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Ain El-Mahboula : Mémoire d’une Source et Source d’une Mémoire

  

Entre Géryville et El Bayadh, une légende d’eau et de nostalgie

La source d’Aïn El-Mahboula, située dans la ville d’El Bayadh — anciennement connue sous le nom de Géryville — constitue bien plus qu’un simple point d’eau dans la mémoire collective de la région. À travers le récit légendaire de « la femme folle », la fonction sociale du site et les transformations récentes liées à la restauration, cette étude explore la manière dont un espace naturel devient porteur de significations symboliques et identitaires. En revisitant la légende, l’usage et la valeur patrimoniale de la fontaine, cet article s’attache à montrer comment la mémoire de l’eau s’inscrit dans la continuité des générations, reliant le passé à l’avenir à travers un patrimoine à la fois matériel et immatériel.

Introduction : Une Source de Mémoire Collective

Certaines sources ne se contentent pas d’irriguer la terre : elles nourrissent la mémoire des hommes. Aïn El-Mahboula, située au cœur de la ville d’El Bayadh, autrefois appelée Géryville, est de celles-là. Lieu de sociabilité, de légende et de transmission, cette fontaine demeure un symbole identitaire fort pour plusieurs générations. Elle évoque un monde rural aujourd’hui disparu, où l’eau était à la fois élément vital et vecteur de lien social.

Cet article vise à revisiter la légende et l’histoire d’Aïn El-Mahboula, à analyser ses dimensions sociales et symboliques, et à interroger les enjeux contemporains de sa préservation patrimoniale.

La Légende Fondatrice : Entre Tragédie et Tendresse

La toponymie de la source – Aïn El-Mahboula, littéralement la source de la folle – trouve son origine dans un récit populaire profondément ancré dans la mémoire locale.
Une femme française, ayant perdu son enfant noyé dans le lac voisin, erra chaque jour jusqu’à la fontaine dans l’espoir vain de retrouver son fils. Peu à peu, sa présence silencieuse devint partie intégrante du paysage. Elle observait les enfants du village jouer près de l’eau, y trouvant un apaisement à sa douleur.

De cette figure tragique et maternelle serait née la légende. Elle inscrit la source dans un imaginaire collectif où la folie n’est plus malédiction, mais fidélité à l’amour et à la perte.
Ainsi, le lieu acquiert une dimension spirituelle : la source devient le témoin d’une humanité fragile, où la douleur se transforme en mémoire.

Une Architecture du Quotidien et du Partage

Au-delà de la légende, Ain El-Mahboula se distinguait par sa structure architecturale singulière : un bassin rectangulaire d’environ dix mètres, flanqué de deux bassins carrés couverts d’un préau. Ces espaces servaient de lavoirs collectifs, lieux d’activité domestique et de sociabilité féminine.

Les femmes y lavaient le linge, échangeaient des nouvelles, partageaient des récits. Les jeunes filles, en âge de se marier, profitaient de ces moments pour se mettre en valeur, recréant dans le quotidien une scène d’exposition sociale discrète mais essentielle.

Ce lieu, fonctionnel et symbolique, illustre l’imbrication du matériel et de l’immatériel dans le patrimoine local : l’eau et la pierre s’y mêlent aux rituels, aux gestes et aux regards.

La Source comme Espace Thérapeutique et Spirituel

La réputation d’Aïn El-Mahboula dépassait sa seule utilité domestique.
On prêtait à son eau des vertus curatives, notamment pour les affections oculaires. Selon la tradition, les enfants souffrant de conjonctivite devaient, à l’aube, plonger le visage dans l’eau limpide de la source pour obtenir la guérison divine.

Ce rituel, répété de génération en génération, conférait à la source une dimension sacrée. Elle devenait ainsi un espace de guérison et de purification, à la croisée de la foi, de la nature et de la science populaire.

Mémoire de l’Enfance et d’Identité  

Pour les habitants  d’hier de Géryville et les habitants d’El-Bayadh d’aujourd’hui, qu’ils soient restés ou partis, Aïn El-Mahboula constitue un ancrage émotionnel. Les récits de l’enfance, les jeux autour de la fontaine, les visages mouillés par l’eau fraîche au petit matin forment une trame commune à la mémoire collective.

Dans la diaspora, cette source devient le symbole d’un passé idéalisé, d’un retour impossible mais rêvé. Elle incarne cette nostalgie douce-amère propre aux lieux d’enfance : une présence absente, mais persistante dans la conscience.

Le Patrimoine à Restaurer  

La restauration du patrimoine, qu’il soit monumental ou modeste, ne saurait être réduite à un simple acte de réfection. Elle requiert une approche méthodique, respectueuse de l’esprit du lieu et de son histoire. Restaurer, c’est avant tout comprendre : comprendre la matière, les gestes d’autrefois, la symbolique du site et la charge émotionnelle qu’il porte. Toute intervention, même minime, devrait s’inscrire dans une logique de conservation durable et d’authenticité, car toucher à un patrimoine, c’est toucher à la mémoire collective.

Or, il est profondément regrettable de constater que les travaux entrepris pour la réhabilitation de la source d’Aïn El-Mahboula n’ont pas été menés dans l’esprit d’un véritable projet patrimonial. Ce qui aurait dû être une restauration respectueuse, fondée sur la connaissance de l’histoire, des matériaux et des savoir-faire traditionnels, s’est réduit à une simple opération de maçonnerie, dépourvue de vision esthétique et de sens historique.

Aucune étude préalable, ni diagnostic technique rigoureux, ne semble avoir été effectuée pour évaluer l’état des structures, la nature de la pierre, ou encore l’impact du temps et des conditions climatiques. Les matériaux utilisés  modernes, inadaptés, et souvent incompatibles avec la texture et la teinte d’origine trahissent le caractère architectural du site. Ces interventions hasardeuses risquent, à terme, d’accélérer la dégradation de l’édifice plutôt que de le préserver.

Il semblerait, selon certains témoignages locaux, que les travaux aient été réalisés de manière volontaire par un homme âgé, animé sans doute de bonnes intentions mais dépourvu de formation en conservation du patrimoine. Si le geste mérite respect pour son attachement au lieu, le résultat obtenu s’éloigne dramatiquement de ce que requiert un site de cette valeur symbolique. La restauration, au lieu de sublimer l’authenticité du bâti, en altère la lecture : les tonalités de la pierre, la texture des enduits et l’harmonie des volumes originels ont été remplacées par des couleurs étrangères à l’esprit de l’édifice, rompant ainsi l’équilibre visuel et historique du site.

Aujourd’hui, l’eau d’Ain El-Mahboula continue certes de couler, mais elle le fait avec lenteur, comme affaiblie par la dissonance entre le passé et le présent. Elle s’écoule non plus dans la noblesse d’un cadre ancestral, mais dans une enveloppe qui trahit son âme. Or, restaurer un lieu patrimonial, ce n’est pas le figer dans une modernité artificielle ; c’est lui redonner vie dans le respect du temps, de la mémoire et de la matière.

En cela, le cas d’Ain El-Mahboula rappelle que la restauration d’un patrimoine n’est pas un simple acte de construction, mais un acte de transmission. Elle engage une responsabilité éthique envers les générations passées qui l’ont bâti, et envers celles à venir qui devront encore pouvoir y reconnaître la trace authentique de leur histoire.

Ainsi, la réhabilitation d’Ain El-Mahboula doit être repensée dans une démarche intégrant la rigueur scientifique, la sensibilité esthétique et la conscience patrimoniale. Ce lieu mérite une renaissance véritable, respectueuse de sa morphologie, de sa mémoire et de sa valeur symbolique. Restaurer Ain El-Mahboula, c’est restaurer un lien entre la pierre et le souvenir, entre l’eau et la parole des anciens.

Pour une Conservation Vivante

Préserver Aïn El-Mahboula, c’est sauvegarder une part essentielle de l’identité d’El Bayadh.
Le patrimoine, qu’il soit matériel ou immatériel, nous relie au temps. Il façonne le sentiment d’appartenance, éclaire notre présent et oriente nos pas vers l’avenir.

Comme le rappelle Paul Ricœur, « la mémoire n’est pas seulement la conservation du passé, elle est le moteur du devenir ».
Redonner vie à Aïn El-Mahboula, c’est redonner sens à cette continuité : celle d’un peuple qui, dans l’eau claire de sa source, continue de se reconnaître.

Conclusion

Ain El-Mahboula incarne le passage du temps et la permanence du lien.
Entre la légende de la femme éplorée et la modernité des restaurations contemporaines, elle demeure le miroir d’une société attachée à ses racines.
Son eau, à la fois réelle et métaphorique, relie les générations, apaise la mémoire et rappelle que le patrimoine, comme la vie, ne vaut que s’il reste vivant.

Kader Tahri
Chroniqueur engagé, observateur inquiet                                                                                                  « Il faut dire les choses comme elles sont, mais refuser qu’elles soient comme ça. » 
https://kadertahri.blogspot.com/

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