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Le sionisme d’Israël : entre réforme, dépassement et remise en cause

 

Introduction : Depuis plus d’un siècle, le sionisme est au cœur des débats sur l’avenir du peuple juif, la légitimité d’Israël et la place des Palestiniens. Conçu à l’origine comme un projet d’émancipation et de refuge face à l’antisémitisme européen (Herzl, Der Judenstaat, 1896), il est aujourd’hui critiqué pour ses dérives nationalistes et exclusives. Le livre d’Uri Avnery, Israël sans les sionistes (1968), illustre la nécessité d’interroger cette idéologie à la lumière de ses résultats et de ses contradictions internes.

Cet article examine les tensions entre judaïsme, sionisme et Israël, en analysant l’impact du sionisme sur la société israélienne, sur la diaspora juive et sur l’antisémitisme contemporain. La question centrale sera posée : faut-il réformer le sionisme, le dépasser, ou le supprimer ?

Le sionisme : entre idéal fondateur et contradictions internes : Le sionisme, dans sa version initiale, avait pour objectif moral de créer une patrie pour le peuple juif en Palestine. La Déclaration d’indépendance d’Israël en 1948 illustre cet idéal, en affirmant l’égalité complète des droits « sans distinction de religion, de race ou de sexe » (Shlaim, 2014). Cette vision laïque et pluraliste se voulait une garantie contre la domination religieuse et contre toute hiérarchie entre citoyens.
Cependant, les travaux des « nouveaux historiens » israéliens, tels qu’Ilan Pappé (The Ethnic Cleansing of Palestine, 2006) ou Benny Morris (1948 and After, 1990), montrent que la création de l’État s’est accompagnée de déplacements forcés de populations palestiniennes. Ainsi, d’un refuge pour les Juifs persécutés, le sionisme est devenu une idéologie nationale qui, selon ses critiques, tend à légitimer la marginalisation, voire l’expulsion des populations locales.

Israël, la diaspora et l’antisémitisme : L’un des arguments majeurs en faveur du sionisme fut sa fonction protectrice face aux persécutions. Pour les Juifs chassés d’Europe centrale ou du Moyen-Orient (par exemple les communautés d’Irak et d’Iran), Israël a effectivement représenté un refuge (Sasson, The Forgotten Exodus, 2010).
En revanche, pour une large partie de la diaspora, Israël n’a joué qu’un rôle limité dans la lutte contre l’antisémitisme. Comme l’explique Judith Butler (Parting Ways: Jewishness and the Critique of Zionism, 2012), l’État israélien tend à répondre à l’antisémitisme par un nationalisme renforcé plutôt que par des alliances avec d’autres groupes opprimés.
De plus, l’identification systématique entre Israël et la totalité du peuple juif contribue parfois à nourrir de nouvelles formes d’antisémitisme. Brian Klug (2003) distingue ici entre un antisémitisme « classique » (lié aux stéréotypes sur les Juifs) et un « antisémitisme par association », lié à la politique israélienne.

Faut-il réformer, dépasser ou supprimer le sionisme ?

a) Réformer le sionisme: Shlomo Avineri (The Making of Modern Zionism, 1981) souligne la diversité historique du sionisme : socialiste, révisionniste, religieux, culturel. Pour certains, il est donc possible de le réformer en revenant à ses racines pluralistes et en garantissant l’égalité des citoyens. C’est la position de penseurs comme Amos Oz (In the Land of Israel, 1983). Toutefois, l’emprise croissante des courants religieux-nationalistes rend cette réforme difficile.

b) Dépasser le sionisme : Les théoriciens du post-sionisme, tels que Uri Ram (The Changing Agenda of Israeli Sociology, 1995) et Gershon Shafir (Land, Labor and the Origins of the Israeli-Palestinian Conflict, 1989), soutiennent que le sionisme a rempli sa fonction historique et doit céder la place à un cadre politique où la citoyenneté ne serait plus fondée sur l’appartenance ethno-religieuse. Dépasser le sionisme ne signifie pas abolir Israël, mais envisager une société post-nationale et inclusive.

c) Supprimer le sionisme : Pour d’autres auteurs, notamment Edward Said (The Question of Palestine, 1979) et Ilan Pappé, le sionisme est une idéologie coloniale intrinsèquement exclusive et incompatible avec la justice. Dans cette perspective, il devrait être aboli, comme l’apartheid en Afrique du Sud. La solution avancée est celle d’un État unique, démocratique et non confessionnel. Toutefois, cette position reste perçue par la majorité des Juifs comme une menace existentielle.

La diaspora et les stratégies alternatives Historiquement, les communautés juives en diaspora ont développé des stratégies de coexistence et d’alliance avec d’autres groupes marginalisés. Aux États-Unis, les travaux de Cheryl Greenberg (Troubling the Waters: Black-Jewish Relations in the American Century, 2006) montrent que les Juifs ont été actifs dans le mouvement des droits civiques. Aujourd’hui encore, des mouvements juifs progressistes (Jewish Voice for Peace, IfNotNow) plaident pour une solidarité avec les Palestiniens et d’autres minorités, en opposition à une vision exclusivement nationaliste.

Conclusion Le sionisme a répondu à un impératif historique — offrir un refuge aux Juifs persécutés. Mais ses développements contemporains révèlent une tension profonde entre son idéal fondateur d’égalité et la réalité de l’exclusion des Palestiniens. Trois voies se dessinent : le réformer pour le rendre inclusif, le dépasser vers un modèle post-sioniste, ou le supprimer en faveur d’un État démocratique unique. Chacune comporte des avantages et des limites, tant sur le plan moral que politique. Le défi reste de concilier la sécurité et l’autodétermination juives avec la reconnaissance pleine et entière des droits palestiniens. Ce débat conditionnera l’avenir non seulement d’Israël et de la Palestine, mais aussi celui de la diaspora juive et de ses relations avec le monde.

Kader Tahri
Chroniqueur engagé, observateur inquiet
« Il faut dire les choses comme elles sont, mais refuser qu’elles soient comme ça. »

https://kadertahri.blogspot.com/


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