On nous parle de fractures internes, de mémoire traumatique et de vitalité collective. Mais derrière le mythe de la résilience israélienne, il y a une société qui a intégré l’horreur dans sa normalité et qui, en occultant les Palestiniens, transforme l’indifférence en vertu. Cet article dénonce le récit victimaire israélien, l’endoctrinement et l’effacement systématique des Palestiniens de l’horizon moral. Quand la « joie d’être soi » devient un alibi pour justifier l’inhumain.
On voudrait nous faire croire que la
société israélienne vit dans la complexité, dans la contradiction, dans une
tension noble entre mémoire et désir de vie. On nous raconte l’histoire de ces
pères et fils qui débattent stratégie militaire, de ces amis qui s’imposent de
regarder les massacres pour se rappeler « contre qui » ils se battent, de ces
foules qui remplissent Salons de café, pelouses et plages malgré la guerre. On
cite Deleuze pour donner une dimension philosophique à ce « vivre ensemble » :
la joie d’être soi, l’élan collectif qui résiste à l’abomination.
Mais arrêtons l’hypocrisie. Cette
soi-disant vitalité, cette « joie d’être ensemble », cette insistance sur les
cafés et les plages, n’est pas la preuve d’une grandeur morale. C’est la marque
d’une anesthésie. Car derrière cette façade de normalité, derrière cette
capacité à continuer de vivre, il y a un prix : l’effacement total des
Palestiniens de l’horizon moral israélien.
Une société qui s’habitue à
l’horreur
On nous parle des traumatismes du 7
octobre, des doutes stratégiques des soldats, des fractures internes. Mais
jamais des milliers de civils écrasés sous les bombes à Gaza. Jamais des
familles réduites à chercher de l’eau potable, à enterrer leurs enfants dans le
sable, à survivre dans des ruines. Dans ce récit, la vie israélienne est
multiple, riche, traversée de contradictions. La vie palestinienne, elle,
n’existe pas. Elle est gommée, occultée, comme si elle n’avait jamais compté.
Aucun État internationalement reconnu –
et encore moins une démocratie – n'a infligé d'atrocités aussi vastes et
systématiques à des civils totalement sans défense : bébés, enfants,
mères, médecins, journalistes, etc., tous anéantis avec des armes de nouvelle
génération dans l'une des cages les plus surpeuplées du monde, appelée « le
Labo ». Ce cocktail est tout simplement sans précédent. --- Soit dit en
passant, sous le régime nazi, c'étaient principalement les unités SS Totenkopf
et la division Totenkopf qui faisaient le sale boulot.
Ce n'est pas le cas à Gaza. Ici, ce sont
les soldats de Tsahal – hommes et femmes, citoyens ordinaires, un échantillon
représentatif de la société israélienne. Des jeunes femmes tireuses d'élite,
tirant des balles dans la tête d'enfants ou de femmes enceintes…
Voilà le cœur du problème : une société capable de rire sur la plage pendant que des bombes tombent à quelques kilomètres, et qui érige cette capacité à « vivre malgré tout » en vertu, alors qu’elle n’est que la banalisation de l’inacceptable.
Qu’on ne s’y trompe pas : la «
résilience » dont on nous parle n’est pas neutre. Elle s’appuie sur une
hiérarchie des vies. On se souvient jusqu’à la nausée du 7 octobre, on brandit
le traumatisme comme une identité, mais on refuse obstinément de voir les traumatismes
infligés en retour. On glorifie la mémoire sélective, mais on invisibilise la
souffrance voisine.
Et c’est là que la rhétorique devient
obscène : on cite Deleuze, on convoque la philosophie pour justifier une
société qui, par son silence, par sa normalisation du massacre, s’est habituée
à l’inhumain. On transforme un peuple occupé et bombardé en décor lointain, en
bruit de fond.
La vraie « joie d’être soi » ?
La vraie « joie d’être soi » ne peut pas
se construire sur l’écrasement d’un autre. La joie de Tel-Aviv, les cafés
bondés, les concerts, les plages, tout cela n’est pas un pied de nez à la
barbarie. C’est une manière de rendre invisible la barbarie qu’on inflige.
C’est un aveuglement collectif, une anesthésie morale qui se fait passer pour
résistance.
On s’indigne du retour de
l’antisémitisme en Europe, on se lamente de l’isolement diplomatique, mais on
ne s’interroge jamais sur la cause : l’incapacité à reconnaître l’autre comme
humain. Tant que les Palestiniens ne seront pas vus comme des êtres humains,
tant que leur souffrance sera effacée des récits israéliens et occidentaux, il
n’y aura pas de paix, pas de vérité, pas de justice.
Une société endoctrinée par sa
propre normalité
On dit : « Les Israéliens sont
endoctrinés par le sionisme. » Ce n’est pas faux. Mais l’endoctrinement le plus
insidieux n’est pas seulement idéologique. Il est quotidien. Il est dans le
fait de croire que la normalité israélienne est une normalité universelle.
Qu’il est normal de siroter un café à Tel-Aviv pendant que Gaza brûle. Qu’il
est normal de rire sur la plage pendant que des enfants palestiniens sont
ensevelis sous les gravats. Qu’il est normal de faire passer cette anesthésie
pour une vertu.
Je reconnais que les Israéliens sont
endoctrinés. Je n'irai pas jusqu'à les qualifier de victimes. Victimes de
quoi ? De jouer sur la plage et de savourer du « houmous » en
regardant Gaza bombardée pour le plaisir ? Mais ils sont endoctrinés au
détriment du programme sioniste, on leur apprend que leur traumatisme historique
leur donne droit à tout ce qui est nécessaire pour accéder aux terres où vivent
d'autres, coûte que coûte.
Jusqu'où les fascistes israéliens
peuvent-ils aller ? Extermination massive, famine massive. Le statut de
victime sans fin a expiré.
On se sert des souffrances, tout à fait
réelles, des Palestiniens de Gaza et des injustices et violences commises en
Cisjordanie comme une excellente occasion de crier sa haine, et ceux qui
braillent ne s'intéressent pas aux Palestiniens, qu'on ne voit pas comme des
êtres humains et qu'on méprise.
Il faut tenir compte de ce qui n'est pas
ni vrai ni rationnel, la haine, le désir de torturer et d'assassiner, l'
immoralité et l'absurde fièrement revendiquées, le mépris de tout ce qui n'est
pas Européen, regardé comme un enfant ou une bête, toujours irresponsable. Ce
n'est ni vrai ni rationnel, mais ces idées et ces émotions sont réelles. Des
idées absurdes peuvent être des forces historiques.
Voilà la vraie perversion : faire de
l’aveuglement une force, de l’indifférence une sagesse, de l’oubli une identité
nationale.
Conclusion : la normalité comme
complicité
On peut multiplier les récits, montrer
les divisions, les débats, les fractures au sein de la société israélienne.
Mais si tout cela se fait sur fond d’effacement de l’autre, si tout cela se
fait en invisibilisant la souffrance palestinienne, alors il ne s’agit pas de
complexité, mais de mensonge.
La vérité est brutale : Israël a réussi
à se construire une identité collective où la joie et la fête coexistent avec
la guerre et l’occupation — non pas par grandeur morale, mais par anesthésie
volontaire. Et tant que cette anesthésie sera célébrée comme une vertu,
l’abomination pourra continuer, sans fin.
Kader Tahri
Chroniqueur engagé, observateur inquiet
« Il faut dire les choses comme elles sont, mais refuser qu’elles soient comme
ça. »

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