Sous couvert de lutte contre l’islamisme, un discours
se répand : celui d’une Europe assiégée, d’une France “à reconquérir”, d’un
Occident “judéo-chrétien” en péril. Ce récit, porté par des essayistes
identitaires, transforme la peur en doctrine politique. Et derrière la posture
patriotique, se profile une idéologie de rejet.
La peur comme projet politique
Le texte lu
pourrait sembler anodin : une énième tribune dénonçant les “dérives
islamistes”, l’immigration incontrôlée, la faiblesse des élites. Mais à
bien le lire, c’est une tout autre musique qui s’impose.
Sous les références sécuritaires et les appels à la fermeté, ce discours
déroule une rhétorique de la peur, saturée de termes anxiogènes : invasion,
islamisation, disparition, guerre civile.
Chaque phrase alimente un climat d’urgence. Chaque mot fabrique un ennemi.
Cette
mécanique est bien rodée. Elle ne vise pas à informer, mais à mobiliser les
affects. En désignant une menace totale — “l’islam politique”,
“l’entrisme musulman”, “l’infiltration culturelle” — l’auteur construit un
récit où la France serait au bord du gouffre. Le réel se dissout dans la
fiction d’un siège civilisationnel.
Et la peur, dès lors, devient un programme.
L’islam comme bouc émissaire universel
Sous couvert
de lucidité, ce discours amalgame tout : l’islamisme, l’islam, l’immigration,
la foi, la culture, jusqu’à la gastronomie (“le kebab halal” comme
symptôme du déclin).
Ce procédé n’est pas nouveau : c’est celui de l’essentialisation.
L’islam n’est plus une religion plurielle, vécue par des millions de citoyens
français, mais un bloc homogène, porteur d’un projet d’emprise.
Le musulman n’est plus un individu, il devient une catégorie suspecte, une
menace culturelle.
C’est ainsi
que la peur bascule dans l’idéologie identitaire. Derrière les appels à
la “fermeté”, c’est la stigmatisation systémique qui s’installe.
Et sous le masque de la défense de la République, c’est son principe même —
l’égalité des citoyens — qui vacille.
Le faux vernis du “socle judéo-chrétien”
Le texte
vante un retour au “socle judéo-chrétien” pour contrer “l’offensive islamique”.
L’expression, séduisante pour certains, est en réalité un slogan politique
vide.
L’Europe ne s’est pas construite sur une identité religieuse figée, mais sur
des combats intellectuels : la laïcité, les droits de l’homme, la démocratie,
la science.
Réduire cette histoire à une essence “judéo-chrétienne”, c’est nier la
pluralité des héritages et imposer une hiérarchie entre croyances.
Derrière
cette formule se cache un projet réactionnaire : restaurer une identité
ethno-spirituelle, opposer les “bons croyants” aux autres, et préparer le
terrain à une politique d’exclusion.
C’est la nostalgie d’un monde mythifié, celui d’une Europe blanche, chrétienne
et homogène — un mythe, pas une mémoire.
La laïcité détournée en arme de guerre
Ironie amère
: ceux qui invoquent sans cesse la laïcité en font une machine
d’interdiction.
Interdire le halal dans les cantines, fermer les mosquées “salafistes”,
bannir le voile “politique” : autant de propositions qui travestissent
la laïcité en outil de tri social.
La loi de 1905 n’a jamais visé à contrôler les croyances, mais à protéger la
liberté de culte.
La République, ici, devient une forteresse, non un espace commun.
Ce
glissement du laïque vers le coercitif n’est pas anodin. Il annonce une vision
autoritaire du politique, où la sécurité justifie la réduction des libertés.
C’est le vieux rêve de l’extrême droite : faire passer la force pour du
courage et l’exclusion pour du bon sens.
De la paranoïa à la tentation autoritaire
Les
“solutions” proposées dans ce texte — lois d’exception, expulsions massives,
“démantèlement” idéologique — relèvent d’une obsession du contrôle.
Elles supposent un État qui surveille, qui classe, qui expulse.
Mais derrière le mot “ordre”, c’est la peur de l’altérité qui commande.
Ce type de
rhétorique prépare les esprits à accepter l’illibéralisme : moins de
droits pour plus de sécurité, moins de diversité pour plus “d’unité”.
Et lorsque le fantasme d’une “France assiégée” devient la boussole du
politique, la démocratie se vide de sa substance.
Raison contre délire identitaire
Reconnaître
les dérives islamistes, oui. Mais refuser l’amalgame, encore plus.
Car à trop confondre menace terroriste et présence musulmane, on alimente le
ressentiment et on affaiblit la cohésion nationale.
La véritable bataille n’est pas religieuse, mais civique et sociale :
éducation, justice, culture, lutte contre les discriminations.
Tout le reste — le “choc des civilisations”, le “socle spirituel”, la
“résistance chrétienne” — relève du roman politique.
Face à la
crispation identitaire, la lucidité démocratique doit redevenir notre
boussole.
La République n’a pas besoin d’ennemis imaginaires pour se défendre.
Elle a besoin de citoyens libres, informés, et capables de penser au-delà de la
peur.
Le mirage du “socle judéo-chrétien” : quand la foi
devient instrument politique
Appeler
l’Occident à “se ressouder autour d’un socle judéo-chrétien”, comme le font
Netanyahu, J.D. Vance ou Donald Trump, n’a rien d’un projet spirituel : c’est
un manifeste identitaire déguisé en croisade morale. Derrière le
vocabulaire de la “solidarité” et du “retour aux valeurs”, se dessine une
vision du monde fondée sur la peur et la hiérarchie des civilisations. Cette
idée d’un front “judéo-chrétien” face à “l’islamisme” ne cherche pas à défendre
la liberté de conscience — elle réintroduit la religion comme marqueur
d’appartenance nationale, comme ligne de partage entre les “nôtres” et les
“autres”.
L’argument
est habile : l’auteur feint de défendre l’Occident contre la radicalisation,
mais son projet repose sur une essentialisation des identités. Israël,
les États-Unis et l’Europe deviennent les bastions d’un même bloc religieux
censé protéger la “civilisation” face à un islam présenté comme
homogène et conquérant. Or, cette lecture du monde, héritée des années 2000 et
du fantasme du “choc des civilisations”, alimente le conflit qu’elle prétend
conjurer.
En France,
l’invocation d’un “socle judéo-chrétien” est doublement fallacieuse. D’abord,
elle contredit la laïcité, qui garantit la neutralité de l’État et
l’égalité entre croyants et non-croyants. Ensuite, elle instrumentalise la
foi : la religion n’est plus affaire de spiritualité, mais de stratégie
politique. Elle devient un outil de cohésion artificielle, imposée par le haut,
censée remplacer ce que l’auteur appelle le “vide moral” de l’Occident.
Ce vide,
pourtant, n’est pas religieux — il est social, culturel, politique. Ce ne sont
pas les mosquées qui prolifèrent, c’est le désengagement de l’État, l’effondrement
du lien collectif, le recul de l’éducation, la crise du sens. Croire qu’un
“retour à la spiritualité” réglerait le problème, c’est refuser d’affronter les
causes réelles du malaise : la précarité, les inégalités, l’abandon des
quartiers, la perte de confiance dans la parole publique.
Le discours
du “socle judéo-chrétien” ne ressoude pas, il divise. Il dresse des
frontières symboliques là où la République tente encore de bâtir du commun. Il
oppose les croyants entre eux, transforme la diversité en menace, et réduit la
foi à un drapeau.
Ce n’est pas une réponse à l’islamisme — c’est son miroir inversé : une
vision du monde crispée, fermée, incapable de penser la liberté autrement que
sous la forme d’une identité.
Conclusion : Le vrai combat n’est pas entre les
religions, mais entre la raison et la peur
Sous les
habits du patriote, ce discours ressuscite les vieux démons : le fantasme du
déclin, la haine de l’autre, la quête d’un “chef fort”.
Ce n’est pas une alerte lucide, c’est une contamination lente de l’espace
public par les mots de la peur. ;Et si la République doit aujourd’hui
se défendre, ce n’est pas contre une religion, mais contre cette dérive
intellectuelle qui fait de la peur un programme et de l’exclusion une vertu.
A/Kader Tahri
Chroniqueur engagé, observateur inquiet « Il faut dire les choses comme elles sont, mais refuser qu’elles soient
comme ça. » https://kadertahri.blogspot.com/
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