Parfois il m'est utile de le dire !

                                                                                                          Oh! Colombe, transmets mon salut d...

Les otages israéliens ont un prénom. Les prisonniers palestiniens ont un numéro de dossiers

 

Dans le conflit israélo-palestinien, la douleur a un visage, mais pas pour tout le monde. Les médias occidentaux, pris dans leur propre myopie morale, ont fait de la compassion un privilège géopolitique. Et quand l’humanité devient sélective, elle cesse d’être humaine.

Les bons otages et les mauvais prisonniers

Le 13 octobre, les téléphones de plusieurs familles israéliennes ont sonné. Au bout du fil,  non pas par l'intermédiaire de la Croix-Rouge ou de médiateurs, mais par un appel direct des membres de Hamas aux familles Une scène d’angoisse, bouleversante, humaine.

Les médias occidentaux ont unanimement relayé la scène,  larmes, colère, incompréhension.
Mais dans la plupart des articles, cette scène a été décrite comme un nouvel acte de barbarie palestinienne, comme la preuve ultime de la cruauté d’un ennemi « inhumain ».
Aucun grand titre, ou presque, n’a jugé utile d’interroger ce geste autrement, par exemple, comme un message désespéré d’un groupe cherchant à rappeler que la guerre déshumanise tout le monde.

Car, dans le récit médiatique dominant, l’humanité n’est pas universelle : elle est sélective. On la concède aux uns, on la refuse aux autres. Et depuis le 7 octobre, cette hiérarchie morale s’expose sans pudeur. Le scénario n’a pas changé depuis cinquante ans. Les mots, eux, sont devenus plus lisses.

Pendant que les caméras filmaient la détresse des familles israéliennes, personne  ou presque  ne s’est demandé ce que devenaient les 6 000 Palestiniens détenus sans inculpation, parfois depuis des années, parfois depuis l’adolescence,  Une situation particulièrement alarmante dans les camps militaires, dont l’accès est interdit aux observateurs extérieurs. Leur douleur, elle, n’a pas le bon passeport.

Le silence comme ligne éditoriale

Trois ONG israéliennes, B’Tselem, Adalah, PCATI, dénoncent régulièrement les tortures, humiliations et traitements dégradants dans les prisons israéliennes.
Mais ces rapports, pourtant produits par des sources israéliennes, ne franchissent presque jamais le filtre des rédactions européennes.

Pourquoi ?

Parce qu’ils fissurent la narration confortable d’un Israël éternellement « en défense ».
Parce qu’ils rappellent que la déshumanisation ne se loge pas seulement dans les roquettes, mais dans les cellules, les lois, les regards. Ainsi dans les medias occidentaux l’indignation a des frontières.

L’indignation Occidentale à géométrie variable  

Un enfant israélien tué, c’est une tragédie.
Un enfant palestinien tué, c’est un “dommage collatéral”.

Les mots choisis — frappe ciblée, riposte, conflit — deviennent des anesthésiants moraux.
Le vocabulaire lui-même construit la hiérarchie des larmes.

On ne parle plus de colonisation, mais « d’implantations ».
On ne parle plus d’apartheid, mais de « tensions communautaires ».
On ne parle plus de punition collective, mais de « riposte sécuritaire ».

Et dans ce brouillard sémantique, la conscience s’endort. On ne déforme pas seulement les faits, on reformate l’empathie. »

La neutralité, cette lâcheté polie

Les médias adorent l’expression : « des deux côtés ».
Elle donne l’impression d’équilibre, alors qu’elle masque la disproportion.
Mettre sur le même plan un peuple colonisé et une armée d’occupation, c’est déjà trahir la vérité.

Chaque fois qu’un journaliste gomme le mot occupation pour ménager un ministre ou un éditorialiste, c’est un morceau de réel qui disparaît.
Chaque fois qu’on remplace un cri palestinien par un communiqué militaire israélien, c’est une part d’humanité qu’on efface. La neutralité n’est pas une vertu quand elle protège la force

La banalité du mal médiatique

La presse ne tue pas : elle choisit qui mérite d’être pleuré. On cite Hannah Arendt, mais on oublie que la banalité du mal commence souvent derrière un bureau, devant un clavier.
Quand un rédacteur se dit : « Ce mot est trop fort ».
Quand un rédacteur en chef tranche : « Ce sujet n’intéressera pas nos lecteurs. »

Le mal médiatique est feutré, poli, professionnel.
Il ne crie pas. Il efface.
Il ne frappe pas. Il sélectionne.

L’Occident et son miroir brisé

Reconnaître la souffrance palestinienne ne revient pas à excuser le Hamas.
C’est simplement refuser la hiérarchie des victimes.
Mais dans les rédactions occidentales, pleurer un Palestinien reste un acte suspect.

L’Occident aime les guerres où il a raison d’avoir raison.
Il aime ses victimes dociles, ses coupables identifiables.
Il ne supporte pas les tragédies sans héros, ni celles où il pourrait être du mauvais côté de l’histoire. L’objectivité est devenue la feuille de vigne de la lâcheté morale.

La déshumanisation n’est pas un destin, c’est un choix

Israël déshumanise, le Hamas déshumanise, mais les médias, eux, anesthésient.
Ils nous apprennent à compatir sélectivement, à pleurer sur commande, à détourner les yeux quand la victime n’est pas la “bonne”.

La déshumanisation n’est pas un destin, c’est un choix

Israël déshumanise, l’Occident déshumanise mais les médias, eux, anesthésient.
Ils nous apprennent à compatir sélectivement, à pleurer sur commande, à détourner les yeux quand la victime n’est pas la “bonne”.

Croire qu’un seul camp déshumanise ici, c’est déjà participer à la déshumanisation.
C’est refuser de voir cette vérité dérangeante : le mal n’a jamais le monopole d’un drapeau.
Et c’est aussi nier cette évidence qu’Arendt avait déjà formulée : le mal n’est pas spectaculaire, il est banal. Mais il existe, en miroir, une banalité du bien, celle qui surgit quand on dépose les convictions idéologiques pour regarder, simplement, les gens comme des gens.

La déshumanisation mutuelle   n’est pas un destin.   Non, elle ne l’est pas.
Mais pour qu’elle cesse, encore faut-il nommer ceux qui l’entretiennent.
Et parler, enfin, au gouvernement israélien : celui qui, depuis des décennies, retient des milliers de Palestiniens sans inculpation ni procès, parfois dès l’âge de douze ans.
Ces détentions arbitraires sont une forme d’otage politique : elles déshumanisent, brisent les familles, terrorisent les communautés, tout en prétendant maintenir “l’ordre”.

Les combattants du Hamas qui ont pris des otages le 7 octobre ont, eux aussi, participé à cette mécanique de déshumanisation. Ils ont choisi la violence comme dernier langage face à un État qui ne négocie plus, convaincus que la brutalité forcerait le dialogue. Mais ce qu’ils ignoraient, c’est que le gouvernement israélien se moque des otages, qu’il n’attendait qu’un prétexte pour transformer Gaza en cimetière et effacer la Palestine de la carte.
Et dans ce cercle infernal, les innocents,  les enfants, les civils, les prisonniers  è deviennent la monnaie d’échange de l’inhumanité.

Pourtant, chaque libération, chaque restitution d’otage, chaque trêve même fragile, est une minuscule révolte contre cette logique de mort. C’est une brèche d’humanité dans un mur de haine.
La déshumanisation n’est jamais totale ; elle recule dès qu’un homme choisit de ne pas se réjouir du mal qu’il inflige, dès qu’une femme ose pleurer l’ennemi.

Car aussi facile qu’il soit pour l’humain d’objectiver autrui, il lui est tout aussi facile — et bien plus courageux — de faire preuve d’empathie.
Il suffit d’un choix conscient : celui de ne pas se laisser gouverner par la peur.
Et même si le mal semble “nécessaire”, même si la violence est “justifiée”, le véritable humanisme consiste à pleurer le mal que l’on fait, au lieu de le célébrer.

Conclusion

Or la déshumanisation n’est jamais automatique : elle se fabrique, phrase après phrase, silence après silence. Et la presse, en prétendant “rester neutre”, en est devenue le moteur le plus sophistiqué

Il existe pourtant une échappée.
Un sursaut. Celui de la banalité du bien : refuser la hiérarchie des larmes.
Regarder, nommer, dire — sans peur de déplaire, sans chercher à plaire. C’est simplement ce qu’il reste de la morale quand tout le reste s’effondre.
Et si le journalisme ne peut plus le dire, alors c’est qu’il a choisi son camp, celui du silence et ainsi la
compassion, quand elle porte un uniforme, n’est plus de la compassion. C’est de la propagande. Aussi facile qu'il soit pour les humains d'objectiver autrui, il est tout aussi facile de faire preuve d'empathie. Il suffit d'un choix conscient et de maîtriser sa peur. Même si le mal est alors nécessaire et justifié, par exemple en cas de légitime défense, le mal causé est pleuré plutôt que célébré et perçu dans toute sa laideur.

Kader Tahri
Chroniqueur engagé, observateur inquiet                                                                                     « Il faut dire les choses comme elles sont, mais refuser qu’elles soient comme ça. » 
https://kadertahri.blogspot.com/

 

 


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