Un tag “Free Gaza” sur une plaque commémorative choque, indigne, divise. Mais au-delà du geste, c’est son utilisation médiatique et politique qui interroge : comment un graffiti devient-il une arme d’instrumentalisation, brouillant mémoire et débat public
À chaque fois qu’un tag apparaît sur une
synagogue, une plaque commémorative ou un monument, deux réflexes
s’entrechoquent : la condamnation immédiate et l’accusation de complotisme.
D’un côté, certains y voient une preuve renouvelée de la persistance de la
haine antisémite. De l’autre, certains soupçonnent un “faux drapeau”, une mise
en scène destinée à choquer l’opinion, provoquer une indignation sélective et
couper court à toute critique d’Israël.
C’est une arme rhétorique, pas un argument. il faut sortir de ce piège.
Car la réalité est double :
·
Oui, ces tags existent, et
ils sont une offense réelle, une blessure faite à la mémoire ou à une
communauté.
·
Mais oui aussi, certains de
ces actes peuvent être instrumentalisés. Ils deviennent alors
non plus seulement un crime isolé, mais un outil rhétorique : ils permettent de
disqualifier toute voix critique en l’associant à l’antisémitisme, et
d’interrompre le débat avant même qu’il n’ait lieu.
C’est cette mécanique qu’il faut dénoncer. Les
théories du complot ont tort quand elles réduisent chaque événement à une
manipulation globale et machiavélique. Mais elles posent malgré elles une
question légitime :
Qui bénéficie de la diffusion massive d’un slogan haineux ?
Pourquoi un tag, qui pourrait être effacé en
quelques secondes, devient-il soudain la une des médias ?
Le problème n’est pas de condamner l’acte – il
doit l’être sans ambiguïté. Le problème est de voir comment la
surmédiatisation transforme une provocation marginale en arme politique
centrale. Le problème est quand une inscription de trois mots sur un
mur pèse plus lourd dans l’espace public que des centaines de morts civils dans
une guerre.
Quel charivari de mensonges
honteux ! Des milliers de Palestiniens sont massacrés non seulement à
Gaza, mais aussi en Cisjordanie. Je suppose que les colons ont de bonnes
intentions pacifiques, n'est-ce pas ? Honte à vous de soutenir ces crimes.
Cela n'a fait que dévaloriser ces
termes, tout comme le terme antisémite est devenu vide de sens. Hélas. Et
pourtant, la plupart des Israéliens refusent de voir les preuves qui se
présentent à eux. Israël et ses citoyens commettent un génocide ! Faut-il
être aveugle ?
Tous à 86% d'antisémites je présume ?
Qu'est-ce qui pourrait expliquer cela d'autre, n'est-ce pas ?
Ainsi, parler de “faux drapeau” ne doit pas nous
enfermer dans une vision complotiste. Il faut plutôt comprendre que, quelle que
soit l’origine de ces tags, leur impact réel vient de la manière dont ils sont utilisés
: non pas pour ouvrir un débat, mais pour le verrouiller.
Au fond, certains “voient des complots partout”.
Mais d’autres, à l’inverse, refusent de voir la moindre instrumentalisation.
Ces deux aveuglements se rejoignent dans leur incapacité à penser la
complexité.
La voie juste est ailleurs :
·
condamner fermement tout
acte antisémite,
·
mais refuser que cette
condamnation serve de prétexte pour délégitimer toute critique d’un État ou
pour hiérarchiser les indignations.
Ce n’est pas être complotiste que de rappeler
qu’un tag sur une plaque ne doit pas occulter des crimes de guerre. C’est plus
manipulateur de dire qu’un hôpital détruit ou une école bombardée méritent
autant, sinon davantage, d’indignation publique qu’un graffiti, aussi ignoble
soit-il. On peut pleurer les enfants de Gaza sans banaliser Auschwitz. Refuser
l’un ne signifie pas nier l’autre. Les vraies luttes de justice ne s’opposent
pas : elles s’additionnent et surtout refuser de choisir entre les victimes.
Bref :
·
Oui, les complots
imaginaires existent, et ils enferment ceux qui s’y perdent.
·
Mais oui aussi,
l’instrumentalisation existe, et la lucidité consiste à la dénoncer sans céder
au soupçon généralisé.
Aux indignés sélectionnés, vous êtes
toujours prompts à vous indigner pour une plaque de marbre taguée, qu’un peu
d’eau et un chiffon suffiraient à nettoyer mais jamais pour la destruction de
dizaines d’hôpitaux ou d’écoles, pourtant essentiels à des millions de vies.
Aux indignés sélectionnés, vous êtes
toujours prompts à vous émouvoir pour un arbre abattu, qui, lui, repoussera,
plutôt que pour la mort de dizaines de milliers d’innocents, à commencer par
des enfants.
Aux indignés sélectionnés vous êtes
toujours prompts à dénoncer quelques inscriptions sur des murs encore debout,
mais pas la destruction entière d’une région, pas la colonisation d’un peuple
tout entier, jamais pour l’occupation d’un pays.
Aux indignés sélectionnés vous êtes
toujours prompts à vous offusquer de quelques paroles déplacées, voire
blessantes, mais jamais de celles accompagnées d’actes visant à l’éradication
d’un peuple.
Aux indignés sélectionnés vous êtes
toujours prompts à crier au danger face à la destruction hypothétique d’un État
nucléaire, mais silencieux face aux actes qui visent à effacer jusqu’à l’idée
même qu’un peuple opprimé puisse un jour obtenir son indépendance sur la terre
qui est la sienne.
Aux indignés sélectionnés vous êtes,
définitivement, une imposture. Des opportunistes qui instrumentalisent la peur
et la mémoire de la Shoah pour justifier une entreprise coloniale au-delà de vos
frontières.
Aux indignés sélectionnés vous vous
obstinez à associer les juifs à Israël dans vos discours tel des racistes
voudraient associer tous les allemands aux Nazis
La dignité humaine exige mieux que
des slogans. Elle demande d’être capable d’indignation double : pour un mur
profané ici, pour une école bombardée là-bas. Pour des enfants assassinés hier,
comme pour des enfants massacrés aujourd’hui.
Ce n’est qu’à ce prix – en refusant
les amalgames, en tenant ensemble les mémoires, en refusant la hiérarchie des
souffrances – que nous serons fidèles à ce que nous prétendons défendre : la
justice, la vérité et l’humanité.
Refuser les faux dilemmes, refuser les amalgames,
refuser les indignations sélectives : c’est la seule manière de rendre justice
à toutes les victimes, ici comme ailleurs.
Kader Tahri
Chroniqueur engagé, observateur inquiet
« Il faut dire les choses comme elles sont, mais refuser qu’elles soient comme
ça. »
https://kadertahri.blogspot.com/
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