Introduction : La relation entre l’Algérie et la
France reste l’un des points aveugles du débat politique français. À chaque
alternance, certains Algériens espèrent que la gauche française représentera un
partenaire plus sincère que la droite. Mais cette illusion, persistante depuis
les années 1980, n’a cessé de se heurter aux faits : qu’elle soit habillée de
promesses socialistes ou d’un discours républicain musclé, la politique
française à l’égard de l’Algérie reste fondamentalement coloniale.
Comme l’a
montré Benjamin Stora (1991), la mémoire de la guerre d’Algérie est refoulée en
France, mais jamais dépassée. Ce refoulé produit une constante : une hostilité
de fond, parfois brutale à droite, plus subtile à gauche, mais toujours
présente. C’est cette hypocrisie structurelle que nous proposons d’analyser :
une France qui ne comprend que la force, une gauche qui masque son poison
derrière un peu de miel, et une diplomatie qui trahit la continuité coloniale
jusque dans ses gestes symboliques.
La gauche française : le
poison sous le miel : L’illusion d’une gauche française « amie » de l’Algérie a été démentie par
l’histoire. François Mitterrand en est l’illustration parfaite : célébré à son
arrivée au pouvoir en 1981 comme porteur d’un nouvel espoir, il n’était autre
que l’ancien ministre de l’Intérieur responsable de la répression coloniale
dans les années 1950. Comme le rappelle Todd Shepard (2006), la gauche au
pouvoir en 1981 n’a nullement amorcé une rupture mémorielle ou politique avec
l’héritage colonial.
Aujourd’hui,
les postures de Jean-Luc Mélenchon ou de figures médiatisées comme Rima Hassan
ne changent rien au fond : derrière un discours progressiste ou anticolonial de
façade, l’Algérie reste perçue comme un objet de gestion diplomatique, non
comme un partenaire égal. L’hypocrisie est constante : adoucir le ton pour
mieux défendre les mêmes intérêts.
La droite et
l’extrême droite, elles, n’ont pas ce souci : elles disent ouvertement leur
hostilité. Mais sur le plan des politiques concrètes — migrations, commerce, diplomatie
— la différence reste minime.
La France ne comprend que la
force : Un constat
s’impose : en 132 ans de colonisation comme depuis l’indépendance, Paris n’a
jamais cédé par « gentillesse ». C’est la guerre de libération, menée par le
FLN et payée au prix de centaines de milliers de morts, qui a contraint la
France à partir. Comme l’écrit Mohammed Harbi (2004), « l’État colonial n’a
jamais reconnu ses crimes de lui-même, il n’a reculé que devant l’échec
militaire et la faillite politique ».
Aujourd’hui
encore, l’Algérie ne se fait respecter que lorsqu’elle adopte une ligne dure :
réduction de l’usage du français, diversification des partenariats vers la
Chine, la Russie, ou la Turquie, et fermeté mémorielle. Ces gestes irritent
Paris, mais c’est précisément parce qu’ils affirment la souveraineté algérienne
qu’ils obligent la France à écouter.
L’histoire
le rappelle : ce sont des soldats algériens qui ont libéré Marseille et la
Provence en 1944, alors que l’armée française s’était effondrée en deux semaines
en 1940. Dire aux Algériens « rentrez chez vous » relève donc de l’amnésie :
les Algériens ne sont pas des intrus en France, ils en ont écrit une page
essentielle. Ce rappel historique agit comme une arme polémique mais légitime :
il déconstruit le récit d’une France « généreuse » qui aurait accueilli ses
anciens colonisés, alors qu’elle leur doit sa propre survie.
Héritages coloniaux : du
pillage au Sahara occidental : L’histoire coloniale n’est pas un passé clos. La
France est venue en Algérie « sans visa », par la force des armes, en
massacrant et pillant les ressources (Le Cour Grandmaison, 2005). Le mouvement
migratoire algérien vers la France après 1962 n’a rien d’un « envahissement » :
il est le prolongement direct de cette histoire coloniale, comme l’a montré
Abdelmalek Sayad (1999). Les Algériens en France ne volent rien : ils
travaillent, cotisent, et contribuent.
Les gestes
diplomatiques récents confirment la persistance d’une logique coloniale. Ces gestes nourrissent une conviction largement
partagée en Algérie : la France n’a jamais digéré sa défaite de 1962 et
continue de cultiver un imaginaire impérial. C’est pourquoi l’idée de
réparations, de reconnaissance et même d’excuses publiques refont surface, non
comme une provocation, mais comme une nécessité pour solder l’histoire.
Force, mémoire combattante et stratégies
algériennes: L’histoire
des relations franco-algériennes semble confirmer une constante : la France ne
comprend et ne respecte que la force. Déjà, lors de la Révolution française, la
logique de l’insurrection violente fut glorifiée comme unique voie vers
l’émancipation. De la même manière, ce n’est pas la négociation mais bien la
guerre de libération menée par le FLN qui a contraint Paris à quitter l’Algérie
en 1962 (Shepard, 2008 ; Stora, 1991).
Ce constat
structure encore aujourd’hui les choix stratégiques de l’État algérien. Face
aux ambiguïtés françaises, Alger a multiplié les signaux de distanciation :
réduction de l’usage du français dans l’enseignement et l’administration
(Grandguillaume, 2004), ouverture diplomatique et économique vers la Chine, la
Turquie, la Russie et l’Afrique subsaharienne. Loin d’être anecdotiques, ces
décisions s’inscrivent dans une logique de souveraineté linguistique et
géopolitique, interprétée comme la seule « langue » que Paris comprenne.
Cette
dynamique résonne particulièrement avec la mémoire de la diaspora algérienne en
France. Nombre de travailleurs algériens et maghrébins ont participé à la
Résistance et à la Libération de la France en 1944, notamment dans les combats
de Provence et de Marseille (Pervillé, 2002 ; House & MacMaster, 2006). Ces
contributions, pourtant décisives, sont largement occultées par les récits
nationaux français, qui préfèrent insister sur l’humiliation de la défaite de
1940 ou sur le rôle exclusif de la Résistance française. Ce refoulement
mémoriel produit une contradiction criante : des Algériens ont versé leur sang
pour libérer la France, alors que leurs descendants sont aujourd’hui sommés de
« rentrer chez eux ».
Ainsi, la
mémoire combattante des Algériens en France, conjuguée à la stratégie
d’autonomisation d’Alger, dessine une leçon de réalisme politique : tant que
Paris refusera de reconnaître pleinement cette histoire partagée et
douloureuse, il se heurtera à une Algérie décidée à faire de la force et de
l’indépendance ses principaux instruments de dialogue.
Héritages
coloniaux et continuité symbolique : La conquête et la colonisation de l’Algérie par la
France (1830-1962) furent marquées par une violence systématique : massacres de
masse, spoliations foncières et accaparement des richesses. Les travaux de
Benjamin Stora (1991), Olivier Le Cour Grandmaison (2005) et Sylvie Thénault
(2012) ont montré comment l’administration coloniale mit en œuvre une politique
d’expropriation, justifiée par un discours de « mission civilisatrice », mais
qui reposait en réalité sur la dépossession et l’exploitation. Des villages
entiers furent rasés, les terres les plus fertiles confisquées au profit des
colons européens, et des générations d’Algériens réduits à l’indigénat.
C’est dans
ce contexte historique qu’il faut comprendre le retournement des mobilités :
alors que les colons français se sont installés en Algérie sans « visa »,
imposant leur présence par la force, ce sont aujourd’hui des générations
d’Algériens et de Maghrébins qui vivent en France, non pas en envahisseurs mais
comme travailleurs, citoyens et acteurs sociaux. Cette « inversion des flux »
est perçue par certains comme une injustice, alors qu’elle illustre en réalité
une logique de réciprocité historique, ce que l’anthropologue Abdelmalek Sayad
(1999) appelait la « double absence » : l’immigré est à la fois produit de
l’histoire coloniale et victime de son refoulement mémoriel.
Loin
d’appartenir au passé, ces héritages coloniaux réapparaissent sous des formes
symboliques contemporaines. La polémique récente autour d’une carte brandie par
l’ambassadeur de France au Maroc — représentant un « Grand Maroc » englobant
l’Ouest algérien, le Sahara occidental et la Mauritanie — révèle la persistance
d’un imaginaire colonial dans la diplomatie française. Comme l’ont montré
Zoubir (2010) et Mundy (2020), la question du Sahara occidental reste un
terrain d’ambiguïtés où Paris oscille entre soutien à Rabat et neutralité
affichée, au détriment de la reconnaissance des droits des peuples à disposer
d’eux-mêmes.
Ce geste
diplomatique, loin d’être anodin, renvoie à une continuité symbolique : la
négation des frontières, la remise en cause de la souveraineté algérienne et
l’aveuglement face aux traumatismes de la colonisation. Il alimente l’idée
largement répandue en Algérie que, malgré les discours officiels de
réconciliation, la France n’a jamais véritablement rompue avec ses réflexes
impériaux.
Conclusion :
La relation
franco-algérienne est moins marquée par des alternances politiques que par une
constante : l’incapacité de la France à rompre avec ses réflexes coloniaux. La
droite assume son hostilité, la gauche la maquille sous un vernis progressiste,
mais le fond demeure le même : préserver les intérêts français et nier la
souveraineté algérienne.
L’Algérie,
forte de son histoire, a compris que la seule voie crédible reste celle de la
fermeté et de l’autonomie. La mémoire des massacres, des pillages, mais aussi
de la libération de Marseille par des soldats algériens, rappelle que la
relation franco-algérienne n’est pas unilatérale, mais bâtie sur une dette
historique que la France refuse encore de reconnaître.
Peut-être
qu’un jour, comme le suggère une ironie polémique, les héritiers de cette
histoire viendront demander pardon en arabe classique, tout en assumant les
réparations dues. Mais d’ici là, une certitude demeure : l’Algérie
n’obtiendra rien par la supplication, seulement par la force et la fermeté.
Kader Tahri
Chroniqueur engagé, observateur inquiet
« Il faut dire les choses comme elles sont, mais refuser qu’elles soient comme
ça. »
https://kadertahri.blogspot.com/

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