Il est des
textes qui, tout en exprimant une colère légitime, révèlent la profondeur d’un
malentendu. Celui intitulé « Pourquoi cette haine maladive contre le Maroc ?
» en fait partie.
Écrit dans un ton passionné, il dit la douleur d’une partie de la société
marocaine face à ce qui est perçu comme une hostilité persistante de l’Algérie.
Mais au-delà de cette émotion, il illustre aussi combien nos peuples sont
prisonniers d’un récit qui, depuis soixante ans, oppose artificiellement deux
nations sœurs.
Avant de
lancer ma réponse, je constate que l’analyse du texte en question me permet de
dire que :
L’auteur
pose la question : « Pourquoi cette haine maladive contre le Maroc ? »
Mais en réalité, ce n’est pas une question ouverte : il part d’un postulat
— celui que l’Algérie (ou ses dirigeants) nourrit une haine obsessionnelle
et injustifiée envers le Maroc. Le texte cherche donc moins à comprendre
qu’à dénoncer et convaincre.
Le texte
repose sur une rhétorique morale et fraternelle : Le Maroc est présenté comme un
frère bienveillant, un soutien historique, pacifique et loyal.
L’Algérie officielle, elle, est dépeinte comme ingrate, hostile, endoctrinée,
voire malade de haine.
Cette
approche vise à rallier l’émotion du lecteur marocain et à culpabiliser
le lecteur algérien. (Ce que je
dénonce fortement)
Mais elle risque de fermer le dialogue, car elle part d’un jugement
plutôt que d’une recherche mutuelle de compréhension.
L’auteur
rappelle à juste titre : Le soutien marocain à la guerre d’indépendance
algérienne. Le conflit du Sahara comme élément déclencheur de la
discorde. La fermeture des frontières, la rupture diplomatique et
la campagne médiatique hostile.
Mais il omet
: La guerre des sables (1963), vécue par les Algériens comme une
agression. Les revendications territoriales marocaines post-indépendance,
perçues en Algérie comme une trahison. Le rôle des puissances étrangères
(France, États-Unis, URSS, puis aujourd’hui Israël et la Russie) dans
l’alimentation de la rivalité.
Ce biais
de sélection historique rend le texte partisan : il vise à
convaincre que la faute est uniquement du côté algérien.
Cette
oscillation traduit une tension entre colère et désir de réconciliation.
Mais en associant sans nuance « les Algériens » à « leur
régime », l’auteur efface la diversité d’opinions qui existe en
Algérie — notamment chez les jeunes, les intellectuels et les militants
pacifistes.
L’objectif
du texte est politique et identitaire : Délégitimer la position
algérienne. Réaffirmer la légitimité du Maroc sur la question du Sahara.
Mobiliser l’opinion publique marocaine dans une posture de victime noble
et raisonnable.
Aussi je
simple Algérien que je suis, et surtout libre dans mes propos, je peux avancer
en toute fierté que la haine n’est pas une essence algérienne, mais une vérité
marocaine. Elle est un produit politique, une construction historique
qui a remplacé le dialogue par la suspicion, et la mémoire par le ressentiment.
Un héritage d’histoire et de blessures
Oui, le
Maroc a apporté un soutien réel à la guerre d’indépendance algérienne. Oui,
Mohammed V a ouvert sa frontière et offert une solidarité sans calcul.
Mais il est tout aussi vrai que les premières années de l’indépendance ont
laissé des blessures profondes.
Aussi, un
peu d’histoire pour rappel sur la période sensible de l'Émir Abdelkader, le
Père de la Nation Algérienne,
Le sultan du Maroc, Moulay
Abderrahmane, ayant reçu une défaite dans la bataille d'Isly, s'est soumis à la
France, et paraphé le traité de Tanger ayant une visée unique, à savoir,
interdire à l'Émir Abdelkader tout repli vers le Maroc. Dans ce sens, on
peut lire l'article 4 dans ce traité conclu à Tanger le 10 septembre 1844 :
Article 4 : Hadj
Abdelkader est mis hors la loi dans toute l'étendue du royaume du Maroc,
aussi bien qu'en Algérie. Il sera en conséquence poursuivi à main armée par les
Français sur le territoire de l'Algérie, et par les Marocains sur leur
territoire jusqu'à ce qu'il en soit expulsé ou qu'il soit tombé au pouvoir de
l'une ou de l'autre nation.
La guerre des sables de 1963, souvent occultée
dans les discours officiels, a durablement marqué les esprits. Pour les
Marocains, elle symbolise une trahison de la fraternité maghrébine ; pour les
Algériens, une agression d’un pays voisin alors qu’ils sortaient à peine d’un
siècle de colonisation.
Ce conflit,
né de frontières tracées par le colonisateur et jamais réellement discutées
entre États libres, a ouvert la voie à une méfiance institutionnalisée.
Depuis, chaque génération a hérité non pas de souvenirs communs, mais de
rancunes administrées.
Le 2 mars
1973 : le
Makhzen Marocain dépossède les Algériens qui vivent sur son sol de leurs biens
(40% du patrimoine foncier agricole public marocain appartenait aux
immigrés algériens, confisqué et attribué aux juifs). La question des biens des
Algériens au Maroc, dont une bonne partie est constituée de riches
possessions, est un élément important du contentieux entre l'Algérie et
le Maroc.
En 1994, suite à un attentat terroriste
à l'hôtel à Marrakech, le Maroc l'attribue à l'Algérie, expulse plusieurs
dizaines de milliers de touristes algériens, après les avoir maltraités. Le
Maroc a aussitôt fait porter toute la responsabilité à l'Algérie et instauré
immédiatement le visa pour les Algériens
Des régimes qui se nourrissent du face-à-face
La vérité,
aussi dure soit-elle, est que les régimes des deux pays ont eu besoin l’un
de l’autre comme repoussoir.
À Alger comme à Rabat, le voisin sert souvent à détourner l’attention, à souder
une unité intérieure menacée ou à justifier des choix politiques.
L’Algérie officielle a parfois utilisé la question du Sahara comme ciment de
principe; le Maroc, de son côté, a mobilisé le sentiment national autour de
cette même question pour consolider sa cohésion.
Résultat :
la politique étrangère est devenue une scène d’affirmation identitaire,
où chaque geste de l’autre est interprété comme provocation.
Pendant ce temps, les frontières restent closes, les échanges économiques sont
quasi inexistants, et le rêve d’un Maghreb uni — pourtant inscrit dans les
constitutions — s’éloigne un peu plus chaque année.
Une presse sous pression, miroir d’une parole
confisquée
Il me suffit de
dire que le Plus vieux détenu politique de la planète est marocain, Me Ziane 83
ans.
En effet, les médias du Makhzen en
bon bergag ont toujours su orchestrer ce type de campagnes qui
tendent à discréditer le voisin algérien pour l’accuser de vouloir déstabiliser
de facto le Maroc et se déclare comme un pays victime de l’ostracisme des
autorités algériennes, ce qui a donné lieu à un festival d’idioties
médiatisées, qui sont devenues des hypothèses sur des hypothèses et des
supputations sur supputations et juste à part vendre de la fumée.
En effet, à ce titre, le Tberguig
médiatique reste le point noir est dans les relations tumultueuses
Algero-Marocaines.
Devant un tel enthousiasme pour la
médisance et le commérage marocain, ainsi que toutes les élucubrations
journalistiques marocaines, la tête en l’air, gobent les mouches, nous,
Algériens, avons préféré ne rien dire
Cette instrumentalisation politique de la rivalité
s’est aussi répercutée sur le terrain médiatique et culturel. Pour l’instant les intellectuels et leaders
d’opinion du Maroc sont tétanisés ou sont dans des combats d’arrière-garde. Toujours
les mêmes contenus approximatifs en forme de slogans. De si gros mensonges
qui font qu’on se demande si ces gens ne pensent pas que plus c’est gros plus
c’est susceptible de marquer certains d’entre nous. Des mensonges si mielleux
quelquefois qu’ils finissent par avoir un accent de sincérité
involontaire : « je suis bien un royaliste et j’espère
bien venir à bout de toi ».
Le Maroc a le droit de se défendre
Le
chroniqueur cite le Maroc en exemple, rappelant que Rabat a reconnu Israël,
contrairement à Alger. Mais il omet un petit détail : la normalisation
marocaine a été « achetée » par la reconnaissance américaine de la souveraineté
du Maroc sur le Sahara occidental. Autrement dit, il y avait une contrepartie
géopolitique concrète.
En Algérie, aucune telle compensation
n’existe. Pourquoi donc Alger céderait-il gratuitement ce que Rabat a obtenu à
prix fort ? La diplomatie n’est pas une loterie morale, c’est une négociation
permanente
Ah, le Maroc, ce héros discret qui a reconnu
Israël. Sauf qu’il l’a fait en échange d’une reconnaissance américaine du
Sahara occidental. Un troc pur et simple. Mais ce détail est soigneusement mis
de côté.
Dans la chronique, Rabat est noble, Alger
est haineux. On se demande si l’auteur croit vraiment à cette version ou s’il a
juste peur d’avouer la vérité : que la diplomatie, c’est d’abord un marché, et
que tout le monde joue à ce petit jeu.
Le Sahara, symbole d’une fracture mal comprise
Le texte
marocain évoque à juste titre le rôle central du dossier du Sahara. Mais il le
réduit à un “prétexte”, ce qui est une erreur d’analyse.
Pour le Maroc, le Sahara représente un lien territorial et historique ;
pour l’Algérie, la cause sahraouie est l’expression d’un principe fondateur
: le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, hérité de sa propre lutte
anticoloniale.
Ces deux positions ne sont pas nécessairement irréconciliables — mais elles ont
été instrumentalisées, caricaturées, puis sacralisées. De pauvres imbéciles tentent d’instrumentaliser le droit
international si bousculé pour de petites opérations du Palais.
L’annexion
du Sahara Occidental est une décision politique circonstancielle sans intérêt,
une territoire qui n’a jamais été marocain ni historiquement ni ethniquement ni
juridiquement.
Aujourd’hui,
aucun des deux peuples n’a voix au chapitre sur cette question.
Le débat est confisqué par les appareils d’État et les médias contrôlés, qui
présentent toute nuance comme une trahison.
C’est ainsi qu’un conflit diplomatique devient une fracture identitaire, et
qu’un désaccord politique se transforme en haine nationale.
Les peuples, eux, ne se haïssent pas
Pourtant,
quiconque a voyagé entre Tlemcen et Oujda, entre Casablanca et Oran, sait que la
haine n’existe pas dans la rue.
Les Algériens et les Marocains partagent bien plus qu’une frontière : une
langue, une culture, une foi, une mémoire tissée de musiques, de proverbes et
d’histoires communes.
Dans les cafés, sur les réseaux, dans les familles mixtes, on trouve davantage
de nostalgie que de rancune.
Ce qui existe, c’est une haine d’État, entretenue par la fermeture des
frontières, l’absence de rencontres et la manipulation des imaginaires.
Fermer les
frontières, c’est fermer les cœurs.
Et quand les peuples cessent de se voir, d’échanger, de débattre, la peur et le
préjugé prennent la place de la connaissance.
L’urgence d’une lucidité citoyenne
La
réconciliation maroco-algérienne ne viendra pas des chancelleries, ni de sa
presse fidèle.
Elle viendra de la société civile, des intellectuels, des journalistes, des
artistes, des jeunes.
Elle naîtra de cette volonté d’écouter avant d’accuser, de comprendre
avant de juger.
Il ne s’agit pas d’effacer les différends, mais de les penser autrement — sans
les mots blessants, sans le lexique de la haine.
Nous avons
besoin d’un courage nouveau : celui de désarmer les mots, de rouvrir les
routes, de réapprendre à se parler sans médiation politique.
Car la fraternité maghrébine ne se décrète pas : elle se construit, pas à pas,
par des citoyens conscients que l’avenir de l’un dépend inévitablement de celui
de l’autre.
Un avenir à retrouver
Le Maroc et
l’Algérie ne sont pas condamnés à se détester.
Leurs peuples n’aspirent ni à la guerre ni à l’humiliation, mais à la dignité,
à la stabilité, à la coopération.
La haine est une politique du passé. La fraternité, elle, peut encore devenir
un projet d’avenir.
Un jour
viendra, espérons-le, où poser la question « Pourquoi cette haine ? »
n’aura plus de sens — parce que nous aurons enfin compris que la haine n’était
qu’une illusion, et que la vraie force, depuis toujours, est dans la
fraternité.
Alors, un
conseil amical au chroniqueur (bergag libre et indépendant) : la prochaine fois qu’il voudra
écrire sur l’Algérie, qu’il laisse tomber la morale simpliste et qu’il ouvre un
atlas. Cela lui évitera de confondre un conflit géopolitique vieux de 75 ans
avec une tragédie de monarchie de poche.
A/Kader
Tahri / Chroniqueur engagé, observateur inquiet
« Il faut dire les choses comme elles sont, mais refuser qu’elles soient
comme ça. » https://kadertahri.blogspot.com/
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