Nous avons
créé en Algérie une société à deux étages. La justice commande de reconnaître
l’injustice. » (Débats
parlementaires, Chambre des députés)
Même l’État
français reconnaissait la hiérarchie coloniale.
Zemmour, lui, la nie — non par ignorance, mais par nécessité.
Car s’il
admet la violence, il doit affronter ce que cette histoire dit de lui.
La loi du
26 juillet 1873, dite Loi Warnier, est explicite : elle vise à abolir
les terres collectives pour les transférer aux colons.²
Elle transforme la propriété en arme.
Comme
l’historien Charles-Robert Ageron l’a montré :
« La
colonisation fut d’abord une entreprise de spoliation foncière systématique.
»³
Ce n’est pas
un débat. C’est un fait documenté.
L’autre
mensonge implicite dans le récit zemmourien est l’idée qu’avant 1830, l’Algérie
aurait été un désert intellectuel. Pourtant, le colonel Eugène Daumas,
administrateur français, reconnaissait en 1853 :
«
L’instruction primaire était beaucoup plus répandue en Algérie qu’on ne le
croit généralement. »⁴
Les grandes
villes — Alger, Miliana, Mascara, Oran, Bejaia, Tlemcen, Constantine —
disposaient de réseaux de médersa, msid et zaouïa où l’on apprenait lecture,
écriture et jurisprudence religieuse. Le notable algérien Hamdane Ben Othman Khodja
en témoignait déjà en 1833 :
« La
lecture du Coran fait partie de la vie ordinaire de la cité. »⁵
Zemmour dit
: « Il n’y avait rien. »
Les archives disent : Il y avait des écoles.
Son discours
n’est pas une analyse. C’est un rideau. Un rideau pour ne pas voir
Bugeaud, Saint-Arnaud, les enfumades, les séquestres, les déportations, la
famine de 1867, les spoliations cadastrales, les populations déplacées, les
terres classées « vacantes » parce que volées.
Un rideau
pour ne pas voir que l’histoire coloniale et l’histoire familiale se
croisent dans son nom, son visage, son lieu d’origine.
Zemmour
n’attaque pas l’Algérie. Il attaque la part algérienne qu’il porte malgré
lui. Il ne parle pas de la France. Il parle de ce qu’il voudrait ne plus
être. Et c’est cela, précisément, qui rend son discours aussi bruyant. Plus
on fuit, plus on hurle.
Ainsi donc, je dois dire bravo aux Français de souche, ayant
Vercingétorix comme ancêtre (Zemmour), mais presque tous issus de
l'immigration. Dans les médias, notre Zemmour et certains se prennent pour
Napoléon, mais ils sont plus nombreux à se croire de souche, de qui, de
quoi et depuis quand ?
A/Kader
Tahri / Chroniqueur engagé, observateur inquiet
« Il faut dire les choses comme elles sont, mais refuser qu’elles soient
comme ça. » https://kadertahri.blogspot.com/
NOTES
- Thomas-Robert Bugeaud, Lettre
du 15 avril 1841, Service Historique de la Défense (Vincennes).
- Journal Officiel, Débats parlementaires, séance
du 14 juin 1873 (Loi Warnier).
- Charles-Robert Ageron, Histoire
de l’Algérie contemporaine (1830-1871) (Paris : PUF, 1964), 54–63.
- Eugène Daumas, Mœurs et
coutumes de l’Algérie (Paris : Firmin-Didot, 1853), 212.
- Hamdane Ben Othman Khodja, Le
Miroir, ou Tableau historique et statistique de la Régence d’Alger
(Paris : Béthune et Plon, 1833), 89–92.
- Louis Tirman, Discours au
Sénat, Compte rendu intégral, 1881.

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