Parfois, il m'est utile de le dire ?

  L'idée de ce travail est née de la lecture des échanges sur des forums, lors de dialogues entre musulmans et chrétiens. Ces échanges s...

Boualem Sansal otage ? Quand la libre pensée s’égare

Dans une déclaration récente intitulée « Appel des libres penseurs pour la libération de Boualem Sansal », un collectif se réclamant de la tradition humaniste de Zola, Jaurès ou Hugo dénonce l’emprisonnement de l’écrivain algérien Boualem Sansal, présenté comme un « otage de la dictature d’Alger » depuis octobre 2024.
Un appel grave, solennel, et surtout… totalement erroné. L’auteur est qualifié de “voix courageuse”, “esprit indépendant”, “otage de la dictature d’Alger”, sans qu’aucune preuve ou source ne soit mentionnée pour étayer ces qualificatifs. Cette solidarité à géométrie variable est questionnable à plusieurs égards.
Il y a un usage systématique de métaphores martiales ou victimaires (“traqués”, “résistants”, “au prix de leur vie”) pour donner un effet émotionnel fort, mais sans fondement dans la réalité du cas évoqué.
Ce type d’appel instrumentalise la figure de Boualem Sansal (qui n’a pas revendiqué être victime de quoi que ce soit récemment) pour faire passer un message anti-algérien globalisant, aux relents parfois néocoloniaux.
Boualem Sansal est né en Algérie et a obtenu la nationalité française en 2024, reste justiciable pour des activités qui s’apparente à de « l’intelligence avec l’ennemi »
Comment peut-on, au nom de la libre pensée, construire un appel public sur une base aussi manifestement fausse ? L'indignation ne dispense pas de rigueur, surtout lorsque l’on invoque l’héritage de ceux qui, comme Zola dans l’affaire Dreyfus, ont précisément mis la vérité au-dessus de toutes les passions.
Ce texte, dont l’intention affichée est la défense de la liberté, relève en réalité d’une instrumentalisation politique d’un écrivain que l’on érige malgré lui en symbole d’un combat simplifié : celui de la lumière de l’Occident contre l’obscurantisme supposé d’un régime algérien caricaturé. Une vision binaire et surjouée, qui enferme toute pensée critique dans des stéréotypes idéologiques et postcoloniaux.
Plus encore, l’appel amalgame plusieurs réalités – athéisme, dissidence, minorités, répression – pour construire une fiction militante plus qu’une analyse sérieuse de la situation politique en Algérie. Il nie la complexité d’un pays traversé de contradictions, de résistances diverses, et de débats internes. Et il insulte, au passage, l’intelligence de ceux qui tentent de penser la liberté depuis le Sud, sans recourir au confort moral de l’indignation à distance.
Enfin, la conclusion de l’appel, demandant au gouvernement français « d’intervenir rapidement », laisse songeur. Intervenir sur quelle base, et auprès de qui, puisque l’intéressé est justiciable par un état souverain ? Cette demande révèle surtout une tentation persistante : celle de faire de la France l’arbitre moral des libertés dans le monde arabe, au mépris des souverainetés nationales et des réalités politiques locales. C’est là l’ombre portée d’un réflexe néocolonial qu’on croyait pourtant dépassé dans les milieux progressistes.
Qu’on le veuille ou non, la pensée libre commence par le doute, la prudence et la vérification. Elle n’est ni posture, ni cri vide, ni indignation aveugle. À vouloir brandir à tout prix des symboles, on oublie parfois l’essentiel : la vérité. La pensée libre français se préoccupe de Boualem Sansal emprisonné par l’Algérie, mais elle ne se gêne pas de poursuivre Alain Soral pour atteinte à la sûreté de l’État, « provocation publique à la commission d’atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ». Le régime de Paris a le deux poids deux mesures chevillé au corps.
Le droit de l’Humanisme à besoin de matière première, un prétexte à l’ingérence et à la déstabilisation des pays qui ne conviennent pas.
Kader Tahri
Chroniqueur engagé, observateur inquiet
« Il faut dire les choses comme elles sont, mais refuser qu’elles soient comme ça."

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