Un article
d’Elliott Abrams, ancien conseiller américain, relayé par plusieurs médias
comme un constat objectif de la situation au Sahara occidental, défend en
réalité une lecture biaisée et alignée sur les intérêts stratégiques des
États-Unis. Il ne reflète ni la position du Conseil de sécurité, ni le droit
international, encore moins la voix du peuple sahraoui.
Tribune : On a pu lire, ces derniers jours, que le Maroc aurait
remporté une « victoire décisive » au Conseil de sécurité de
l’ONU concernant le Sahara occidental. À l’origine de cette affirmation, un
article signé par Elliott Abrams, ancien conseiller spécial à la Maison
Blanche, et publié par le Council on Foreign Relations (CFR). Présenté dans la
presse marocaine comme un verdict diplomatique ou une analyse autorisée, ce
texte n’est en réalité qu’une opinion personnelle. Et, surtout, une
opinion portant un parti pris idéologique clair en faveur de la position
marocaine.
Il est
essentiel de rappeler que le CFR est un think tank pluraliste : il
publie des contributions reflétant des perspectives diverses, parfois
contradictoires. Aucun texte signé par un individu n’y vaut position institutionnelle.
Or, dans certains médias, l’opinion d’Abrams a été présentée comme si les
États-Unis, le Conseil de sécurité ou la communauté internationale avaient
définitivement tranché la question. C’est inexact. Et c’est politiquement lourd
de conséquences.
Car ce texte
opère une simplification radicale du conflit. Abrams décrit le Maroc
comme la partie « raisonnable » et « moderne », tandis que le Front Polisario
serait un mouvement « anachronique » issu de la guerre froide, soutenu par une
Algérie forcément hostile. Ce récit efface totalement la dimension
fondamentale du dossier : le Sahara occidental reste un territoire non autonome
selon l’ONU. À ce titre, les Sahraouis disposent d’un droit inaliénable à
l’autodétermination, principe central du droit international, et reconnu
par toutes les résolutions du Conseil de sécurité depuis près de cinquante an.
Ce droit
n’est pas une revendication marginale, ni une lubie idéologique : il est la
clé juridique du conflit.
Pourtant,
dans l’article d’Abrams, ce droit disparaît. La population concernée disparaît.
Le conflit devient exclusivement géopolitique : Maroc contre Algérie,
sécurité contre instabilité, modernité contre archaïsme. Ce glissement n’est
pas seulement discutable : il est dangereux. Car il nie l’existence du
peuple sahraoui comme sujet politique de son propre destin.
Par
ailleurs, Abrams prétend que la récente résolution du Conseil de sécurité
consacrerait la proposition marocaine d’autonomie comme la seule solution
crédible. Or, c’est une lecture sélective et incomplète. La résolution
réaffirme qu’une solution doit être politique, négociée et mutuellement
acceptable. Elle ne reconnaît ni souveraineté marocaine, ni
indépendance sahraouie. Elle demande aux parties de reprendre les
négociations. Autrement dit : rien n’est réglé.
Que l’ancien
conseiller américain omette ce point n’est pas un oubli. C’est une
construction.
Elle permet de présenter comme acquis ce qui ne l’est pas, et de
transformer un rapport de force diplomatique en vérité finale.
La justification
que donne Abrams est d’ailleurs explicite : les États-Unis soutiennent Rabat
parce que le Maroc est un allié stratégique stable, notamment depuis la
normalisation de ses relations avec Israël. Le raisonnement est clair : ce qui
importe, ce n’est ni la volonté des Sahraouis, ni le droit international, mais l’alignement
géopolitique.
Autrement
dit, ce texte n’explique pas ce qui est juste. Il explique ce qui arrange. Il
ne dessine pas une solution. Il défend une préférence diplomatique américaine.
Enfin, l'article dévoile, malgré lui, l’argument déterminant
: le soutien américain au Maroc découle de considérations stratégiques,
notamment depuis la signature des accords de
normalisation avec Israël en 2020. Ce n’est donc ni un soutien
« moral », ni un soutien « historique », mais un
soutien d’intérêts, inscrit dans
le repositionnement américain au Maghreb. Ainsi, ce texte ne dit pas : « le
Maroc a raison ». Il dit : « le Maroc nous est utile ».
C’est là toute la différence entre la diplomatie
et l’instrumentalisation.
Pour la partie marocaine, Il s’agit d’un commentaire qui reflète une lecture pro-marocaine
de la diplomatie américaine. Cette sélection de faits vise à créer
l’impression d’une victoire diplomatique totale, Mais ne reflète ni la
complexité du conflit, ni l’ensemble des positions internationales,
ni les revendications sahraouies au titre de l’autodétermination.
Le Conseil de sécurité ne statue pas sur la base des alliances
géopolitiques, mais sur la base du droit international.
Et le droit international, lui, reste clair :
Le Sahara occidental n’est pas marocain. Son peuple doit choisir.
La seule question demeure, et elle est simple :
Quand permettra-t-on au peuple sahraoui d’exercer son droit
légitime à l’autodétermination ?
A/Kader
Tahri / Chroniqueur engagé, observateur inquiet
« Il faut dire les choses comme elles sont, mais refuser qu’elles soient
comme ça. » https://kadertahri.blogspot.com/
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