Parfois il m'est utile de le dire !

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Le polémiste Éric Zemmour dans son Art d’Injurier son Propre Miroir

Zemmour ne combat pas l’immigration : il combat son reflet. Son obsession identitaire n’est pas un programme politique, mais une fuite permanente hors de lui-même. La France réelle, diverse et vivante, il la nie pour se réfugier dans une caricature historique où il espère se blanchir symboliquement de ses propres origines. C’est moins du patriotisme que de l’auto-dénégation en direct.

Il y a des gens qui se cherchent. Zemmour, lui, s’est trouvé — et il n’a pas aimé ce qu’il a vu. Voilà pourquoi il passe son temps à se réinventer en gardien de la « vraie » France.

Fils d’immigrés juifs berbères d’Algérie, il est la preuve vivante de la capacité française à accueillir, éduquer, transmettre. Et pourtant, de toute évidence, il vit cette réalité comme une menace. Alors il bâti autour de lui une armure idéologique de chevalier de la « pureté nationale », persuadé que la France s’effondre dès que quelqu’un prononce un prénom qui n’était pas au calendrier en 1820.

Ce n’est pas du patriotisme. C’est du blanchiment symbolique.
Un délire de purification autobiographique.

Car ce qu’il hait chez « les autres », c’est ce qu’il reconnaît trop bien en lui-même. Son discours sur « l’invasion », « le remplacement » et « la décadence » n’est pas un projet : c’est une panique. C’est le tremblement d’un homme qui refuse de ressembler à son propre arbre généalogique.

Zemmour n’aime pas la France : il aime une momie de France. Une France empaillée, version musée départemental, où tout est étiqueté, figé, mort. Une France sans Brassens (trop anarchiste), sans Camus (trop algérien), sans Cioran (trop étranger), sans Montand (trop communiste), Sans Ferrat (trop français) sans Cléo de 5 à 7, sans Raï  et sans Coran dans les taxis, sans couscous dans les cantines — bref, sans tout ce qui fait une France vivante.

Il défend une nation imaginaire, où Louis XIV serait sur BFM et où les villages avec l’Eglise au centre, seraient tous des cartes postales de l’Office du tourisme, La France réelle, elle, fait du bruit, change, vit. Et Zemmour ne supporte pas le vivant.

En vérité, sa croisade identitaire n’est pas la défense d’une culture menacée — mais l’étouffement anxieux de sa propre histoire. Zemmour ne veut pas fermer la porte aux nouveaux venus : il essaie de la claquer sur son passé. Une France qu’il prétend sauver, mais qu’il n’a jamais acceptée telle qu’elle est.

Lors d’un échange virulent avec l’imam de la mosquée des Bleuets à Marseille, Éric Zemmour s’aventure dans le terrain miné de la colonisation : de l’accusation ouverte de « pillage des ressources algériennes » à la mise en cause de la « reconnaissance » due, il révèle – sans l’avouer – ce qui le travaille. Non pas un débat historique, mais une guerre contre lui-même.

 

L’épisode vaut le détour : l’imam marseillais, que Zemmour interpelle sur X comme « Monsieur l’imam », affirme que « l’Algérie n’a pas divorcé de la France, elle s’en est libérée après 132 ans d’occupation, de pillages et de massacres ».  

Réponse immédiate de Zemmour : « Votre commentaire dit beaucoup sur votre ignorance historique et votre esprit de revanche ». La pilule est double : d’un côté, la mise en cause impudente de la violence coloniale et du « vol des ressources » ; de l’autre, un homme qui, né d’immigrés, refuse qu’on lui rappelle que l’histoire qu’il défend n’a rien d’innocent.

Zemmour ne répond pas à l’imam sur les faits : il crie à l’imposture. Mais ce qu’il ne veut pas voir, c’est que son propre héritage familial et culturel est le miroir exact de ce qu’il prétend éradiquer. Autrement dit : la réussite issue de l’immigration le dérange tant qu’il préfère devenir son ennemie.

En brandissant la colonisation comme un quasi acte fondateur de la « dette » occultée de la France, l’imam met en lumière ce que Zemmour veut taire : que l’ordre qu’il prétend restaurer repose sur des ignorances, des concessions, des emprunts, des exils. Que la France qu’il fantasme n’a jamais été pure ; qu’elle doit, depuis toujours, autant à l’étranger qu’à elle-même.

Zemmour s’imagine protecteur de la France « sauvage », mais il tombe dans un réflexe inverse : celui de celui qui, pour se faire aimer, rejette ce qu’il est. Il préfère hurler contre « l’islamisation », « l’immigration », « l’invasion » plutôt que d’admettre que sa librairie est faite aussi d’Apollinaire, de Cioran, de Brassens métissé, de migrants devenus français. Il érige la frontière symbolique, il fabrique l’ennemi intérieur — mais c’est lui qui est à l’intérieur.

Son lit est fait d’archives et de ruines. Il vit la France comme un musée en chiottes, un décor figé. Et quand on lui rappelle que cette « France » d’homogénéité n’a jamais existé, il s’emporte. Il accuse, il détourne, il menace. Il n’a pas l’amour de la France : il a la peur de son propre reflet.

Ainsi, l’affaire de Marseille n’est pas un simple échange polémique entre religieux et polémiste : c’est un moment de vérité. Un homme qui refuse ses origines, qui projette son malaise sur les nouveaux venus, qui intime à la France d’être ce qu’elle ne fut jamais — et qui s’emporte quand on lui oppose les faits.

En somme : Zemmour est l’enfant d’une France ouverte qu’il passe sa vie à vouloir refermer. Il n’y a rien de plus tragique que celui qui veut détruire ce qu’il est devenu — encore moins quand il crie qu’il veut le sauver.

Lorsque Éric Zemmour affirme que « la France n’a pas pillé l’Algérie » parce qu’« on ne pille pas des marécages », il ne décrit pas l’histoire : il la dissout. Il remplace les documents, les archives, les témoignages, par une posture. Ce qu’il combat n’est pas l’Algérie — mais la part d’Algérie qu’il refuse en lui.

« La France n’a pas pillé l’Algérie : on ne pille pas des marécages et des étangs. »
dit Zemmour.

Or, dès 1841, le général Bugeaud — gouverneur général de l’Algérie — écrivait noir sur blanc à ses officiers :

« Il faut ravager les champs, brûler les villages, enlever les troupeaux.
La conquête de l’Algérie sera une guerre d’extermination. »
(Lettre du 15 avril 1841, Archives militaires de Vincennes)

On ne ravage pas des étangs. On détruit des sociétés humaines.

Quand Zemmour rit, Michelet, lui, ne riait pas.
Dans Le Peuple (1846), il décrivait la colonisation comme :

« Une violence froide, administrative, calculée, qui prend et appelle cela civilisation. »

Même la Chambre des Députés le reconnaissait :
la loi du 26 juillet 1873 (dite loi Warnier) avait pour but déclaré de :

« Détruire la propriété collective indigène pour transférer la terre aux colons. »
(Journal Officiel, séance du 14 juin 1873)

On ne réorganise pas juridiquement des étangs. On exproprie des cultivateurs.

Et quand Zemmour dit : « Aujourd’hui l’Algérie nous envahit, c’est un pays ennemi »,
il ne parle pas d’actualité. Il récite presque mot pour mot le gouverneur Tirman, en 1881 :

« Il faut empêcher l’indigène d’être chez lui chez nous. »
(Discours au Sénat, 1881)

Ce qu’il nomme « invasion », c’est en réalité l’ordre ancien qui revient frapper à la porte de la mémoire. Car l’Algérie n’a pas oublié. Et la France officielle non plus.

En 1937, alors que l’on débat de l’accès à la citoyenneté des « sujets algériens », Jules Ferry (père de l’école républicaine) déclarait :

« Nous avons créé en Algérie une société à deux étages. La justice commande de reconnaître l’injustice. »  (Débats parlementaires, Chambre des députés)

Même l’État français reconnaissait la hiérarchie coloniale.
Zemmour, lui, la nie — non par ignorance, mais par nécessité.

Car s’il admet la violence, il doit affronter ce que cette histoire dit de lui.

La loi du 26 juillet 1873, dite Loi Warnier, est explicite : elle vise à abolir les terres collectives pour les transférer aux colons
Elle transforme la propriété en arme.

Comme l’historien Charles-Robert Ageron l’a montré :

« La colonisation fut d’abord une entreprise de spoliation foncière systématique. »³

Ce n’est pas un débat. C’est un fait documenté.

L’autre mensonge implicite dans le récit zemmourien est l’idée qu’avant 1830, l’Algérie aurait été un désert intellectuel. Pourtant, le colonel Eugène Daumas, administrateur français, reconnaissait en 1853 :

« L’instruction primaire était beaucoup plus répandue en Algérie qu’on ne le croit généralement. »⁴

Les grandes villes — Alger, Miliana, Mascara, Oran, Bejaia, Tlemcen, Constantine — disposaient de réseaux de médersa, msid et zaouïa où l’on apprenait lecture, écriture et jurisprudence religieuse. Le notable algérien Hamdane Ben Othman Khodja en témoignait déjà en 1833 :

« La lecture du Coran fait partie de la vie ordinaire de la cité. »⁵

Zemmour dit : « Il n’y avait rien. »
Les archives disent : Il y avait des écoles.

Son discours n’est pas une analyse. C’est un rideau. Un rideau pour ne pas voir Bugeaud, Saint-Arnaud, les enfumades, les séquestres, les déportations, la famine de 1867, les spoliations cadastrales, les populations déplacées, les terres classées « vacantes » parce que volées.

Un rideau pour ne pas voir que l’histoire coloniale et l’histoire familiale se croisent dans son nom, son visage, son lieu d’origine.

Zemmour n’attaque pas l’Algérie. Il attaque la part algérienne qu’il porte malgré lui. Il ne parle pas de la France. Il parle de ce qu’il voudrait ne plus être. Et c’est cela, précisément, qui rend son discours aussi bruyant. Plus on fuit, plus on hurle.                                                 Ainsi donc, je dois dire bravo aux Français de souche, ayant Vercingétorix comme ancêtre (Zemmour), mais presque tous issus de l'immigration. Dans les médias, notre Zemmour et certains se prennent pour Napoléon, mais ils sont plus nombreux à se croire de souche, de qui, de quoi et depuis quand ?

A/Kader Tahri / Chroniqueur engagé, observateur inquiet
« Il faut dire les choses comme elles sont, mais refuser qu’elles soient comme ça. »  
https://kadertahri.blogspot.com/

NOTES  

  1. Thomas-Robert Bugeaud, Lettre du 15 avril 1841, Service Historique de la Défense (Vincennes).
  2. Journal Officiel, Débats parlementaires, séance du 14 juin 1873 (Loi Warnier).
  3. Charles-Robert Ageron, Histoire de l’Algérie contemporaine (1830-1871) (Paris : PUF, 1964), 54–63.
  4. Eugène Daumas, Mœurs et coutumes de l’Algérie (Paris : Firmin-Didot, 1853), 212.
  5. Hamdane Ben Othman Khodja, Le Miroir, ou Tableau historique et statistique de la Régence d’Alger (Paris : Béthune et Plon, 1833), 89–92.
  6. Louis Tirman, Discours au Sénat, Compte rendu intégral, 1881.

 

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