Cette tribune revient sur la controverse autour des
corps israéliens disparus à Gaza, enjeu humanitaire devenu symbole de la guerre
d’influence entre Israël et le Hamas.
Au-delà des chiffres et des accusations, le texte propose une réflexion sur la
manière dont les morts, palestiniens comme israéliens, sont pris en otage dans
un conflit où la mémoire, la dignité et la compassion cèdent la place à la
logique politique et militaire.
Un plaidoyer pour replacer l’humain — vivant ou disparu — au centre d’un débat
trop souvent déshumanisé.
Le
cessez-le-feu entre Israël et les groupes armés palestiniens n’a pas encore apporté
le calme espéré. Alors que la trêve entre dans sa deuxième semaine, une
nouvelle controverse vient rallumer la tension : celle des corps israéliens
ensevelis sous les ruines de Gaza.
L’affaire, en apparence humanitaire, s’est rapidement transformée en instrument
de pression politique, révélant une fois encore la profondeur du drame humain
et moral qui s’est abattu sur la région.
Le poids symbolique des corps
Israël a
exigé du Hamas la restitution de tous les corps de ses ressortissants morts à
Gaza, menaçant de reprendre ses opérations militaires si cette demande n’était
pas satisfaite. Selon des sources proches des négociations, certains de ces
corps seraient enfouis sous les décombres des bombardements israéliens
eux-mêmes un paradoxe tragique, mais
révélateur : la guerre a enseveli non seulement des vies, mais aussi la
possibilité même d’un dialogue fondé sur la raison.
L’ancien
président américain Donald Trump a déclaré que le Hamas « cherchait
certainement » les corps manquants, tout en exprimant un optimisme prudent.
Optimisme difficile à partager, tant la situation sur le terrain reste
catastrophique : Gaza n’est plus qu’un enchevêtrement de gravats, de zones
minées et de ruines inaccessibles.
Deux tragédies, deux récits
Pendant que
les caméras se tournent vers la question des corps israéliens, à Gaza, les
habitants observent ce débat avec un mélange d’incrédulité et de douleur. Selon
le ministère de la Santé de l’enclave, près de 9 000 Palestiniens sont encore
portés disparus, probablement ensevelis sous les décombres.
Des familles entières attendent depuis des mois, sans pouvoir ni creuser ni
identifier leurs proches. Le blocus empêche l’entrée de bulldozers, de
carburant, ou même d’équipements de protection. Les secouristes fouillent
souvent à mains nues, au risque de leur vie.
Cette asymétrie du regard médiatique est devenue une constante du conflit. Les souffrances israéliennes, réelles et tragiques, sont scrutées, détaillées, commentées ; celles des Palestiniens, plus diffuses, plus massives, sont souvent reléguées dans la rubrique des chiffres. Et pourtant, derrière ces chiffres, il y a des vies, des visages, des histoires : 70 000 morts selon les autorités locales, plus de 170 000 blessés, des milliers d’autres disparus. Des données invérifiables, certes, mais dont l’ampleur ne laisse guère de doute sur la catastrophe humanitaire en cours.
Une responsabilité partagée, un désastre collectif
Pourquoi le
Hamas ne retrouve-t-il pas les corps israéliens ? Les raisons sont multiples,
et profondément liées à la destruction du territoire lui-même.
Les bombardements ont pulvérisé des quartiers entiers, transformant la
géographie de Gaza en un puzzle de ruines. Une grande partie du territoire
reste sous contrôle militaire israélien, inaccessible aux secours.
De nombreux membres des groupes armés palestiniens, qui détenaient des
informations sur les lieux où étaient gardés les captifs, ont été tués dans les
frappes. D’autres factions, plus petites et moins coordonnées, auraient détenu
certains prisonniers.
Enfin, le blocus empêche toute entrée d’équipement lourd ou de matériel de
recherche, ce qui rend les opérations de récupération quasiment impossibles.
Cette
situation absurde Israël exigeant de Gaza des efforts que ses propres
bombardements rendent irréalisables illustre l’impasse morale du conflit. L’armée
israélienne, en prétendant « libérer ses otages », a détruit les mêmes
infrastructures où certains d’entre eux étaient probablement détenus.
La responsabilité est donc circulaire : les combattants palestiniens ont violé
le droit international en capturant des civils ; Israël a répondu par une
campagne militaire d’une intensité telle qu’elle a rendu toute résolution
humaine impossible. Le résultat : des morts, des disparus, et un champ de
ruines qui sert désormais de théâtre à une bataille politique autour des
cadavres.
Les morts comme instruments de politique
Ce que cette
controverse révèle, au fond, c’est la manière dont la guerre transforme les
morts en objets de pouvoir.
Dans toute guerre prolongée, la question des corps qu’il s’agisse de leur restitution, de leur
identification ou de leur sépulture devient une arme symbolique. Chaque camp
tente de maîtriser le récit de la mort, car celui qui contrôle les morts
contrôle aussi, en partie, la mémoire du conflit.
Israël veut
montrer qu’il ne laisse aucun des siens derrière juste pour jouer la
provocation. Le Hamas, de son côté, veut prouver qu’il agit malgré la
destruction, et que la population de Gaza reste humaine face à la dévastation.
Entre ces deux logiques, la dignité des victimes, israéliennes comme
palestiniennes, se perd dans les ruines.
Une trêve sous tension
Depuis
l’entrée en vigueur du cessez-le-feu le 11 octobre, 23 Palestiniens ont été
tués et plus de 120 blessés dans des incidents attribués à des violations israéliennes.
Les secours palestiniens affirment avoir retrouvé 381 nouveaux corps sous les
décombres, tandis qu’Israël a restitué 120 dépouilles palestiniennes non
identifiées.
Le Hamas a, de son côté, remis une dizaine de corps israéliens sur les 28
prévus par l’accord. Le reste serait, selon lui, inatteignable pour le moment.
L’envoyé
spécial américain Steven Witkoff se dit convaincu que tous les corps finiront
par être restitués. Mais la réalité de terrain, elle, montre un territoire
exsangue, sans machines, sans routes, sans morgues fonctionnelles. La paix,
ici, se mesure au nombre de cadavres qu’on parvient à extraire des gravats.
Au-delà du champ de ruines
Dans cette
tragédie, il ne s’agit plus seulement de politique ni même de guerre : il
s’agit d’un effondrement moral.
Quand des gouvernements négocient des trêves autour des corps, quand la
diplomatie devient une comptabilité macabre, c’est le signe que la guerre a
déjà gagné non seulement sur le terrain,
mais dans les consciences.
Ce que Gaza
révèle aujourd’hui, c’est la faillite collective d’un monde qui tolère que des
civils soient enterrés vivants, que des enfants soient laissés sous les ruines
faute de carburant, et que la mort soit utilisée comme levier diplomatique.
La récupération des corps israéliens est un droit humain fondamental ; la
recherche des disparus palestiniens en est un autre. Tant que ces deux droits
seront hiérarchisés, la paix restera une illusion.
Conclusion : de la dignité des morts à celle des
vivants
Le vrai
défi, désormais, n’est pas seulement de savoir qui a raison ou tort, mais de
savoir si l’on peut encore parler de dignité dans un contexte où même les morts
sont pris en otage.
Reconnaître la souffrance de l’autre sans la comparer, sans la minimiser est peut-être le seul point de départ possible
pour sortir de cette spirale.
Les morts,
tous les morts, méritent le silence du respect, non le vacarme des menaces.
Et tant que la guerre continuera à parler plus fort que la compassion, aucun
cessez-le-feu, si long soit-il, ne pourra faire taire le fracas des
consciences.
Kader Tahri
Chroniqueur engagé, observateur inquiet « Il faut dire les choses comme elles sont, mais refuser qu’elles soient
comme ça. » https://kadertahri.blogspot.com/
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