« Les médias
israéliens sont comme un médecin qui cache l’état de santé de son patient. »
Cette phrase, tirée d’un article publié dans la presse israélienne, résume à
elle seule l’ampleur du malaise moral et politique qui traverse la société
israélienne depuis le déclenchement de la guerre de Gaza. En refusant de
montrer la réalité des destructions, en réduisant le drame palestinien à des
statistiques, ou en se réfugiant derrière le langage sécuritaire, une grande
partie des médias israéliens ont participé à une entreprise de déni collectif.
Mais ce silence n’est pas seulement celui des journalistes : il est aussi celui
du public, de l’État et, plus largement, de l’Occident tout entier.
Un silence
médiatique structurel : la parole verrouillée au nom de la sécurité
Depuis le 7
octobre, la presse israélienne opère dans un contexte de guerre où la censure
militaire encadre strictement toute information liée aux opérations à Gaza. Les
autorités invoquent des impératifs de sécurité nationale, mais ce cadre est
devenu, de facto, un instrument de contrôle narratif. Les rédactions se
conforment à une vision unique du conflit : Israël comme victime, le Hamas
comme incarnation du mal absolu, et Gaza comme un théâtre d’opérations dépourvu
d’êtres humains.
Cette ligne
éditoriale dominante ne relève pas uniquement d’une peur institutionnelle, mais
d’une adhésion idéologique. De nombreux médias, notamment audiovisuels,
se sont transformés en caisses de résonance du discours gouvernemental,
réduisant les débats à des considérations militaires et occultant les
dimensions politiques, humanitaires et juridiques du conflit. Les rares voix
dissidentes Haaretz, +972 Magazine, ou encore les ONG comme B’Tselem
et Gisha sont marginalisées,
taxées d’anti-patriotisme ou accusées de trahir la nation en temps de guerre.
Ainsi, le
silence médiatique n’est pas simplement le fruit d’une censure imposée, mais
d’un consensus implicite : ne pas troubler la conscience nationale, ne
pas fissurer le récit collectif.
Le déni du
public : un silence partagé et volontaire
Pourtant,
comme le souligne l’article, « le public n’a pas voulu savoir, ou alors il sait
et s’en fiche ». Cette phrase révèle une vérité plus dérangeante encore : le
silence des médias répond à la demande d’un public qui ne veut pas voir.
Dans un contexte d’insécurité et de peur, l’information devient une
consommation émotionnelle ; elle ne doit pas déranger, mais rassurer.
Cette
dynamique n’est pas propre à Israël. Dans toute société en guerre, la
dissonance cognitive pousse les citoyens à refuser les vérités qui ébranlent
leur identité nationale. Mais ici, la situation est plus profonde : le silence
devient une forme de participation symbolique au conflit. En acceptant
de ne pas savoir, en choisissant de croire que « tout est sous contrôle
», le public israélien protège son propre confort moral.
Il ne s’agit
donc pas d’un peuple manipulé, mais d’un peuple qui collabore à son propre
aveuglement. C’est pourquoi, comme le rappelle Haaretz, aucun citoyen
israélien ne peut honnêtement affirmer : « Nous ne savions pas. »
Les informations existaient, accessibles à tous sur Internet, publiées par des
journalistes courageux. Mais la majorité a préféré détourner le regard. Ce
silence collectif traduit une crise morale autant qu’une faillite médiatique.
La
rhétorique du « bouclier humain » : une justification du massacre
L’un des
éléments les plus révélateurs de cette cécité volontaire est la manière dont
les médias et le discours public justifient les bombardements massifs à Gaza.
L’argument récurrent« le Hamas se cache derrière les civils » sert de
caution morale à une politique de destruction totale.
Or, comme le rappellent certains commentateurs, l’écrasante supériorité
militaire d’Israël (huit soldats pour un combattant palestinien) rend
caduque cette excuse. Le droit international humanitaire impose des limites à
la force, même contre un ennemi jugé terroriste.
Mais dans la
sphère médiatique israélienne, ces nuances disparaissent. Les victimes
palestiniennes deviennent des « dommages collatéraux », des
statistiques abstraites. Le langage militaire anesthésie la compassion. Ainsi,
le silence n’est pas seulement absence de parole : il est substitution de
mots, travestissement du réel, effacement du visage humain de l’autre.
Cette
déshumanisation n’est pas sans conséquences. Elle légitime l’impunité et, à
long terme, nourrit la radicalisation de part et d’autre. Le silence devient
alors une arme morale, plus destructrice encore que les bombes.
Un silence
occidental en miroir : la complicité globale de l’information
Le texte met
justement en lumière un paradoxe inquiétant : le silence des médias israéliens
trouve un écho dans les rédactions occidentales. Aux États-Unis, au Canada, au
Royaume-Uni ou en Australie, de nombreux journalistes reprennent sans
vérification les communiqués de Tsahal, occultant les témoignages palestiniens
ou minimisant la gravité du drame humanitaire.
Cette censure
officieuse s’exerce non par interdiction directe, mais par conformisme
idéologique, par peur d’être accusé d’antisémitisme, ou simplement par inertie
professionnelle. Résultat : la couverture médiatique internationale de Gaza
s’aligne sur le discours israélien, renforçant la perception d’une guerre «
juste » contre le terrorisme.
Pourtant,
sur les réseaux sociaux, des millions d’images, de vidéos et de témoignages
contredisent ce récit officiel. Le fossé entre la vérité visible et la vérité
publiée devient abyssal. Ce décalage alimente une méfiance généralisée
envers les médias traditionnels et révèle une crise profonde du journalisme
occidental : celle de la dépendance au pouvoir et de la peur du réel.
Le prix du silence
: une responsabilité historique
Le silence
médiatique israélien et, par extension, occidental n’est pas neutre. Il a un coût : celui de
l’impunité, du prolongement du conflit et de la banalisation du mal.
Lorsqu’un peuple choisit de ne pas voir, lorsqu’une presse se tait ou détourne
les yeux, ce n’est pas seulement la vérité qu’elle enterre, mais sa propre
humanité.
L’histoire a déjà connu ce type de déni collectif. Après la Seconde Guerre
mondiale, certains disaient : « Nous ne savions pas. »
Aujourd’hui, cette excuse ne tient plus. Les images de Gaza sont partout. Ce
qui manque, ce n’est pas l’information, c’est la volonté morale de la regarder.
La presse a
pour mission d’informer, mais aussi de réveiller les consciences. Lorsqu’elle
renonce à cette fonction, elle devient complice du pouvoir qu’elle devrait
questionner. En refusant de nommer les choses un siège, un apartheid, un
massacre, les médias israéliens et occidentaux contribuent à normaliser
l’inhumain.
Haaretz et
quelques rares journalistes courageux demeurent les exceptions d’une époque où
le courage moral est devenu suspect. Mais ils rappellent une vérité essentielle
: le silence n’est jamais neutre. Il est un choix politique, un acte de
pouvoir. Et parfois, il tue.
Conclusion
Le silence
des médias israéliens n’est ni accidentel, ni purement institutionnel. Il est
le reflet d’un déni collectif, d’une peur de la vérité et d’un refus
de responsabilité morale.
Ce silence, reproduit et amplifié par les médias occidentaux, participe à la
perpétuation d’un système d’oppression et à la banalisation de la violence.
Un jour,
comme le prédit l’article, « le grand public exigera des réponses sur le
silence des médias ». Mais encore faut-il qu’il ait le courage de poser les
bonnes questions. Car tant que les sociétés préféreront le confort du mensonge
à la douleur de la vérité, les guerres continueront et les journalistes
continueront d’écrire pour ne rien dire.
Kader Tahri
Chroniqueur engagé, observateur inquiet
« Il faut dire les choses comme elles sont, mais refuser qu’elles soient
comme ça. »
https://kadertahri.blogspot.com/
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