Dans un
article récemment publié dan un canard de causette israélite, l’auteur prétend
analyser la guerre en cours à Gaza et les choix du gouvernement israélien. En
réalité, ce texte construit une justification de l’offensive militaire en
recourant à deux procédés principaux : relativiser les souffrances des civils
et discréditer par avance toute critique qui utiliserait les termes de « crimes
de guerre » ou de « génocide ». L’article met en avant la responsabilité du
Hamas, les dilemmes liés aux otages, les difficultés du combat urbain, et en
conclut que dénoncer Israël serait une « perversion du langage » ou une
obsession idéologique.
Une telle
rhétorique n’est pas nouvelle : elle consiste à présenter des faits gravissimes
comme une nécessité militaire inévitable, tout en délégitimant ceux qui
invoquent le droit international. Pourtant, face aux centaines de milliers de
civils déplacés, aux infrastructures vitales détruites, aux blocus alimentaires
et médicaux imposés, il est urgent de rappeler que ce sont précisément ces
situations que le droit humanitaire a été conçu pour réguler.
La définition juridique du génocide et ses éléments
constitutifs
L’auteur
ridiculise l’usage du mot « génocide » appliqué à Gaza, le présentant
comme un abus rhétorique. Mais le terme n’est pas un slogan : c’est une
qualification juridique inscrite dans la Convention de 1948, qui définit le
génocide comme « l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe
national, ethnique, racial ou religieux », par des actes comme le meurtre
de membres du groupe, l’atteinte grave à leur intégrité physique ou mentale, la
soumission délibérée à des conditions de vie devant entraîner sa destruction,
ou la restriction des naissances.
C’est
précisément cette définition qu’examinent aujourd’hui des instances judiciaires
: la Cour internationale de Justice (CIJ) est saisie d’une plainte
portée par l’Afrique du Sud contre Israël. Le 26 janvier 2024, la CIJ a ordonné
à Israël de « prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir tout
acte pouvant relever du génocide » et de faciliter l’entrée de l’aide
humanitaire. Ces mesures provisoires, juridiquement contraignantes, montrent
qu’il ne s’agit pas d’une polémique idéologique, mais d’une question légale
sérieuse au cœur du système international.
Responsabilité initiale du Hamas ≠ impunité pour
Israël
L’article
insiste sur la culpabilité du Hamas : attaques du 7 octobre, otages, stratégie
de bouclier humain. Ces réalités sont incontestables et doivent être
condamnées. Mais le droit international distingue clairement deux niveaux :
- la cause d’un conflit (une agression, un attentat,
une occupation) ;
- les moyens utilisés par les
belligérants une
fois la guerre déclenchée.
Même agressé,
un État reste tenu par les Conventions de Genève, qui prohibent notamment les
frappes indiscriminées contre les civils, les punitions collectives, et le
recours à la famine comme arme de guerre. L’idée que « tout est permis »
parce que l’ennemi est criminel est exactement ce que le droit humanitaire a
voulu empêcher après la Seconde Guerre mondiale.
En rejetant
la responsabilité sur le Hamas, l’article ferme les yeux sur l’obligation
légale d’Israël de protéger les civils de Gaza, qui restent sous son contrôle
effectif, même si le territoire est administré par un autre acteur.
Des comparaisons historiques biaisées
Pour
banaliser la situation, l’auteur compare Gaza à Sarajevo, Grozny, Mossoul ou
Fallouja, en soulignant qu’on n’y a pas parlé de génocide. L’argument est
doublement fallacieux.
D’abord, le
fait que certains crimes passés n’aient pas reçu la qualification adéquate ne
peut justifier l’inaction présente. Au contraire, l’échec à protéger Srebrenica
en 1995 a précisément conduit à renforcer les mécanismes internationaux de
prévention.
Ensuite,
Gaza se distingue par plusieurs éléments spécifiques : une densité
démographique extrême (plus de 20 000 habitants/km² dans certaines zones), un
blocus terrestre, maritime et aérien qui empêche les civils de fuir librement,
et la destruction systématique d’infrastructures vitales (hôpitaux, réseaux
d’eau, écoles, centrales électriques). Ces conditions créent un risque accru
d’anéantissement partiel d’un peuple, même sans massacres immédiats comparables
à Srebrenica.
Les mots des dirigeants comme indices d’intention
L’auteur
tourne en dérision les propos de responsables israéliens qui ont parlé de « combattre
des animaux humains ». Selon lui, il s’agirait d’une simple insulte
idiomatique. Mais en droit pénal international, les déclarations publiques
comptent. Elles ne suffisent pas à elles seules, mais elles contribuent à
établir un contexte d’intention, surtout lorsqu’elles accompagnent des
politiques concrètes (blocus total, privation de nourriture et d’eau,
bombardements massifs de zones densément peuplées).
Les
tribunaux internationaux ont toujours pris en compte les discours de
déshumanisation — qu’il s’agisse de la propagande au Rwanda en 1994 ou de la
rhétorique serbe en Bosnie. Ignorer ces paroles comme de simples « colères
» revient à nier leur fonction dans la préparation et la justification de
violences extrêmes.
L’omission volontaire de la justice internationale
Le silence
de l’article sur les procédures en cours est frappant. La Cour internationale
de Justice, organe judiciaire principal de l’ONU, a imposé des obligations
précises à Israël. Le procureur de la Cour pénale internationale enquête
également sur les crimes commis en Palestine depuis 2014, y compris durant
l’offensive actuelle. Ces démarches judiciaires ne sont pas accessoires : elles
incarnent la réponse juridique universelle aux crimes les plus graves.
En ne les
mentionnant pas, l’article prive le lecteur d’informations essentielles et
présente la controverse comme une simple bataille médiatique entre « partisans
» et « adversaires » d’Israël.
Les souffrances civiles reléguées au second plan
Enfin,
l’article réduit la tragédie de Gaza à un dommage collatéral regrettable mais
inévitable. Or les chiffres parlent d’eux-mêmes : selon les agences
humanitaires de l’ONU, des dizaines de milliers de Palestiniens ont été tués,
dont une majorité de femmes et d’enfants. Des centaines de milliers ont été
déplacés, souvent à plusieurs reprises, dans une enclave fermée. La destruction
des hôpitaux, l’entrave à l’acheminement de nourriture et d’eau, et
l’effondrement du système sanitaire créent un risque massif de famine et
d’épidémies. Ces réalités ne peuvent être balayées d’un revers de plume par des
références abstraites aux « règles de la guerre de siège ».
Conclusion : pour une presse responsable
Qualifier juridiquement les crimes en cours à Gaza ne
relève ni de l’obsession ni de la diabolisation : c’est une exigence de justice
et de vérité cela n’exonère en rien Israël de ses propres responsabilités.
Réduire la critique à une haine anti-israélienne ou à un abus de langage
revient à fermer les yeux sur les souffrances massives d’une population civile
assiégée. La presse, au lieu de participer à cette banalisation, devrait au
contraire rappeler que nul État n’est au-dessus du droit, et que la protection
des innocents doit rester le principe premier.
Qualifier
les crimes commis à Gaza n’est pas une question d’idéologie, mais de droit et
de dignité humaine et à ceci Israël n’est pas au-dessus des lois. En assimilant
la critique à de la « diabolisation », l’article contribue à banaliser des
souffrances immenses et à préparer l’impunité. Quand on dirige un canard, on
n’a pas le droit de se tromper de la sorte, et de tromper son lectorat. Ou
alors on est malhonnête. On en revient toujours au même choix : médiocrité
ou malhonnêteté.
Le rôle de
la presse devrait être inverse : rappeler que le droit humanitaire protège
universellement, exiger des comptes à tous les acteurs, et donner une voix aux
victimes civiles plutôt que de justifier par avance leur sacrifice. Refuser de
nommer les crimes, c’est participer à leur perpétuation.

Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire