L’abstention
de la Russie et de la Chine lors du récent vote au Conseil de sécurité des
Nations unies a suscité un profond sentiment d’amertume parmi ceux qui
espéraient voir ces deux puissances s’opposer frontalement à une résolution
jugée injuste envers le peuple sahraoui.
Cette réaction est légitime. Elle traduit la déception d’une opinion attachée à
l’idée que certaines nations — dites “alliées” — demeurent fidèles à leurs
engagements moraux envers les peuples en lutte pour leur autodétermination.
Mais la
déception, aussi forte soit-elle, ne doit pas nous aveugler. Car la politique
internationale n’est ni un espace de fraternité ni de fidélité affective. C’est
le champ dur et froid des intérêts, où chaque État agit d’abord pour lui-même.
Et si cette vérité peut paraître crue, elle n’en est pas moins nécessaire à
intégrer pour bâtir une diplomatie algérienne pleinement souveraine.
Accuser la
Russie et la Chine d’avoir “abandonné” l’Algérie ou le peuple sahraoui, c’est
méconnaître la nature du rapport de force au sein du Conseil de sécurité.
L’usage du veto est un acte diplomatique majeur, réservé aux enjeux considérés
comme vitaux pour les puissances concernées. En s’abstenant, Moscou et Pékin
n’ont pas validé la résolution américaine ; ils ont simplement refusé de s’y
opposer frontalement. Cette nuance compte, car elle révèle une stratégie
d’équilibre — contestable certes, mais non équivalente à une approbation.
Si la Chine
ou la Russie, ou même les deux à la fois, avaient opposé leur veto à cette
résolution, elles savaient que ce geste aurait entraîné la disparition
immédiate de la MINURSO, puisque le texte portait principalement sur la
prolongation de son mandat.
Or, un veto à ce stade aurait signifié la fin du mécanisme onusien, ce que réclament
depuis longtemps les partisans marocains.
Et que se
passerait-il alors ? Plus de MINURSO, donc plus de référendum du peuple
sahraoui.
En veillant
à préserver l’existence de la MINURSO, même au prix d’une abstention, la Russie
et la Chine ont choisi de maintenir vivant le cadre juridique et diplomatique
du processus d’autodétermination.
Tant que la mission existe, il reste possible d’influer sur son orientation, de
négocier, et, le moment venu, de faire usage du veto au terme du processus si
le résultat s’avérait contraire au droit international. C’est à ce dernier
stade que l’emploi du veto est stratégique, non en amont. Ce que certains
perçoivent comme un renoncement peut être, en réalité, une manœuvre pour garder
la main sur le futur du dossier sahraoui.
L’Algérie n’a pas à choisir entre la solitude et la
soumission
Face à la
domination occidentale et à la passivité parfois calculée des puissances
orientales, l’Algérie n’a pas vocation à se replier sur elle-même. Se recentrer
sur son développement national, oui ; renoncer à sa voix internationale,
jamais.
Notre pays a
toujours défendu les causes justes, non par opportunisme, mais par conviction.
De la lutte contre l’apartheid à la reconnaissance de la Palestine, en passant
par le soutien constant au peuple sahraoui, l’Algérie a fait entendre une voix
singulière : celle des peuples libres. Ce positionnement n’est pas une
faiblesse ; c’est un héritage et une force morale qui ont valu à l’Algérie
respect et considération sur la scène mondiale.
Plutôt que
de rompre avec ses partenaires, l’Algérie doit diversifier ses
alliances, notamment au sein de l’Afrique, du monde arabe et du Sud global. Un
monde multipolaire ne se construira pas sur des fidélités idéologiques, mais
sur la coopération équilibrée entre nations souveraines.
Le soutien au peuple sahraoui : un principe, pas une
option
L’abstention
de Pékin et de Moscou ne change rien à la légitimité du droit du peuple
sahraoui à l’autodétermination. Le Sahara occidental reste une question de
décolonisation inachevée, inscrite depuis 1963 sur la liste des territoires non
autonomes de l’ONU. Ce n’est ni une affaire bilatérale, ni une question
d’influence régionale : c’est un combat pour le respect du droit international.
L’Algérie
n’a jamais défendu le Polisario par intérêt territorial ou rivalité avec le
Maroc, mais par fidélité à un principe universel : celui du droit des
peuples à disposer d’eux-mêmes. Renoncer à ce principe reviendrait à trahir
notre propre histoire de libération.
L’indépendance
ne se mendie pas, elle se construit
Il serait
illusoire de croire que quiconque viendra défendre l’Algérie en cas de crise.
L’expérience des dernières décennies, de l’Irak à la Libye, a démontré que
chaque nation doit d’abord pouvoir compter sur ses propres forces.
Mais cela ne
signifie pas se replier dans un isolement défensif. Cela veut dire investir
dans la puissance : une économie productive, une souveraineté technologique,
une diplomatie proactive et une unité nationale solide.
L’Algérie ne doit pas “laisser les peuples à leur destin”, comme le propose la
résignation ; elle doit au contraire montrer la voie d’une indépendance
active, d’une solidarité lucide et d’une coopération équitable.
Transformer
la désillusion en stratégie
La colère
contre la Russie et la Chine, aussi compréhensible soit-elle, ne doit pas se
muer en fatalisme. Elle doit être le point de départ d’une réflexion
stratégique : comment bâtir une politique étrangère réellement indépendante,
capable de dialoguer avec toutes les puissances sans jamais se soumettre à
aucune ?
L’Algérie
doit défendre ses intérêts avec dignité, non avec dépendance. Elle doit
rester fidèle à sa mission historique : celle de faire entendre la voix du Sud,
d’incarner la résistance à toutes les formes de domination et de rappeler que
la justice internationale ne se quémande pas, elle se conquiert.
Conclusion
L’heure n’est pas à la rupture, mais à la lucidité. La
Russie et la Chine ont agi selon leurs calculs ; l’Algérie doit agir selon sa
conscience.
Notre pays n’a jamais attendu l’autorisation des puissances pour défendre la
liberté. Il ne le fera pas davantage aujourd’hui.
Le monde
change, les alliances se déplacent, les intérêts se recomposent — mais les
principes demeurent.
Et c’est à la fidélité à ces principes que l’Algérie doit sa grandeur passée et
sa légitimité présente. Que cette déception serve donc, non à nous diviser,
mais à nous rappeler que la véritable puissance d’une nation réside dans sa
capacité à rester fidèle à elle-même.
A/Kader
Tahri / Chroniqueur engagé, observateur inquiet
« Il faut dire les choses comme elles sont, mais refuser qu’elles soient
comme ça. » https://kadertahri.blogspot.com/

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