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Le discours royal du Makhzen : la grandeur des mots face au silence du réel

 

Le 10 octobre 2025, le roi Mohammed VI a prononcé son discours d’ouverture du Parlement, un rendez-vous institutionnel majeur au Maroc. Si la presse officielle y a vu un moment de “grande vision” et de “stabilité monarchique”, de nombreux observateurs y lisent au contraire les signes d’un pouvoir de plus en plus coupé du terrain. Derrière la rhétorique du “temps long” et de la “cohérence d’État”, le malaise social s’accentue et les mots ne suffisent plus à masquer le décalage entre la monarchie et son peuple.

Un éloge médiatique convenu

Les journaux les plus proches du pouvoir n’ont pas tardé à saluer la “profondeur” du discours royal. Selon eux, Mohammed VI aurait rappelé la sagesse d’une gouvernance fondée sur la continuité, la patience et la cohérence entre développement économique et justice sociale.
Le ton des articles parus au lendemain de l’allocution, souvent empreint de vénération, conforte une lecture institutionnelle du rôle du monarque : celui d’un arbitre visionnaire, au-dessus des contingences politiques et des “emballements conjoncturels”.

Mais cette lecture lisse et laudative élude une question essentielle : à qui s’adressait vraiment ce discours ? Car dans les rues de Casablanca, Fès ou Ouarzazate, rares sont ceux qui en ont compris le sens, encore moins la portée. Pour beaucoup, ce fut un moment de rhétorique formelle, sans lien avec les urgences économiques et sociales du moment.

Une rhétorique du “temps long” qui lasse

Le Roi a insisté sur la “gouvernance dans le temps long”, sur “la cohérence” et “le cap stratégique” du Royaume. Ces formules récurrentes, déjà présentes dans ses précédents discours, traduisent une vision d’État centrée sur la stabilité et la planification à long terme.
Or, dans un Maroc où la jeunesse peine à trouver un emploi, où les prix explosent et où les écarts territoriaux se creusent, cette invocation du long terme résonne comme une fuite devant les réalités immédiates.

Les Marocains n’attendent plus des discours de méthode, mais des réponses concrètes : comment freiner la hausse du coût de la vie ? Comment relancer un marché du travail saturé ? Comment faire reculer la pauvreté rurale ? Autant de questions qui restent sans réponse, tandis que la communication officielle préfère insister sur la “vision royale”.

Entre cohérence proclamée et contradictions du modèle

L’un des passages les plus commentés du discours affirme qu’“il ne devrait y avoir ni antinomie ni rivalité entre les grands projets nationaux et les programmes sociaux”.
En théorie, cette phrase traduit une philosophie équilibrée ; en pratique, elle masque une contradiction persistante : le Maroc investit massivement dans les grands chantiers — infrastructures, tourisme, zones franches mais peine à redistribuer les fruits de cette croissance.

Les inégalités territoriales demeurent criantes. Les régions rurales, notamment dans le Haut Atlas et le Sud-Est, continuent d’accuser un retard flagrant en matière d’accès à la santé, à l’éducation et à l’emploi.
Le discours royal parle d’un “Maroc solidaire”, mais la réalité montre un Maroc à deux vitesses : celui des pôles économiques mondialisés, et celui d’une périphérie laissée à elle-même.

La justice sociale, un slogan vidé de sens

Depuis plusieurs années, la “justice sociale” revient comme un leitmotiv dans les allocutions royales. Pourtant, cette notion semble avoir perdu sa substance.
Loin d’être traduite en politiques publiques visibles, elle se réduit à une formule rituelle, évoquée sans jamais être mesurée.
Le système de protection sociale peine à se concrétiser, les filets de sécurité économique restent fragiles et les réformes annoncées, notamment dans l’éducation et la santé, se heurtent à des retards structurels.

Pour une grande partie des Marocains, ces mots finissent par sonner creux. La répétition de promesses non suivies d’effets entretient un sentiment de distance et d’impuissance : celle d’un peuple qui écoute, sans jamais être entendu.

Le fossé entre la parole royale et la réception populaire

Selon plusieurs observateurs locaux et étrangers, la réception du discours fut marquée par une indifférence quasi générale. Sur les réseaux sociaux marocains, peu de débats, encore moins d’enthousiasme : un silence numérique révélateur.
Cette absence de réaction n’est pas anodine ; elle traduit un phénomène plus profond : le déclin de la portée symbolique de la parole royale.

Autrefois perçus comme des moments d’attente et d’unité, les discours du souverain semblent désormais suivre une routine institutionnelle, où la forme prend le pas sur le fond.
L’écart entre les mots du pouvoir et les préoccupations réelles logement, emploi, santé, dignité se creuse à chaque allocution.

Une communication verrouillée et sans relais politiques

Le discours royal met en avant les devoirs du Parlement et la responsabilité des élus. Mais dans un système où les décisions stratégiques sont fortement centralisées, cette injonction reste symbolique. Le Parlement marocain, souvent critiqué pour son manque de pouvoir réel, ne peut que valider les grandes orientations venues du Palais. Les partis politiques, eux, souffrent d’une crise de crédibilité historique : déconnectés du terrain, sans ancrage idéologique fort, ils n’incarnent plus de contrepoids démocratique.

Résultat : la parole royale, omniprésente, s’impose comme unique boussole, mais sans relais institutionnels efficaces pour en traduire les ambitions.
Ce déséquilibre crée une gouvernance verticale, où la légitimité symbolique du Roi remplace les mécanismes de responsabilité politique.

Le mythe de la stabilité

La monarchie marocaine a toujours su se présenter comme le garant de la stabilité dans une région instable. Mais cette stabilité, à force d’être érigée en dogme, devient un frein à la réforme.
Dans un pays où la contestation sociale gronde et où les jeunes peinent à s’identifier à un projet collectif, la stabilité ne peut suffire à masquer les fissures sociales.

Un État stable mais inégalitaire n’est pas un État apaisé ; c’est un État qui retarde l’inévitable confrontation avec les attentes populaires.

Conclusion : quand la parole s’épuise

Le discours du 10 octobre se voulait un acte de continuité et de cohérence. Mais il a surtout confirmé le décalage entre le sommet et la base, entre la grandeur des mots et la dureté du quotidien. Le Maroc ne manque pas de visions ; il manque de traduction concrète, de politiques inclusives, de réponses tangibles aux souffrances sociales.

À force de célébrer la stabilité et la patience, le pouvoir marocain risque de perdre le lien le plus précieux : celui de la confiance.
Et sans cette confiance, la parole royale, si brillante soit-elle, risque de résonner dans le vide.

Ce discours intervient dans un climat marqué par des tensions sociales récentes : la hausse du coût de la vie, le chômage des jeunes et les inégalités territoriales ont suscité des mouvements de protestation. En insistant sur la solidarité nationale et la responsabilité partagée, le Roi a totalement ignorait les revendications du peuple, le discours reste déconnecté des réalités, n’a fait qu’accentuer la frustration.

Kader Tahri
Chroniqueur engagé, observateur inquiet
« Il faut dire les choses comme elles sont, mais refuser qu’elles soient comme ça. »

https://kadertahri.blogspot.com/

 


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