Lugan un Historien
sur commande ne “lit” pas l’histoire de l’Algérie, il la découpe à l’emporte-pièce pour la rendre compatible
avec une vision idéologique. C’est moins un travail d’historien qu’une chronique politique polémique, relayée par un
contexte de rivalité maroco-algérienne.
Dans une récente chronique commandée
par la presse marocaine, le polémiste français Bernard Lugan prétend éclairer
l’histoire de la guerre d’indépendance algérienne à travers le prisme de la «
crise berbériste ». Mais au lieu d’une analyse historique, nous assistons à une
démonstration idéologique : Lugan ne raconte pas, il accuse. Il n’analyse pas
les sources, il empile des faits épars pour les transformer en arme polémique. Mais
derrière l’apparat académique se dessine moins une analyse historique qu’une
construction polémique, où l’empilement d’anecdotes sert un récit simplificateur, calibré
pour un lectorat friand de «vérités qui dérangent».
Le goût des vérités simples
Personne ne nie la réalité de la crise berbériste de
1949 au sein du PPA-MTLD, ni l’existence de tensions internes sur la question
identitaire. Mais Lugan se contente d’aligner des épisodes connus – congrès de
1947, divisions au sein du FLN, rivalités entre chefs. Tout cela est réel. Mais
au lieu d’en faire un objet de réflexion, il s’en sert pour construire une
histoire réduite à une opposition brutale : d’un côté des « Berbères » qui
auraient mené l’essentiel de la guerre contre la France, de l’autre des «
arabo-islamistes » accusés d’avoir confisqué le pouvoir et trahi leurs
compagnons de lutte.
L’absence de critique documentaire transforme ce qui
devrait être une réflexion en une succession de signaux faibles, exploités pour
conforter une thèse préconçue
Ce schéma simpliste flatte un certain goût du public
pour les « vérités qui dérangent », ces raccourcis séduisants qui donnent
l’impression de briser un tabou. Mais l’histoire n’est pas un spectacle. Elle
exige nuance, contextualisation, et surtout honnêteté dans le traitement des
sources. Or, ces qualités brillent ici par leur absence.
Une lecture manichéenne
Présenter Abane Ramdane, Amirouche, Krim Belkacem
ou Aït Ahmed comme les représentants exclusifs d’un camp « berbère »
est trompeur. Ces figures, bien que kabyles, se définissaient avant tout comme
nationalistes algériens. Leur combat ne se réduisait pas à la revendication
identitaire, mais à une cause commune : l’indépendance et la souveraineté de
l’Algérie.
Le cœur de l’argumentation repose sur une dichotomie
grossière : d’un côté des « Berbères » supposément véritables acteurs de la
lutte armée, de l’autre des « arabo-islamistes » accusés de confiscation
identitaire. Or, l’histoire du nationalisme algérien ne se réduit pas à ce duel
binaire. Les figures citées se sont toujours définies avant tout comme
nationalistes algériens. Leur combat ne se limitait pas à la revendication
berbère, mais s’inscrivait dans un projet plus large d’indépendance et de
souveraineté. En somme, il gomme la complexité pour servir une thèse déjà
écrite.
Une instrumentalisation
politique
L’article s’inscrit aussi dans un contexte précis :
celui d’une rivalité persistante entre le Maroc et l’Algérie. Commandé par une
presse marocaine, le texte trouve son utilité dans la mise en avant des
fractures internes algériennes. Réduire l’histoire nationale à une querelle
ethno-identitaire revient à alimenter une guerre des récits où la science
historique se met au service de stratégies géopolitiques.
Il faut aussi regarder du côté du commanditaire. Que
la presse marocaine publie ce récit n’est pas un hasard. Depuis des décennies,
le Maroc et l’Algérie s’affrontent sur le terrain mémoriel autant que
diplomatique. Mettre en avant les divisions identitaires algériennes, suggérer
que l’Algérie est une construction fragile, c’est participer à une guerre des
récits au service d’une rivalité politique bien actuelle.
Bernard Lugan, connu pour ses positions « iconoclastes
», joue ici un rôle utile : offrir une version apparemment savante d’un
discours qui affaiblit l’adversaire. Mais un historien ne devrait pas se prêter
à ce jeu d’instrumentalisation
Ce que Lugan occulte
Plusieurs
dimensions essentielles disparaissent de ce récit :
- La diversité des trajectoires
militantes, où Arabophones et Berbérophones se sont engagés côte à côte
contre la colonisation.
- Le rôle de la France coloniale,
qui a cherché à exploiter les clivages identitaires pour fragiliser le
mouvement national.
- La complexité même du
nationalisme algérien, traversé par des débats idéologiques, sociaux et
régionaux, bien au-delà de la seule question linguistique.
Ce qui est passé sous silence
En mettant
toute la lumière sur la fracture « berbères contre arabes », Lugan laisse dans
l’ombre plusieurs dimensions essentielles :
- La participation des
populations arabophones, pourtant décisives dans la lutte armée.
- La stratégie coloniale
française, qui a constamment cherché à exploiter les divisions
identitaires pour affaiblir le mouvement national.
- Le caractère collectif de la
guerre, où les appartenances régionales et linguistiques ont été
transcendées par une cause partagée.
Omettre ces
aspects, c’est tronquer l’histoire.
L’histoire comme champ de
bataille
Au fond, Lugan ne propose pas une relecture
historique, mais une accusation politique. Son récit vise moins à comprendre le
passé qu’à nourrir un présent conflictuel. La guerre d’indépendance devient une
matière première pour opposer Kabyles et Arabes, et par ricochet affaiblir
l’idée d’une nation algérienne unie.
Mais l’histoire n’appartient pas aux polémistes. Elle
appartient aux chercheurs, aux témoins, aux archives. Elle est faite de
nuances, de contradictions, de débats. Elle ne se découpe pas à l’emporte-pièce
pour être servie à un lectorat en quête de drames simplifiés.
Pour une histoire qui éclaire,
pas qui divise
Réduire l’Algérie à une querelle entre « Berbères » et
« Arabes », c’est faire injure à la vérité historique et à la mémoire de la
guerre d’indépendance. L’histoire de ce pays ne se résume pas à ses fractures,
mais à la force d’un combat collectif. Ceux qui, comme Bernard Lugan, préfèrent
l’accusation à l’analyse ne livrent pas de l’histoire : ils fabriquent un récit
idéologique. Or l’Algérie n’est pas une construction fragile ; elle est le
fruit d’une lutte partagée, et c’est dans cette pluralité assumée que réside sa
véritable identité.
L’Algérie n’a pas besoin qu’on la réduise à ses
fractures. Elle a besoin qu’on reconnaisse la diversité de ses mémoires, la
pluralité de ses langues et de ses trajectoires, et qu’on restitue la
complexité de son chemin vers l’indépendance. La guerre de libération fut une
œuvre collective, portée par des hommes et des femmes de toutes origines. Plutôt
que de l’instrumentaliser, il est temps de la comprendre. C’est ce qu’on attend
d’un historien honnête
Conclusion
Lugan n’écrit pas l’histoire, il la met en accusation.
En réduisant le FLN à un appareil « arabo-islamiste » dominateur et les
Berbères à des victimes flouées, il adopte une lecture manichéenne, déconnectée
de la richesse du réel. L’historien se transforme en chroniqueur polémiste,
livrant une version taillée sur mesure pour un public amateur de tragédies
simplifiées et de clivages figés.
L’histoire algérienne mérite mieux que ce récit à
l’emporte-pièce. Elle appelle un travail patient de contextualisation, une
confrontation des sources, une attention aux nuances. Loin des raccourcis
identitaires, l’historiographie sérieuse rappelle que la guerre d’indépendance
fut une œuvre collective, portée par des femmes et des hommes de toutes
régions, de toutes sensibilités. Lugan, lui, préfère la polémique à la
complexité. C’est son droit, mais ce n’est pas de l’histoire.
Donc, l’Algérie est bien loin des pronostics de l’historien
de commande, en effet, il faut bien que ce dernier doit besogner pour justifier
les subsides et des feuilles de route anti-algériennes glissées dans la fente
de la presse du Makhzen qui en raffole, dont la dignité à jamais mise en berne,
pour avoir la possibilité de virées prépayées à la Mamounia de Marrakech !
Kader Tahri
Chroniqueur engagé, observateur inquiet
« Il faut dire les choses comme elles sont, mais refuser qu’elles soient comme
ça. »
https://kadertahri.blogspot.com/

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