« La différence entre un antisioniste et un antisémite, c’est
80 points de QI », dit l’auteur de cette tribune.
Très
inspirant cet aphorisme, voilà qui plante le décor.
Depuis
quelques temps, j’ai lu et entendu des
textes comme celui-ci. Des charges furieuses contre Israël, écrites sur un ton
qui fait trembler les claviers. Le dernier en date m’a interpellé, non pas
parce qu’il me choquait, mais parce qu’il me posait une vraie question :
Peut-on
critiquer Israël sans être englouti par la colère ?
Peut-on le
faire sans glisser dans le piège du simplisme ?
L’auteur
commence fort : il affirme que l’existence d’Israël lui est, au fond,
indifférente. Ce n’est pas l’entité elle-même qui l’obsède, dit-il, mais ses
actions. Ce n’est pas le nom d’un pays qui l’enrage, mais les humiliations
infligées aux Palestiniens. En somme, il ne hait pas Israël ; il hait
l’injustice.
Sur ce
point, je le rejoins. Oui, il est moralement intenable de détourner le
regard de ce que vivent les Palestiniens. L’occupation, les bombardements
récurrents à Gaza, les colonies qui grignotent chaque jour davantage de terre,
les checkpoints, les arrestations arbitraires, les morts sans nom. Il n’est pas
besoin d’être musulman, arabe ou militant pour ressentir une colère sourde face
à ce déséquilibre, face à cette guerre d’usure contre un peuple sans État.
Refuser de voir cela, c’est trahir une part de notre humanité commune.
Mais voilà :
entre colère et lucidité, il y a un fil ténu. Et le texte que j’ai lu,
malgré son énergie, me semble parfois marcher sur ce fil les yeux fermés.
Ce que je
cherche, moi, dans ces débats et ce que j’essaie de préserver – c’est la
nuance. Celle qui permet de critiquer une politique sans nier un peuple.
Celle qui fait la différence entre une indignation juste et une haine aveugle.
Celle qui se rappelle que derrière "Israël", il y a aussi des civils,
des artistes, des intellectuels, des dissidents juifs et arabes, des gens qui
souffrent eux aussi, parfois même des deux côtés d’un même mur.
L’auteur
trace une ligne claire entre antisionisme (rejet d’un projet politique)
et antisémitisme (haine raciale). Il a raison de faire cette
distinction. Trop souvent, le débat est pollué par la confusion volontaire : on
accuse tout critique d’Israël d’être antisémite, comme si le seul moyen
d’éviter l’insulte était de se taire. Ce chantage moral est insupportable. Mais
l’inverse existe aussi : certains, sous couvert d’antisionisme, glissent
vers un rejet global des Juifs, ou vers une banalisation des appels à la
destruction d’un État. Et cela, je ne peux l’accepter non plus.
Il y a un passage qui m’a vraiment fait tiquer :
"Le droit d’exister d’Israël s’arrête exactement là où commence celui des
Palestiniens." La formule est choc. Elle se veut une dénonciation des
oppressions israéliennes, qui s’opèrent afin que les deux droits restent
totalement incompatibles à la vision sioniste.. Que
pour que l’un vive, l’autre doit mourir.
Or c’est précisément
cette logique de l’exclusivité, ce jeu à somme nulle, qui alimente la
tragédie depuis des décennies.
Je suis pour
la Palestine, sans condition. Je suis pour qu’elle vive libre, digne, debout.
Mais je ne veux pas d’un monde où cette liberté serait construite sur la
disparition de l’autre. Ce que je réclame, ce n’est pas une vengeance
historique, mais une coexistence possible, aussi lointaine, aussi utopique
qu’elle paraisse aujourd’hui.
Car il faut
le dire : le problème n’est pas seulement Israël. Le problème, c’est aussi
l’impossibilité du récit commun. Deux peuples, deux mémoires blessées, deux
légitimités qui s’affrontent. Et à chaque fois qu’un texte, une tribune ou une
parole renforce le camp contre l’autre, ce récit commun s’éloigne un peu plus.
Je ne dis
pas qu’il faut rester neutre, ni qu’il faut "équilibrer" les
souffrances comme on fait une moyenne. Mais je dis que notre responsabilité,
en tant qu’intellectuels, citoyens, écrivains, ou simples humains, c’est de refuser
le confort de la haine. Même quand elle est bien habillée.
Alors oui,
critiquer Israël est non seulement légitime, mais nécessaire. Mais critiquer
sans tomber dans le fantasme, c’est une discipline. Cela demande plus de
courage que l’invective. Cela demande de résister à la tentation du raccourci.
Et surtout, cela demande de penser un avenir au lieu de ressasser une guerre
éternelle.
Israël me
dérange, comme me dérangent tous les États quand ils oublient le droit, quand
ils humilient, quand ils tuent. Mais je ne veux pas que ma colère me vole ma
lucidité. Et je refuse de confier ma conscience politique à ceux qui
confondent justice et vengeance.
Tant que les
Palestiniens ne seront pas libres, je continuerai à parler. Mais tant que la
parole sert à diviser plus qu’à construire, je continuerai à douter. Parce que
dans ce conflit, l’arme la plus dangereuse n’est pas toujours le missile.
Parfois, c’est le mot.
Kader Tahri
Citoyen du monde, observateur inquiet, partisan de la paix sans œillères.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire